
Au centre de l’île de Java, la ville de Yogyakarta nous a conquis par ses deux sites inscrits à l’Unesco : les temples de Borobudur et Prambanan. Mais aussi par ses habitants à la fois très pieux et ouverts sur le monde.
Tout juste remis de nos émotions sur le cratère du volcan Bromo, nous embarquons dans un train en direction de Yogyakarta. C’est la première fois que nous testons ce mode de transport en Indonésie. Il n’existe que sur Java, reliant les principales villes de l’île à la tentaculaire capitale Jakarta.
Moderne, ponctuel et bon marché : on est vite conquis par le train javanais. D’autant qu’il offre à ses passagers de magnifiques points de vue sur la campagne et les chaînes de montagnes qui la bordent. Depuis la fenêtre du wagon, notre regard se perd dans l’immensité verte des rizières entrecoupées de canaux et de fines pistes de terre.
Les paysans s’affairent : la récolte vient de commencer. D’une main, ils coupent, de l’autre ils chargent leurs charrettes. D’ici quelques semaines, un nouveau paysage apparaîtra. Ces vastes étendues d’eau seront devenues vides de cultures et des amas de paille de riz dorée feront la joie des buffles noirs.

Nous migrons quelques minutes dans le wagon bar pour enregistrer une vidéo d’anniversaire à l’attention de Pauline, une amie restée à Paris. Un contrôleur et un agent de sécurité passent leur pause à observer cet étrange spectacle que nous réalisons, parlant à haute voix en français, debout au milieu de l’allée, Pierre le bras tendu avec son smartphone en mode selfie. Puis le train ralentit. Son ronronnement se fait plus faible. Yogyakarta est annoncée.
L’affable Yogya
Ville à l’économie florissante et principale destination touristique de Java, Yogyakarta mêle les hôtels à l’architecture moderne et les quartiers pavillonnaires rétro, les anciens palais, les larges avenues commerçantes bondées de voyageurs, les bars et les cafés qui débordent de jeunes indonésiens, et les stands de street-food où tout ce beau monde se retrouve.

Cela pourrait être un grand n’importe quoi, bruyant et sans charme. Mais il faut reconnaître que le mélange fonctionne plutôt bien et qu’on apprécie s’y promener. Comme à Malang, la conversation y est facile. Alors qu’on sirote une bière en terrasse, on est hélé par Wahyu, un fêtard local qui revient d’une “pool party” au Hilton et qui tente de raccompagner chez lui un de ses amis qui a un peu trop picolé.
On discute ensuite avec Brey, un réceptionniste d’hôtel qui sort juste du travail et qui tient absolument à nous faire goûter les bakpia pathok, une spécialité pâtissière de Yogya… à base de fromage. Ça surprend à la première bouchée, puis on se régale ! La dégustation passée, Brey se met à nous raconter sa vie de jeune indonésien, bilingue anglais, ouvert sur le monde, tout en étant radicalement attaché à son identité, à sa culture et à la pratique de l’islam qui leur est étroitement liée.

L’islam en débat
Tout comme ses parents, ses grands-parents mais aussi ses amis, il prie chaque jour et se rend à la mosquée. Il ne fume pas, ne mange pas de porc et ne boit que très rarement de l’alcool – “une bière, au maximum”, sourit-il. Aucun membre de son entourage n’est athée, ni même non-pratiquant. “Allah fait partie de nos vies”, nous dit-il avant de disserter avec sincérité sur la nécessité de “faire le bien” et de “se comporter le mieux possible”.
Pétri de convictions religieuses, il comprend néanmoins parfaitement qu’on ait dans d’autres pays, et notamment en France, un rapport différent à la foi. Il admet et respecte le fait qu’on puisse ne pas croire en Dieu. Il en débat d’ailleurs longuement avec nous, curieux de confronter les points de vue.

Brey poursuit soudain en déplorant le conservatisme dont font preuve certains Indonésiens : “Ils refusent l’égalité entre les femmes et les hommes, ils imposent des mariages arrangés à leurs enfants et les rejettent s’ils sont gays”. Un discours très direct et critique qui nous interpelle. On ne le connaît après tout que depuis quelques minutes.
Pour lui, tout cela n’a pas à voir avec l’islam : “C’est une vision du passé, un excès de tradition, alors que l’islam nous dit d’aimer les autres”. Il espère que la société évoluera dans le bon sens. Deux heures plus tard, on quitte ce parfait ambassadeur de l’Indonésie pour rejoindre notre chambre d’hôte avec le sentiment d’avoir un peu plus avancé dans notre compréhension du pays.

Bienvenue chez les Mayas
Notre journée suivante est consacrée aux deux joyaux de Yogyakarta : les temples de Borobudur et de Prambanan. Ce sont eux qui attirent en si grand nombre les touristes dans la région.
Après une heure de bus, nous atteignons le premier et le plus célèbre : Borobudur. Construit en l’an 800 par les bouddhistes, abandonné à la jungle vers 1100, il survit dans l’oubli aux multiples tremblements de terre et éruptions du capricieux volcan Merapi, dont le panache de fumée menace encore chaque jour Yogyakarta. Il fut finalement redécouvert au XIXe siècle par un ingénieur néerlandais.
Passé le guichet d’entrée, nous débouchons sur une allée rectiligne, dans l’axe du temple. Borobudur s’impose aussitôt par son architecture singulière : une large pyramide à étages, perchée sur une butte, qui se dresse jusqu’au ciel. Il ne ressemble en cela à aucun des temples bouddhistes que nous avons vus jusqu’à présent.

On penserait avoir été soudain projeté en Amérique centrale, chez les Mayas, au pied de Chichen Itza. On s’étonne d’ailleurs toujours que des peuples éloignés de dizaines de milliers de kilomètres, qui n’ont jamais eu le moindre contact entre eux, ait pu à la même époque bâtir des temples si semblables.
Selfies à l’indienne
Peu de touristes sur place, mais une centaine d’ados javanais en sortie scolaire. Ils s’amusent de nous croiser ici et délaissent aussitôt le patrimoine sacré pour venir nous dire bonjour. Pendant vingt bonnes minutes, nous voilà submergés d’accolades, de serrages de main et de selfies. Ça rigole, ça se bouscule. C’est l’Inde du Nord et non plus l’Indonésie !

Au moment de gravir les marches du temple de Borobudur, alors que ces visiteurs chaleureux se pressent vers le sommet, nous bifurquons sur la gauche. Nous débouchons au premier étage, sur une longue coursive qui fait le tour de l’édifice. Au revoir foule bruyante, nos seuls compagnons sont désormais les bouddhas de pierre. Assis depuis treize siècles en position du lotus, ils continuent comme au premier jour à fixer impassibles l’horizon.
On craint de les déranger et on se rapproche du mur qui leur fait dos. Il est couvert de bas-reliefs d’une finesse et d’une diversité impressionnantes, plus encore qu’à Khajuraho, qui narrent sur des centaines de mètres la vie de Sakyamuni et des légendes du Jatakamala.

Immuables en leur sanctuaire
Nous poursuivons au deuxième niveau, au troisième, au quatrième… Chaque fois la même cohue lorsqu’on traverse l’escalier principal, puis la même quiétude quand on atteint les coursives. Et chaque fois ces fresques à n’en plus finir, qu’on voudrait toutes mémoriser, prendre en photo dans leurs moindres détails.
Vient alors le dernier étage. D’un pas, on quitte les angles arides du quadrilatère pour pénétrer dans un univers de rondeurs. Nous foulons du pied une terrasse de cercles parfaits, jonchés d’imposantes cloches de pierre ajourées. En leur sein, des bodhisattvas, abrités du vent et de la pluie, immuables dans leur sanctuaire. Enfin, au centre, un dernier stupa qui abrite un bouddha dont on ne sait pourquoi il est resté inachevé.

Prambanan, l’hindou
Prambanan, à dix kilomètres au nord-ouest de Yogyakarta, nous ramène dans un monde connu mais tout autant somptueux : celui de la religion hindoue. C’est le plus grand sanctuaire de ce type en Indonésie. Lui aussi a du vivre au gré des éruptions du Merapi – qui ont probablement causé son abandon au Xe siècle – et des tremblements de terre – le dernier en date, survenu en 2006, lui a causé de terribles dommages, tandis qu’ils faisaient près de 6.000 morts alentour.
Nous entrons dans un vaste parc arboré, franchissons une enceinte de pierre et atteignons le temple principal. Construit au IXe siècle, il célèbre Shiva, son épouse Durga et son fils Ganesha. Comme à Borobudur, le plan est carré et la forme pyramidale, mais avec un angle bien plus aigü, tel une haute tour crénelée.

L’extérieur est richement décoré de colonnes et de sculptures. A l’intérieur, sombre en l’absence de fenêtre, on devine des fresques où se combattent le Bien et le Mal. Puis on s’arrête, au centre des chambres, devant les statues des divinités.
Pics enflammés et gardiens de pierre
Autour, cinq temples secondaires, dédiés à Vishnu, Brahma ou encore Garuda. Ils se dressent comme des pics défendant le saint des saints Shiva. Ils s’enflamment en cette fin d’après-midi au contact des rayons du soleil couchant. Nous descendons le talus opposé pour regarder l’ensemble. C’est la vue qui nous manquait. Magnifique.

Nous terminons notre visite au nord du parc. Si ses temples sont moins impressionnants, ils en sont aussi moins fréquentés. Nous ne sommes que cinq sur ce chemin rocailleux éclairé par les dernières lueurs du jour. Il nous mène à un étonnant cimetière de pierres. Des milliers de blocs, qui autrefois formaient des murs caressés par les fidèles, s’entassent désormais sans autre forme de scépulture.
Parmi eux, quelques statues survivent : des gardiens de pierre, ronds comme des sumos, la moustache foisonnante et les cheveux tressés. Un genou au sol, on pourrait penser qu’ils vont abandonner le combat, mais leur main ferme tenant un glaive nous dit le contraire : ni l’usure des siècles, ni les tremblements de terre, ni même le feu du Merapi n’en viendront à bout. Prambanan est protégée pour l’éternité.

Nos coups de coeur
Le Palais de l’eau. À quelques encablures du Kraton, ce petit palais encadré par deux bassins mérite le détour pour son cadre intimiste et les ruelles qui l’entourent où vivent depuis des générations de nombreux artisans et employés de la famille royale.
Taman Sari, Jl. Wisata Taman Sari, Patehan, Kecamatan Kraton
Kebon Ndalem Coffee & Eatery. Un café moderne où côtoyer la jeunesse de Yogya et observer, perché sur une terrasse, le carrefour animé de Tugu. Sur la route qui y mène, depuis la gare, de nombreux stands de street-food où se régaler à petits prix.
Jl. Pangeran Diponegro No. 2, Gowongan
Lucifer. À l’extrémité ouest de la rue des « routards », un bar à la bière fraiche et bon marché (la moins chère du quartier), qu’on boit en écoutant de la musique live.
Jl. Sosrowijayan No. 71, Sosromenduran
Salut ! Je suis actuellement à Jakarta et je vais débarquer demain à Yogyakarta. Vous parlez d’avoir pris un bus pour aller visiter les temples, c’était un package acheté quelque part ou il y a des bus locaux qui assurent les liaisons? Est ce que vous vous rappelez une idée du prix payé? Merci d’avance et bonne suite de voyage !
https://www.myatlas.com/bobynaud
Salut ! Il s’agit de bus locaux. Celui pour Prambanan se prend en plein centre-ville, notamment à l’arrêt « halte Senopati 2 ». Celui pour Borobudur nécessite de prendre un tuk-tuk ou un taxi partagé jusqu’à la gare routière de Jombor d’où part ensuite le bus. Ce mode de transport est de loin le moins onéreux, en revanche il est assez lent : une petite heure pour se rendre à Prambanan, une heure et demie pour se rendre à Borobudur, sans compter l’éventuelle attente du bus. On a fait ces deux visites sur deux jours différents.
Salut. Un peu dans le jus j’avais pris le temps de vous remercier pour les infos donc merci! Finalement j’ai opté pour la location d’un scooter, ça m’est sûrement revenu plus cher mais j’ai pu gérer mes visites comme je le voulais, trainer des les temples et aller voir le lever de soleil sur Borobudur depuis Punthuk Setumbu sans avoir a a payer un package « Borobudur Sunrise » en plus du ticket d’entrée déjà bien assez cher.
Bonne suite pour votre voyage, pour moi Java c’est fini et voici Bali! 😁
Le scooter est sûrement une excellente solution ! Mais nous n’avions pas encore appris à en conduire quand nous étions en Indonésie 😉 C’est depuis chose faite !
Je n’écris pas souvent ici mais je vous lis. On apprend vraiment plein de choses, c’est chouettes. Merci!
Merci beaucoup 🙂
J’adore vos récits (vous le savez) mais l instant l instant de la lecture je me vois transporter dans votre voyage. Encore un bien bel article.
Merci les Garçons.
Bises
Merci!
Encore un récit enthousiaste et très interessant ! Merci
Joie de vous lire et de me permettre de m’évader des couloirs de l’hôpital !
Merci les garçons !