
On a commencé à vous le dire dans notre précédent article : dans la minute où l’OMS a parlé de pandémie, notre tour du monde a changé. Le coronavirus au Vietnam crée la psychose. Et chaque jour cela ne fait qu’empirer. Nous sommes à présent priés de quitter à la hâte le pays.
Retour 48h en arrière. Nous arrivons à Ninh Binh par un bus de nuit. Nous avions vécu à bord la première scène de psychose liée au coronavirus au Vietnam : une restauratrice en bord de route avait envoyé promener tous les passagers, pourtant essentiellement vietnamiens, de peur d’être contaminée.
Les dégâts de la rumeur
Jeudi 12 mars. Nous sommes déposés à l’aube. Notre chambre n’est pas prête mais le proprio nous propose de faire un dernier somme dans un dortoir. À notre réveil, tous les autres voyageurs sont déjà attablés sur la terrasse, téléphone ou ordinateur en main, consultant avec inquiétude les dernières infos sur les possibilités d’entrées et de sorties dans les différents pays.
Comme nous cette nuit, ils commencent à entrevoir un changement. Il y a la disparition des sourires sur le visage des habitants, remplacés par des regards tantôt inquiets, tantôt sévères. Il y a aussi ces gestes de la main pour vous faire comprendre de garder vos distances.

Un Vietnamien nous en explique la raison : « Une rumeur circule depuis quelques jours, comme quoi les étrangers font exprès d’attraper le virus pour développer des anticorps. Les gens sont persuadés que ce sont eux qui répandent le coronavirus au Vietnam. Et le fait que vous ne portiez souvent pas de masque ne fait que renforcer cette certitude. »
On ne sait quoi répondre, tellement cela paraît fantasque… Mais on se décide à mettre le masque.
Film post-apocalyptique
À ces relations humaines tendues s’ajoutent de plus en plus de restrictions de circulation. Il a été décidé jeudi d’arrêter sans préavis les promenades en barque – la spécialité de Ninh Binh. Puis de fermer les pagodes et les grottes les plus prisées des touristes. Même le point de vue de Hang Mua, à flanc de falaise, qui offre un panorama fabuleux sur les rizières et les montagnes karstiques, vient d’être clôturé.
Fermer l’accès à un panorama ? Ça peut sembler cocasse. C’est surtout révélateur de la volonté des autorités vietnamiennes de pousser au plus vite les étrangers dehors. Officiellement, nous n’avons reçu aucune consigne de quitter le pays. Insidieusement, on nous y incite chaque minute. Et cerise sur le gâteau : le ciel est gris, il bruine et il fait froid.
Nous passons notre aprem à vélo, le meilleur moyen pour découvrir la nature environnante (et pour s’aérer l’esprit). Ninh Binh n’a pas volé son surnom de « baie d’Halong intérieure ». C’est sublime. On vous le racontera bientôt dans un article spécifique. Mais contrairement à Angkor, nous n’arrivons pas à nous réjouir d’avoir ces lieux rien que pour nous.

Ce qui retient notre attention, ce sont les parkings vides, les bus touristiques absents, les hôtels aux volets clos, les magasins au rideau de fer baissé. Ces infrastructures désertes, cette solitude, ce silence, cette brume épaisse qui recouvre les reliefs et qui serpente dans la vallée : on se croirait dans un film post-apocalyptique.
La communauté des « tourdumondistes »
En fin d’après-midi, on retrouve des Français à notre hôtel. Ils sont eux aussi en voyage au long cours. Les conversations animées du matin se poursuivent. « Tu sais si on peut encore entrer en Indonésie ? » « Si je prends un vol pour les Philippines, tu penses que je pourrais quitter ensuite le pays ? »
On se pose tous les mêmes questions : où peut-on encore aller ? La liste des pays se raccourcit d’heure en heure, provoquant une véritable peur d’être « coincé » ou de devoir rentrer précipitamment en France.
Depuis six mois, nous avions déjà pu constater qu’il existe un lien très fort entre celles et ceux qui font le tour du monde, comme le sentiment de partager quelque chose de commun, de se comprendre parfois mieux qu’on se comprend avec son entourage familial ou amical. Face à la crise que nous traversons, cette communauté se serre d’autant plus les coudes, elle se soude.
On a d’ailleurs repris très vite attache avec tous les autres « tourdumondistes » croisés lors de nos précédentes étapes. Et avec ceux que nous connaissons via les réseaux sociaux. « Tu es où ? Quelles sont les dernières nouvelles que tu as ? Comment penses-tu que cela va évoluer ? »

Carla et Antoine : virés des Philippines
Vendredi 13 mars. Deux « tourdumondistes » avec qui nous nous sommes liés d’amitié sont justement aux Philippines. Carla et Antoine devaient visiter un parc naturel dont ils rêvent depuis un an. Mais ils n’ont pas de nouvelle de l’organisatrice de l’excursion. Jusqu’à un message lapidaire, reçu vendredi matin : « J’ai parlé aux autorités. On annule. Les étrangers ne sont plus autorisés. »
Une heure plus tard, ils apprennent que le Président philippin vient de mettre en quarantaine Manille, la capitale, et ses 2 millions d’habitants. Il suspend aussi tous les transports intérieurs. Deux heures plus tard, leur hôtelier leur signifie qu’ils ont 48h pour quitter le pays. Ils se croyaient préservés de l’agitation du monde, ils sont soudain rattrapés, bousculés. Ils partiront en Nouvelle-Zélande. Ce départ en urgence leur coûte 1.000 euros.
À Ninh Binh, nous n’en sommes pas là. Pas encore. Mais nous savons que le couperet se rapproche. Nous sommes vendredi midi. Le nombre de magasins fermés la veille a doublé. Les rues sont encore plus vides. Nous recevons des messages de routards présents dans d’autres villes du Vietnam : situation identique. Le pays se ferme.

Inutile d’insister. Il faut en tirer les conséquences. Nous actons que nous n’irons pas à la baie d’Halong – de toutes façons là-bas aussi toutes les excursions sont suspendues. Nous annulons aussi la boucle de Ha Giang, à l’extrême-nord, où les prévisions météos sont très mauvaises pour les prochains jours. Notre prochaine et dernière étape sera Hanoï.
Trouver où aller
Cinq jeunes français présents à notre hôtel nous annoncent qu’ils vont faire de même. Nous leur proposons de prendre le train tous ensemble samedi midi. Puis chacun voguera vers un prochain pays. Isis et Cécile iront en Thaïlande, « trouver une île tranquille où rester le temps que tout se calme ». Audrey s’est résignée à rentrer en France. Aude hésite. Paul est en train d’essayer d’avancer ses billets pour le Japon.
Le Japon, c’est justement notre prochaine étape. Nous prenons nos billets d’avion pour Osaka. Nous décollerons dans la nuit de lundi à mardi, soit huit jours plus tôt qu’initialement envisagé. Seul réconfort : les prix sont bas en raison de la faible demande. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que le Japon ne ferme pas à son tour ses frontières d’ici là.
Le soir, on décide de se faire plaisir. Il faut casser à tout prix cette morosité qui tente de nous étouffer. Certains vont danser, d’autres se saouler dans les rares bars encore ouverts. Nous, on se dévore un canard entier à la broche. Un petit clin d’oeil au Sud-Ouest. Puis on attaque la nouvelle saison d’Élite sur Netflix.

« On en retiendra forcément quelque chose »
À 2h du matin, le sommeil ne vient toujours pas. Matthieu sort fumer une cigarette. Il tombe sur Paul qui est en train de sauter le mur pour entrer – à cette heure, le portail est fermé. On débriefe la journée, nos inquiétudes, nos espoirs pour la suite.
On n’en veut pas aux Vietnamiens, on comprend leur réaction. Peut-être aurions-nous fait de même à leur place. « Je réalise que ce qu’on vit ici, c’est aussi ce que doivent vivre en France pas mal d’étrangers », glisse Paul. On se rappelle aussi que coronavirus ou pas, on a une chance extraordinaire de faire un voyage comme le nôtre.
« Et puis tu sais, même si ça gâche un peu nos plans, même si c’est grave pour ceux qui sont malades, je me dis que ce qui nous arrive avec le coronavirus, ça reste une expérience. Il y aura un avant et un après. On en retiendra forcément quelque chose », ajoute-t-il. On tâche de se coucher un peu plus léger.

Plus qu’une chose à faire : partir
Samedi 14 mars. Le réveil est rude. Samedi matin, c’est en voulant aller faire des courses avant de rejoindre la gare qu’on a compris à quel point nous n’étions plus désirés au Vietnam. Notre hôte vietnamien barre aussitôt la route à Isis et lui annonce sèchement : « Vous n’avez plus le droit d’aller dans la rue. »
On est tous sidéré. On râle et on redemande d’une même voix à sortir. Rien à faire. « Si vous voulez aller dans la rue, vous prenez vos sacs et vous ne revenez pas. » On a compris le message. On commande deux taxis à partager, on met nos masques sur le visage et on file tous ensemble.
La gare est déserte à notre arrivée. Le train n’est que dans une heure et demie. On achète nos billets et on déniche un plat dans le seul petit resto ouvert aux alentours. Pas une voiture, pas un scooter, juste nous, la brume et toujours cette fichue ambiance de fin du monde…
Puis à trente minutes du départ, le défilé commence. Deux étrangers, puis trois, puis quatre. Dix. Toute une grappe. Nous ne sommes visiblement pas les seuls Occidentaux à nous être faits virer de notre hôtel ce matin.

« Quand quittez-vous notre pays ? »
Peut-être ne faudrait-il d’ailleurs pas tarder à réserver notre prochain hôtel à Hanoï ? On fait une recherche sur booking.com, on trouve une chambre « convenable » pour les deux nuits qu’il nous reste au Vietnam, on réserve. C’est bon ? Pas tout à fait.
Cinq minutes plus tard l’hôtelier nous écrit : « En raison du coronavirus, j’ai deux questions avant de confirmer votre réservation. La première : d’où venez-vous. La deuxième : quand allez-vous quitter notre pays ? » Sic.
Pas le temps de poser nos sacs ou de souffler. Des passagers déjà à bord, essentiellement des Vietnamiens, s’agitent et s’éloignent en criant. La rumeur fait encore son œuvre. Ils pensent que nous représentons un danger. Les rangées les plus proches de nous resteront inoccupées.
Allez, l’ambiance sera peut-être un peu meilleure à Hanoï… Et plus que deux jours avant que l’on décolle.
Pas d’accord sur la totalité,sommes au Vietnam depuis le 5 ,pas mal d’alėa c’est vrai.les portes se ferment dernière nous, mais le rejet de la population non, ils sont pénalisé autant que nous , plus de touristes plus de boulot,ils vont en souffrir,pour nous demain Saïgon,le delta et Phuc quoc,donc stop a la paranoïa
Bonjour,
Il n’y a aucune paranoïa là dedans : nous ne faisons que relater ce que nous avons vécu ces derniers jours.
Nous n’en faisons pas le reproche aux Vietnamiens, au contraire, nous écrivons que nous comprenons leur réaction.
Ce que nous avons vécu à Ninh Binh vaut pour Ninh Binh. Il est possible que l’accueil soit différent ailleurs. La situation est vraisemblablement plus sereine dans le sud si on en croît les retours de plusieurs autres voyageurs.
Bonne fin de séjour.
Merci pour cet article
A le lire, on a le sentiment que vous êtes dans un pays qui vient de rentrer en guerre, que les ressortissants étrangers doivent quitter précipitamment
Cela évoque vraiment certaines scènes de juillet 14 ou septembre 39 que je n’ai pas vécues, faut pas exagérer mais que j’ai l’impression de connaître à travers mes lectures 😉
Bon courage et bravo pour votre calme
Merci !
bonjour les garçons ,
on ne se connaît pas, ou plutôt moi je commence à vous connaître et j’apprécie vos récits , photos ici ou sur insta et un peu sur Twitter * … découvrant l’Inde à travers vos regards ou retrouvant plus récemment des impressions partagées aux Laos, Cambodge … Merci .
vous pourrez « conserver » le lapsus « Les conservations animées du matin se poursuivent. » que je trouve mignon, vivant, signifiant un texte écrit rapidement tant vos préoccupations du moment de vous persévérer…
prenez soin de vous et meilleur continuation possible en ces temps perturbés.
à suivre vos nouvelles et vos aventures !
bYz’ , alain marc (alias LeGlaneur.info)
* parfois je zappe qq tweets parisiens plus « Community » (au sens CM 😉 que voyager , ne m’en voulez pas trop de cette pique taquine je connais vos centres intérêts ( partagés souvent au fond );
Merci beaucoup 😉