San José del Pacifico : des champignons dans les nuages

San José del Pacifico

Qui veut rejoindre les plages de Zipolite et Mazunte en colectivo doit faire une halte à San José del Pacifico. Ce paisible pueblo de la Sierra Madre del Sur, dont on dit qu’il est perché « entre » les nuages, est aujourd’hui connu dans tout le Mexique pour ses champignons hallucinogènes.

[Récit de notre séjour à San José del Pacifico du 20 au 21 septembre 2020]

Un trait de crayon sur une plaine brûlée par le soleil. Notre minibus le remonte à vive allure sans qu’on n’en devine la fin. Le chauffeur réussit à faire vrombir l’autoradio plus fort que le moteur. Derrière lui, nous sommes huit passagers qui transpirons sous nos masques en tissu depuis notre départ de Oaxaca. Les fenêtres laissées béantes nous protègent sûrement du covid, mais elles ne font entrer dans l’habitacle qu’un vent sec et chaud qui nous déshydrate.

Après une heure de route, nous voici nez-à-nez avec les montagnes. Le trait disparaît. Nous ne verrons plus de ligne droite de tout notre trajet. À sa place, des lacets qui grimpent dans les couches de végétations. Le chauffeur a l’habitude, il ne lève pas le pied. Qu’importe pour lui que nous soyons ballotés de la tôle à notre voisin jusqu’à en devenir nauséeux.

Sur la route qui relie Oaxaca à la côte Pacifique

La Sierra Madre del Sur

Au fil de notre ascension, les broussailles cèdent leur place à des feuillus, les feuillus à la jungle, la jungle aux champs de caféiers, les champs de caféiers à la forêt de nuages, la forêt de nuages aux pins des montagnes. Nous fermons les vitres et enfilons des pulls. Dehors, une brume froide enlace à présent les troncs. Il ne fait plus qu’une dizaine de degrés.

Nous avons atteint les crêtes de la Sierra Madre del Sur, à 2500 mètres d’altitude. Cette chaîne fend le Mexique d’Ouest en Est sur plus de 1000 kilomètres, du Jalisco à Oaxaca. C’est elle qui barre brutalement la route aux voyageurs qui désirent gagner les plages du Pacifique, rendant leur trajet interminable : plus de huit heures de route quand il n’y a que 150 kilomètres à vol d’oiseau.

Alors, quand se présente l’occasion de faire une halte à mi-parcours, nous n’y réfléchissons pas par deux fois. On dit adieu de la main au fou du volant. On saute avec nos sacs du véhicule et on convient d’en attraper un autre le lendemain. Vingt-quatre heures d’arrêt à San José del Pacifico, le village perché « entre » les nuages.

La rue principale de San José del Pacifico

Une chamane nommée Maria Sabina

La fondation de ce bourg remonte au milieu du XIXe siècle. Il se nomme Pueblo Nuevo Río Hondo, avant d’être officiellement inauguré en 1875 sous le nom de San José del Pacifico. Il est vrai qu’à certaines périodes de l’année, lorsque le ciel est complètement dégagé, on peut voir depuis ses maisons jusqu’à l’océan Pacifique. 

Pendant plus d’un siècle, San José del Pacifico reste un village paisible et endormi. Il n’abrite qu’une dizaine de familles. Elles vivent des ressources de la forêt, d’un peu d’agriculture et du commerce qu’elles font avec les gens de passage. Tout bascule en 1955 quand parmi ces gens de passage figure un américain féru de botanique : Robert Gordon Wasson.

Dans le village, il fait la connaissance de la chamane mazatèque Maria Sabina. Elle accepte de lui ouvrir ses veladas, au cours desquelles elle soigne les malades. C’est la première fois qu’un Occidental est autorisé à assister à ces veillées rituelles qui associent le chant, la danse, la poésie, les percussions et la consommation du psilocybe mexicana : un champignon hallucinogène. Les participants entrent dans un état de transe qui peut se prolonger toute la nuit autour du feu de bois. Ils repartent à l’aube, guéris de leurs maux.

De l’anonymat à la vague hippie

Robert Gordon Wasson en sort profondément bouleversé. Il décide de ramener avec lui aux États-Unis des spores pour les étudier et de consacrer un article scientifique à son incroyable expérience. Nous sommes au début du mouvement hippie et l’histoire fait sensation. San José del Pacifico sort soudain de l’anonymat pour ne plus jamais y retourner. 

Des centaines de jeunes veulent à leur tour rencontrer Maria Sabina. Ils se pressent sur les routes. La légende veut même que Bob Dylan et John Lennon aient été parmi eux. La chamane est d’abord enthousiaste et les accueille à bras ouverts, mais elle est vite débordée par l’importance du phénomène. 

Elle réalise surtout que le sens profond des veladas importe peu à ces visiteurs. “Ces jeunes aux cheveux longs viennent pour manger ces petites choses sans respecter nos traditions”, dit-elle, quelques années après, désabusée. Il est trop tard pour faire machine arrière. Dans tous les villages alentour, on fait commerce des champignons et l’on organise ses propres cérémonies, désormais plus récréatives que traditionnelles.

Collage représentant Maria Sabina fumant une cigarette, dans une rue de Oaxaca

Chassé-croisé de vacanciers

Maria Sabina s’en est allée en 1985, mais la ruée aux champignons magiques lui a survécu. Les autorités ont eu beau interdire la consommation des champignons aux étrangers, soixante ans plus tard, San José del Pacifico a acquis dans tout le Mexique et aux États-Unis le titre de “capital de los hongos”. Et le bourg tout entier vit de cette réputation.

À première vue, San José del Pacifico n’est encore qu’un village de montagne qui marque le passage du col par les automobilistes. Sa rue “principale” n’est autre que la départementale qui relie Oaxaca à la côte, où on assiste à un chassé-croisé permanent de vacanciers mexicains en route ou de retour de la plage. Beaucoup de jeunes, quelques familles, qui ne s’arrêtent qu’une poignée de minutes, laissant toujours le moteur allumé.

Sorti de cet axe, il ne reste que des ruelles en terre battue. Les bâtiments sont essentiellement des cabanes en bois qu’on rafistole au gré des intempéries. Il n’y a aucun distributeur automatique, pas de supermarché. Le réseau téléphonique est capricieux, quand il existe. Le wifi est un bien rare, dont on ne dispose que dans les hébergements les plus chics (ou à l’unique café central, en le payant au quart d’heure).

Le village de San José del Pacifico

Le commerce des champignons

Dès nos premiers pas hors du minibus, on remarque toutefois une singularité. Devant les maigres boutiques, impossible d’échapper aux enseignes qui annoncent la vente de champignons. Le mythe se décline devant les habitations, avec des souches de bois décoratives, toujours sculptées en forme de champignons, et sur les murs, avec des fresques qui célèbrent les visions hallucinogènes qu’ils procurent.

Tandis que nous dénichons un logement, les premiers mots du propriétaire, un grand-père voûté et édenté, sont encore : « Si vous voulez des champignons, j’en ai”. Nous déclinons poliment la proposition, mais il nous renvoie un clin d’œil malicieux semblant dire : « N’allez pas me faire croire que vous n’êtes là que pour la vue ».

Et pourtant ! Elle est superbe, la vue, depuis San José del Pacifico. Le balcon de notre chalet en bois plonge directement sur une forêt de conifères et les montagnes environnantes. Il nous confirme que le village est bien perché “entre” les nuages. Au-dessus de nous, un troupeau d’altostratus et d’altocumulus, en-dessous, une mer de cumulus et autres stratocumulus, laissant échapper entre eux quelques centaines de mètres de vide. Juste ce qu’il faut pour nous permettre de profiter du panorama. Ce phénomène naturel amène les habitants à dire qu’ici, il peut pleuvoir sur les hommes de la taille jusqu’aux pieds, tandis que le buste reste au sec. Nous n’avons pas eu la chance de le vérifier, tant le soleil brillait ce jour-là.

La vue depuis notre balcon

Nature imaginaire

Ce qui impressionne aussi, à San José del Pacifico, c’est l’ardeur de la nature. Ce col semble jouir d’un microclimat et d’une terre si riche que toutes les espèces peuvent y pousser, et dans les proportions les plus exubérantes. Dans le moindre interstice laissé par une plante se faufile une autre plante. Elles se grimpent les unes sur les autres, elles se chevauchent, elles s’écrasent sans ménagement. 

Des agaves de trois ou quatre mètres de haut, dont chacun des bras doit bien peser plus de vingt kilos, surgissent autant des talus que des nœuds des troncs : qu’importe où la graine a pu atterrir ballotée par les vents, elle pousse et se répand. Tout autour de nous, ce ne sont que des feuilles, des fleurs, des racines, de toutes espèces, de toutes formes et de toutes tailles. Et une diversité au moins aussi importante d’insectes et de papillons.

Sans même avoir goûté le fameux champignon, on est vite enivré par la multitude d’odeurs et de couleurs de ce jardin botanique qui fleure l’imaginaire. On se sent léger, détendu, simplement bien. Après une courte randonnée, un repas avalé dans l’une des gargotes du bord de route, le coucher de soleil admiré au balcon, on file se réchauffer dans notre lit judicieusement installé près de l’âtre. 

Agave poussant sur un arbre

On s’endort alors au son des bûches léchées par les flammes, on rêve toute la nuit comme un enfant. On repart le lendemain avec la douce impression que ces vingt-quatre heures passées ici n’étaient qu’un songe éveillé. À croire qu’à San José del Pacifico, bien que le commerce ait peu à peu remplacé la tradition, la magie de Maria Sabina et les spores du psilocybe mexicana circulent toujours dans l’air ambiant.

Notre coup de coeur

Le chalet idéal. Est-ce parce qu’ils sont faits pour accueillir des hippies ? Est-ce parce que leurs propriétaires parient sur les effets positifs des champignons hallucinogènes ? Les hébergements bon marché à San José del Pacifico s’avèrent souvent brinquebalants, sales, voire carrément insalubres. Nous avons eu la chance de loger aux Cabañas Pacifico, qui font figure de contre-exemple. Leurs chalets sont simples, mais spacieux et bien entretenus, tous avec salle de bain, cheminée et balcon donnant sur la montagne. Comptez entre 500 et 700 pesos la nuit à deux (environ 20 à 30 euros) selon la saison.

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5 commentaires sur “San José del Pacifico : des champignons dans les nuages

  1. Votre récit est malheureusement faux sur les détails apportés concernant Wasson et Maria Sabina. Elle est originaire de Huautla de Jimenez. San Jose del Pacifico est devenu un village du business champignon seulement plus tard.

    Une correction s’impose !

  2. Très beau récit nous replongeant totalement dans cette ambiance mystique, exactement comme nous le vivons, chaque fois que nous passons par la Sierra pour retrouver la costa Oaxaqueña 👌👏 Un plaisir de lire votre blog (idem pour Zipolite nous avons adoré votre récit)

  3. Salut les backpackers,

    Que ce soit auparavant sur les terres du continent asiatique, et désormais au coeur de l’Amérique latine, c’est toujours un plaisir de lire vos récits de voyage, où l’on peut se nourrir à tout point de vue (culturellement, culinairement, mais aussi visuellement et émotionnellement), sans oublier vos savoureuses petites anecdotes😄, bref on en redemande😉

    En attendant la suite, prenez bien soin de vous et bonne continuation

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