
Nouvelle étape dans notre voyage au Mexique avec l’entrée dans un nouvel État, celui de Oaxaca. Faite de plaines et de montagnes, de côtes pacifiques et d’étals de marché, la région est surtout dominée par sa capitale éponyme au charme rebelle.
[Récit de notre séjour à Oaxaca de Juárez du 16 au 20 septembre 2020]
C’est un comité de départ assez particulier que nous a réservé Puebla en ce 16 septembre, jour de Fête nationale. Alors que nous traversons les larges rues quadrillées de la cité hispanique, nos sacs sur les épaules, le regard encore hagard du matin, nous tombons sur un détachement de l’armée (la fameuse armée mexicaine), les soldats juchés sur leurs véhicules blindés, le dos droit, les yeux rivés vers un horizon imaginaire.
Le défilé local a quelque chose de très martial dans l’attitude et à travers l’uniforme sombre des militaires. Les chars sont en stationnement, attendant le signal du chef de cérémonie. Quelques curieux aux fenêtres regardent le spectacle se mettre en place. Peu de passants dans les rues, à part nous : le défilé sera essentiellement visible à la télévision ; le zócalo de Puebla étant fermé au public depuis hier après-midi.
L’atmosphère a quelque chose à voir avec notre 14-Juillet. Les magasins sont fermés. Les familles quittent la ville pour passer un moment ensemble à la campagne. Ainsi, le bus que nous prenons pour Oaxaca se remplit vite et délaissera progressivement les parents et les enfants à quelques kilomètres seulement de la gare routière.

Un voyage sous forme d’hommage
Les paysages défilent à travers la vitre pendant 5h. Nous quittons définitivement le Mexique patriotique en ce Jour de l’Indépendance pour atteindre un pays un peu plus rebelle. Oaxaca est en effet connu pour son état d’esprit plus décontracté, plus « bon vivant », plus joyeux que Mexico et sa région.
C’est là que nous devions rejoindre un ami, Frédéric, tombé en amour de Oaxaca et amoureux tout court. Un homme épris de belles Lettres et de politique, un romantique au sens littéral du terme. Nous avons appris sa disparition quelques jours seulement avant d’arriver dans « sa » ville. Notre séjour ici prendra la forme d’un hommage.
Frédéric nous avait longuement parlé de la chaleur qui se dégage de Oaxaca. Prosaïquement, il est vrai qu’en sortant du bus sur-climatisé nous avons pris en pleine poire un gros souffle chaud : nous avons perdu près de 500 mètres par rapport à Puebla et ne sommes plus qu’à 1.555 mètres d’altitude (1.555 metros « sobre el nivel del mar » comme le veut la formule consacrée en espagnol).

Madonna, Corona et toque de queda
La chaleur aussi des habitants. Nous avons véritablement changé de région. De la musique s’échappe des lourdes portes des maisons. On y chante. On sent déjà une certaine décontraction. Pour le meilleur souvent. Pour le moins bon parfois, notamment en ce qui concerne le Covid : ici, le masque est porté assez négligemment mais on retrouve toujours les consignes de distanciation sociale, le gel, le pédiluve et la prise de température restent systématiques à l’entrée de chaque établissement.
L’heure n’est pourtant pas au relâchement. Mais nous sommes en terre latine et si on peut s’arranger avec les règles, on n’hésite pas. Démonstration le soir-même. Dans un bar avec pas mal d’ambiance, on met quelques pesos dans un juke-box et on se laisse porter par Madonna. Les bières s’enchainent (pas forcément des Corona, même si ça aurait été un beau pied de nez) et on se met à danser. Entre temps, le patron a verrouillé la porte. Les volets sont poussés contre les épaisses grilles des fenêtres. Il est 22h. L’heure légale du couvre-feu (le toque de queda) devient ici une simple heure légale de fermeture des portes.
Les portes sont fermées certes. Mais l’établissement reste ouvert pour les clients à l’intérieur… et ceux qui frappent depuis l’extérieur. Oaxaca se fera taper sur les doigts dans une semaine : le Gouverneur local sera prié de mieux faire respecter les consignes sanitaires.

Réveil ronchon
Mais pour l’heure nous profitons de ces quelques jours de relatif relâchement. Nous rassurons de nouveau nos familles à ce sujet : même si nous aimons suivre l’adage « À Rome fais comme les Romains », nous ne nous mettons pas en danger inutilement et nous portons le masque de même que nous évitons d’approcher de trop près les gens qui nous entourent.
Le lendemain matin, c’est un peu Pékin Express. Déjà, on est réveillé à l’aube. Oui, à l’aube, par des Mexicains au téléphone ou devant leur telenovela préférée qu’ils regardent là aussi sur leur portable. L’hôtel est au premier abord sympa. La chambre donne sur un patio au premier étage (ce qui est étonnant en soi). Mais la contrepartie à ce cadre c’est que tout résonne.
On expérimente donc de manière assez matinale les habitudes mexicaines de faire du bruit, parler fort, regarder la télé dès le réveil et peu importe si des gens dorment à côté. On est chez nous, même à l’hôtel. Vous commencez à connaître l’humeur maussade (c’est un euphémisme) de Pierre avant son premier café de la journée. Imaginez-le se faire réveiller par un gars qui parle en visio-conférence quasiment au pied de son lit. Voilà dans quel état d’esprit chafouin (c’est aussi un euphémisme) Matthieu le retrouve au réveil…

La Gascogne mexicaine
N’empêche, l’avantage d’être levé (de force) tôt, c’est qu’on peut aller prendre un petit-déj tranquillement au marché « 20 de Noviembre ». C’est le repas le plus copieux des Mexicains. On enchaîne donc les huevos a la mexicana (oeufs brouillés avec oignons, tomate et quelques petits piments doux), les frijoles (les indispensables haricots rouges en sauce que l’on mange à l’aide de tortillas), des pains au lait et un café negro (sans sucre, sans lait).
C’est bon, on est sur pied, on peut se lancer à l’aventure ! Il y a quelques jours, Yair, l’artiste que nous avions rencontré à Mexico, nous avait parlé d’un fabricant de mezcal dans la région de Oaxaca. Le mezcal, c’est le nectar de tequila. Et Oaxaca est LA région du mezcal comme la Gascogne est la région de l’armagnac.
Mais pour rejoindre le maestro dans sa palenque, il n’y a pas de transport direct. Il nous faut prendre un colectivo (mini-bus que l’on partage, d’où le nom) pour le village d’Ocotlán situé à 40 kilomètres de Oaxaca avant de tenter de trouver quelque chose qui nous mène au milieu de la pampa à la rencontre de José Luis Shonga, le maître du mezcal. Nous marchons jusqu’à la sortie du village où tout n’est plus qu’enchainement de magasins de fringues et de tiendas (épiceries fourre-tout). Pas de gare de bus, pas d’arrêt bien défini.

Dans la poussière et dans la camionnette
La chaleur est étouffante. Il est midi et le soleil de septembre s’engouffre dans nos pores bientôt recouverts de poussière. La route n’est pas goudronnée. Les rares panneaux ressemblent à une litanie (San Baltazar Chichicápam, San Pablo Huixtepec, San Dionisio Ocotepec, Santa Cecilia Jalieza, San Juan Teitipac…). On avance malgré tout vers ce qui semble être le chemin vers Santa Catalina Minas, le lieu-dit où se trouve la palenque Sacapalabras.
Une camionnette déboule. L’arrière est bâché. Deux bancs se font face-à-face. Il n’en faut pas plus pour faire de cette bétaillère un véritable mini-bus de fortune. Nous montons à bord et demandons au chauffeur de nous déposer à 8 km de là. Ça secoue dans tous les sens. Nous nous accrochons à tout ce que nous pouvons nous accrocher. Nous mangeons de la poussière. Mais nous arrivons à destination !
Le ventre continue à faire des bonds quand nous sommes accueillis par José Luis devant sa propriété. L’homme de 38 ans, grand chapeau sur la tête, nous tend un bol avant de nous serrer la main : « Bienvenue ! Yair m’a prévenu de votre arrivée. Allez-y, buvez ! » Ce n’était pas une invitation mais un ordre. Dans la cabosse, un liquide transparent comme de l’eau mais à l’odeur végétale assez enivrante. Il n’y aura pas que le parfum qui sera enivrant…

Aussi chaud dehors qu’au fond de la gorge
Nous découvrons ainsi la saveur du mezcal. Une gorgée chacun, ça nous remet l’estomac d’aplomb. L’alcool est à 45 degrés. De quoi se désinfecter les mains à la place d’un gel hydroalcoolique ! Reste que malgré tout le breuvage est délicat et parfumé. Nous rendons le bol à José Luis : on sait qu’il s’agit d’une exploitation qui approvisionne de grands restaurants partout au Mexique et que l’on peut retrouver ses bouteilles sur certaines bonnes tables européennes. Alors on ne veut pas faire les soiffards mais plutôt la jouer en connaisseurs, en dégustateurs plutôt qu’en alcooliques. Et puis il n’est pas 14h ! Ce n’est pas l’heure de l’apéro.
« Mais non, mais non ! Finissez ! » On se regarde tous les deux. Nos yeux se disent simultanément « C’est sympa, mais c’est sûr, on n’arrivera pas à finir la visite en bon état » ! Et ce qui devait arriver arriva. Ce n’est pas un bol (de la taille d’un bol de petit-déj’ où normalement on noie ses céréales) mais 3 ou 4 (impossible à compter à ce niveau là) que l’on boit chacun à tour de rôle tout au long de la visite de la palenque.
Bon, on ne sait pas si c’est une bonne nouvelle, mais on a plutôt bien tenu le coup tout au long de cette heure de visite alcoolisée. La preuve : on a bien retenu les explications de José Luis ! La fabrication du mezcal tient plus à l’élaboration d’un vin qu’à la simple distillation d’une gnôle au fond du jardin de tonton.

Pulque, mezcal et tequila
C’est d’abord un travail qui se transmet de père en fils. José Luis fait ainsi vivre le nom de son père et de son grand-père. Une transmission dont il espère ne pas être le dernier garant : il destine ses fils au même rêve familial. Ainsi, comme pour les grands domaines viticoles, c’est le savoir-faire qui fait la différence entre la vingtaine de propriétés de la région de Oaxaca. Il faut se battre pour imposer son alcool tout en maintenant les traditions qui font du mezcal une eau-de-vie extrêmement réglementée.
Les explications de José Luis sont fascinantes d’autant que sa propriété ne paie pas de mine : c’est pourtant ici que se prépare le meilleur mezcal du coin. Il y a d’abord les plants d’agave. Cette grosse plante était connue des Aztèques, elle leur fournissait leur alcool : le divin pulque dont nous avons appris à apprécier les propriétés quasi-mystiques à Guanajuato.
Au XVIIe siècle, les Espagnols importent le système de la distillation. Ils interdisent le pulque (jugé trop païen) et inventent la tequila et le mezcal (probablement plus chrétiens lol). La différence entre les deux alcools est d’ordre technique. La tequila ne peut être produite qu’à partir de l’agave bleue tandis que pour le mezcal on peut piocher dans 13 variétés (sur les quelques 150 formes d’agave présentes au Mexique).

Un travail d’artisan
Alors que la tequila peut être produite dans des fûts en inox en énorme quantité (d’où son prix très attractif), le mezcal doit suivre un processus plus artisanal avant d’être mis en bouteille. C’est ainsi que José Luis produit son breuvage. Il nous montre les troncs d’agaves que l’on utilise pour extraire le jus qui deviendra alcool. Ces grosses protubérances poussent au cœur de la plante. Elles sont difficiles à arracher. Elles sont lourdes et ressemblent à des ananas (d’où leur nom : piña, ananas en espagnol).
On s’approche ensuite d’un monticule de terre au sommet duquel est plantée une petite croix en bois : « C’est pour bénir la production », nous explique José Luis. En effet, juste en dessous se prépare l’étape qui différencie le mezcal de la tequila. Les piñas reposent depuis quelques jours dans une sorte de châsse de pierre recouverte de terre. Un bûcher a été installé au-dessus et a brûlé pendant 7 à 10h. Sous l’effet de la chaleur, l’amidon de l’agave se transforme en sucres. On laisse le tout refroidir près d’une semaine sous terre. La préparation se charge alors des apports de la terre et de la pierre ce qui lui donnera un goût « fumé » (à la différence de la tequila).
On moud ensuite les piñas. La famille de José Luis utilise un mortier. Mais d’autres maisons utilisent une roue actionnée par un cheval. Les fibres ainsi écrasées sont ensuite placées dans une cuve en bois où elles fermenteront pendant 7 à 10 jours selon la météo. Vient ensuite le temps de la distillation : il en faut trois, obtenues dans un four en brique. Et… C’est prêt !

Un déjeuner arrosé
C’est prêt et nous on est bien fait… Il fait chaud et on boit cet alcool depuis tout à l’heure. On aimerait faire une petite pause avant de repartir ; retrouver une camionnette… rentrer à Oaxaca… Le retour va être difficile. José Luis met rapidement un terme à ces réflexions : « Ma femmes et mes sœurs viennent de préparer à manger. Vous voulez déjeuner avec nous ? » La proposition tombe à pic. Il faut bien éponger le litre de mezcal qu’on vient d’ingurgiter et digérer toutes les informations que nous a transmises le maestro. On s’empiffre de galettes délicieuses que l’on remplit de tomates, de poulet et de toute sortes de sauces que nous apportent les femmes de la famille.
Des amis de José Luis partagent la table avec nous. On parle de foot et de mezcal, de la France et du Covid. On rigole tous ensemble quand la mama nous met littéralement les galettes dans la bouche : « Il faut manger ! Il faut manger ! » Evidemment pas d’eau à table mais du mezcal. On ne sait plus à combien de litres on en est. Mais on se dit aussi qu’on déjeune dans la campagne mexicaine, on partage la table d’une famille dans une propriété qui serait l’équivalent d’un bon château bordelais ; c’est samedi mais on se croirait un dimanche. Alors on profite du moment, de la fraîcheur du préau sous lequel on se protège du soleil. Et on rigole.
Quelle meilleure publicité pour son mezcal José Luis nous a-t-il proposé au cours de cette demi-journée ! On veut lui en acheter une bouteille avant de repartir. Yair nous avait prévenu : ce n’est pas donné. Un défi pour le négociateur en chef : Matthieu. Retrouvant tous ses réflexes de fils de commerçants, il entame un pourparler avec le patron de la palenque. On démarre à 900 pesos (37 euros). On regarde dans notre porte-feuille. Il faut qu’on se garde un minimum d’argent pour pouvoir payer le bus retour…

Une heureuse négociation
On est un peu penaud mais Matthieu sait qu’il peut proposer 650 pesos à José Luis. Il fait le fond de ses poches ; fait mine de ne rien pouvoir payer davantage ; lui tend un billet de 500 et 150 pesos en petite coupure. José Luis accepte en disant que comme on connaissait Yair, il nous faisait un prix d’ami. On est sur le point de le remercier quand, en nous donnant la bouteille, il nous rend en même temps le billet de 500 pesos : « J’ai dit que vous étiez des amis ! » Un peu surpris, on le remercie chaleureusement. On repart donc avec une pleine bouteille du nectar à 150 pesos (6 euros) ; un prix imbattable, quasiment de l’ordre du symbolique. Comme un objet magique, ce mezcal est déjà une source de sociabilisation. Nous l’éprouverons encore dans quelques jours…
Pour l’heure, comme sur un nuage, nous repartons légers et le pas alerte nous arrivons au bord de la route, là même où la camionnette nous avait déposés quelques heures plus tôt. La chance est décidément avec nous puisque nous tombons quasi-instantanément sur un vrai petit bus qui nous ramène directement à Ocotlán. Nous en profitons cette fois pour visiter l’église, superbe exemple du baroque hispano-mexicain aux murs blancs et aux peintures subtiles.
Devant, c’est le marché hebdomadaire qui bat son plein. Les Indiens des alentours viennent y vendre leurs productions de fruits et légumes. De la viande et de la charcuterie pendent au-dessus des comptoirs. La comida corrida du midi est terminée depuis longtemps. Les tables et les chaises sont néanmoins toujours en place, du mobilier en plastique assez rudimentaire, tout petit : on croirait une succession de dînettes.

Gulliver chez les Lilliputiens
Rien d’étonnant : autour de nous, les gens sont tout petits. Pas petits comme les Mexicains de Mexico, pas trapus comme ceux de Puebla. Les habitants du coin sont simplement de petite taille. Nous ne sommes pas très grands nous-mêmes mais nous les dépassons d’au moins 3 têtes. Si bien que si nous ne nous penchions pas, notre ligne d’horizon ne rencontrerait pas leur regard. La sensation d’être des géants est assez singulière. Ajouté l’effet du mezcal et nous avions l’impression de voyager comme Gulliver à Lilliput. Quand on s’assoie pour boire un café, nos genoux arrivent au niveau de nos oreilles.
C’est donc passablement voûtés mais heureux que nous reprenons le bus pour Oaxaca. La nuit tombe doucement. Les rues restent calmes malgré le début du week-end et les artères embouteillées de Oaxaqueños en partance pour la campagne. Sur la place principale, un groupe de mariachis fait danser des sexagénaires masqués. Nous passons devant la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption, somptueusement illuminée, dévoilant les détails des sculptures du XVIIIe siècle. Elle n’est étrangement pas tournée vers le zócalo mais vers la rue que nous prenons nous conduisant au restaurant déniché par Pierre.
Le bien nommé Restaurante Catedral propose en effet l’un des meilleurs chiles en nogada de la ville. Il s’agit d’un plat essentiellement dégusté en septembre, à l’occasion des fêtes patriotiques. C’est le moment où jamais de le découvrir. Nous sommes accueillis comme des rois dans ce patio agréablement aménagé où les tables au pied des arbres sont sanitairement espacées. Une fontaine et un musicien (un peu flemmard) qui pousse de temps en temps quelques notes sur son petit piano complètent le tableau. L’ambiance est agréable.

Le plat patriotique
Arrivent nos deux chiles en nogada. Il ne faut pas mal tomber car même si la recette de base est toujours la même, les portions et le petit je ne sais quoi en plus peuvent faire toute la différence entre un bon chile en nogada et un mauvais chile en nogada (un peu comme quand on demande la différence entre un bon et un mauvais chasseur). Ici, c’est un bon chile en nogada. L’assiette est remplie de cette préparation qui, au premier coup d’œil, représente le drapeau mexicain.
Une sauce blanche aux cacahuètes recouvre un gros piment non piquant (comme les scorpions, plus c’est gros moins ça pique) farci d’une viande de porc et d’une vingtaine d’ingrédients. Le tout est recouvert d’herbes hachées sur le côté gauche et de graines de grenade sur le coté droit. Ce qui donne le tricolore vert, blanc, rouge du drapeau national. Et c’est vraiment délicieux.
Arrive le moment gênant de la soirée. On commande deux desserts. Mais au lieu de nous servir ceux demandés, le garçon arrive avec un petit gâteau d’anniversaire sur lequel une bougie fontaine s’accroche. On aurait voulu être discret, c’est raté ! Même le pianiste s’est réveillé et se met à jouer un air de « Joyeux anniversaire ». Mais pourquoi ? On se regarde. On ne comprend pas. Pourtant le serveur, tout sourire, nous pose le gâteau et sa bougie scintillante au milieu de la table. Tous les regards se tournent vers nous. Les autres clients commencent à applaudir. On dit au serveur qu’il doit y avoir une erreur. Ce n’est pas notre anniversaire !

Un cadeau inattendu
Mais non, le serveur nous certifie que si ! On regarde s’il n’y a pas de caméras autour. Et puis au bout de 5 longues minutes de « Cumpleaños feliz » on remercie le chef de rang et au moment où la bougie s’éteint, Pierre a une étincelle. Quand il avait réservé le resto sur Internet, on lui avait posé une toute dernière question : « Venez-vous pour une occasion particulière ? » Comme pour un backpacker venir dans un resto sympa est une « occasion particulière », il avait coché « Sí ». Le resto, qui fait bien son boulot, a pris ça pour un dîner d’anniversaire. Il a alors sorti le grand jeu. D’où le quiproquo. Mais on a eu droit à un dessert offert… en plus des deux autres commandés.
Une bonne soirée arrosée d’un excellent vin mexicain de la Valle de Guadalupe qui termine cette longue journée. On peut vous dire qu’après tout ça on a dormi comme des bébés ; un sommeil que les telenovelas matinales de nos voisins de chambre n’ont même pas réussi à perturber.
Oaxaca se réveille toujours dans le calme. Même si notre hôtel donne directement sur les marchés « 20 de Noviembre » et « Benito Juárez » juste à côté de la Casa del Mezcal et à deux pas du zócalo, le plan en damier, les quelques rues piétonnes, l’absence de deux-roues et, surtout, la tranquillité des Mexicains donnent à cette ville de 260.000 habitants un visage serein. Grasse-mat’ oblige, le desayuno se transforme vite en déjeuner accompagné d’un indispensable café.

Visite de la ville de haut en bas
Nous visitons le musée d’art contemporain niché dans une ancienne villa coloniale. Très intéressant, il a avant tout l’avantage d’être ouvert. Car, par exemple, la cathédrale et le musée attenant sont, eux, fermés « porque Covid ». Nous y rencontrons David, flic assigné à la surveillance des lieux, il nous expliquera autour d’un verre qu’il est en fait « espion »… Nous feignons de le croire ou le croyons sans le croire.
Pas une ville sans panorama ; étape indispensable pour chaque visite afin de comprendre d’en haut comment on vit en bas. C’est le passage obligé pour Matthieu. Le point de vue est à la sortie de la ville. Il nous permet de passer par des quartiers un peu moins jolis architecturalement mais recouverts de street-art. Ce qui donne une ambiance encore plus colorée, vivante. Et finalement, comme souvent, la vue s’avère plus décevante que le chemin pour y accéder.
En redescendant, nous passons devant un joyau : la basilique Nuestra Señora de la Soledad. À mi-chemin du mirador, elle domine en partie la ville. Sa façade baroque du XVIIIe siècle est un véritable retable de pierre. Des dizaines de statues, de frises, de chapiteaux… Tout pour émouvoir le croyant comme le profane.

Sauterelles grillées et chocolat chaud
Nous passons un peu plus loin dans la ville et sortons carrément du centre historique pour nous retrouver au grand marché central de Abastos. Immense. Il faut une passerelle pour passer d’un côté à l’autre sans avoir à traverser l’autoroute urbaine au milieu. Labyrinthique. On nous prévient à notre passage : « Faites attention avec votre appareil photo ! » On passe sous une piñata Covid quand un orage violent vient d’un coup rafraîchir l’atmosphère. Plus que le bruit du tonnerre qui résonne comme autant d’explosions sous la tôle des halles, c’est la pluie qui provoque un boucan et une inondation instantanée. Elle s’engouffre entre les plaques mal celées ou trouées. Il faut écoper comme dans un bateau avec des sceaux, des pelles, au risque de voir la structure sombrer.
Passant d’un temps tropical à un automne vosgien, nous devons nous réchauffer autour d’une bonne tasse de chocolat chaud. Les tonnes de chocolat en poudre à 50 pesos (2 euros) le kilo nous ont donné une furieuse envie de cacao. Le Mexique, on le sait assez peu, est le berceau du chocolat. Au même titre que le maïs, l’agave ou la pomme de terre, le cacaoyer est l’une des fiertés naturelles du pays. Et même si nous repartons avec un sachet de sauterelles grillées (les chapulines) pour l’apéro, c’est bien d’un chocolat chaud dont nous avons besoin.
Nous sautons au-dessus de quelques flaques d’eau, nous manquons de nous faire éclabousser par des camions de livraisons en sortant du marché, Pierre commence à maudire ses Stan Smith offertes à Noël à Bangkok par Matthieu qui aujourd’hui sont usées jusqu’à la corde et laissent entrer l’eau. Quelques « floc floc » de pieds mouillés plus loin, nous nous engouffrons à La Soledad, l’un des meilleurs cafés de la ville ; l’un des plus anciens aussi. La déco n’a pas changé depuis au moins 1950. Les ventilos au plafond brassent de l’air gorgé d’humidité. Le patio central est transformé en énorme débarras. Mais c’est là, au pied de quelques chambres d’hôtel, que nous trouvons notre salut.

Désinfection générale
Nous n’avons jamais bu un chocolat chaud aussi bon. Loin du chocolat épais espagnol, il est plus liquide, plus délicat et le goût est véritablement exceptionnel, presque fruité. Il n’est pas fait à partir de chocolat en poudre mais directement depuis un « boudin » de chocolat que l’on fait fondre avec du lait chaud. Oaxaca fabrique du bon chocolat issu des meilleurs cacaoyers du Sud-Mexique situés dans le Chiapas, à 350 km de là. On en a encore l’eau à la bouche quand nous quittons l’établissement. Il ne pleut plus. Et le soleil a déjà séché les trottoirs. Le soir, devant notre chambre d’hôtel, l’apéro se composera de sauterelles et de mezcal. C’est bon, nous vivons désormais à l’heure mexicaine !
Le lendemain, nous souhaitons découvrir les environs de Oaxaca. Région riche en histoire et en patrimoine, les villages alentours se sont spécialisés pour attirer des touristes. Pour le coup, les bus jouent le jeu : ils sont nombreux à transporter les habitants d’un bourg à l’autre, à défaut de servir de bus aux visiteurs, inexistants en cette période de pandémie. D’ailleurs, nous croisons encore des entrées de villages au bord de la route barrées de grands panneaux : « Pueblo sin Covid-19 » Entendez par là des communes qui ont décidé de s’enfermer en interdisant toujours leur accès aux visiteurs étrangers au village (y compris mexicains).
À la porte de Mitla, notre première étape, on ne nous interdit pas de passer mais on fait descendre tous les passagers du bus. Des agents en combinaison montent alors dans le véhicule et le désinfectent à la Javel à l’aide d’un pulvérisateur utilisé pour sulfater les potagers. On nous badigeonne les mains de gel hydroalcoolique et on nous prend la température comme à l’entrée de chaque lieu public clos au Mexique.

Mitla et Teotitlan, villages-musées
Malgré toutes ces précautions, le site archéologique de Mitla reste fermé à la visite. La veille, le flic/agent secret nous avait proposé de passer en douce. Mais ses explications étaient trop alambiquées pour qu’on tente le diable. Et puis d’ailleurs, même vu à travers les grilles, le site construit par les peuples précolombiens zapotèques et mixtèques, bien que majeur, ne méritait pas que l’on risque la prison pour lui. Même la grosse église surplombant les constructions avec ses dômes recouverts de tuiles rouges, belle de l’extérieur, ne réussit pas, à l’intérieur, à nous mettre des paillettes dans les yeux. Tout ne peut pas être parfait. Et en cette période particulière, il faut toujours faire preuve d’humilité.
Nous partons à Teotitlan, autre village qui lui est plus artisanal. En fait, comme Mitla, l’absence de touristes donne à ce village des allures de cité fantôme. L’endroit est beau, malgré le vide. L’église qui le domine a gardé des traces des anciennes constructions zapotèques. Ainsi, on s’étonne de retrouver des pierres gravées de signes mystérieux constituant les bases de l’édifice chrétien. Comme pratiquement toujours au Mexique, les Espagnols n’y sont pas allés de main morte pour asseoir leur domination : la première action a toujours été de détruire les temples pour les transformer en église, quitte à utiliser les mêmes matériaux.

On mange une tlayuda, une sorte de pizza à pâte fine, spécialité de Oaxaca, et on pousse notre expédition… Ou plutôt non. On se fait déposer par un taxi collectif jusqu’au bout de la longue route en terre qui rejoint l’axe Salina Cruz/Oaxaca. Le temps est menaçant. Et on veut éviter de se retrouver sous la pluie comme hier. Alors on profite des derniers paysages de la campagne oaxaqueña. Un plateau entouré de montagnes. Des champs où tout pousse et où tout est cultivé. Les camionnettes poursuivent leurs routes vers Mexico ou vers l’Océan. On les suivra de ce côté là demain. Vers le Pacifique, un autre Mexique nous attend.
Notre hébergement
La Casa Tobala, idéalement située près du Mercado 20 de Noviembre, au cœur du centre-ville. Le bâtiment est organisé au premier étage autour d’un grand patio sur lequel donnent les chambres : on est donc à l’abri de l’agitation de la rue. Chambres spacieuses et confortables. Comptez 800 pesos la nuit à deux (40€).
Pour aller plus loin
Chanson. « Pulque, mezcal et tequila », d’Hubert Felix Thiéfaine
ha !
ça fait voyager !
même après dix-huit heures !
sans dérogation et sans masque.
Laurent