Un Noël à Bangkok

Une lectrice qui se reconnaîtra nous avait parlé de Bangkok comme de « la ville des plaisirs ». Cette routarde au long cours, qui a rencontré le gourou Osho en Inde et a failli se faire enlever en Amérique latine, savait de quoi elle parlait. Bangkok est à nous, en cette veille de Noël. Et quelques semaines après notre passage dans la capitale thaïlandaise des sensations, des couleurs, des envies nous reviennent facilement à l’esprit.

[Récit de notre séjour à Bangkok du 22 au 26 décembre 2019]

C’est par une petite gare de quartier que nous entrons dans la mégalopole peuplée de 9 millions de personnes. Le jour commence à s’effacer dans une atmosphère dorée. C’est dimanche et les rues de ce que nous pensions être une fourmilière sont étrangement calmes. Bangkok est dans une demi-torpeur faite de fin de journée, de fin de semaine et de fin d’année. En ce 22 décembre, après nos péripéties germano-thaïlandaises du matin, nous sommes néanmoins libres et nous ne passerons pas Noël en prison.

Bangkok et le culte royal

Un esprit de soulagement nous accompagne, Chantal, Olivier et nous, sur ce petit engin à moteur que l’on pourrait appeler tuk-tuk mais qui ressemble plus à une caisse en métal éclairée de néons et de LED multicolores dans laquelle nous nous agglutinons derrière un chauffeur juché sur sa moto. Tractés depuis la gare de Thon Buri, ancienne capitale du royaume de Siam, nous ne sommes qu’à quelques pâtés de maisons de notre hébergement.

La petite gare de Thon Buri

Nous franchissons un premier pont sur le Chao Phraya, le fleuve qui traverse la ville. Et nous nous retrouvons sur une vaste avenue flanquée de dizaines de drapeaux royaux jaunes et de portraits du roi Rama X, fraichement couronné. Depuis le début de notre séjour en Thaïlande, les effigies du monarque s’affichent partout : non seulement sur les façades des bâtiments publics, mais aussi au bord des routes, au moindre carrefour et jusque dans certaines boutiques.

Ce culte royal peut faire penser aux us marocains où le roi est monarque mais aussi Commandeur des Croyants. En Thaïlande, Rama X est également Chef de l’Etat et Gardien du culte bouddhiste. Il est interdit de le contredire ou de le moquer sous peine de se voir accuser de crime de lèse majesté. La différence avec la législation marocaine est qu’en Thaïlande l’offense envers le roi est désormais étendue à la reine, au prince héritier, au régent ainsi qu’aux monarques décédés, à l’armée et même à son chien ! Le « Pays du sourire » est donc aussi le pays de l’ironie…

La douceur d’un soir d’hiver

Nous ne nous étendrons donc pas sur la stature toute relative que le roi arbore sur ses portraits. Et d’ailleurs, ce n’est pas là l’essentiel, car nous arrivons à notre hôtel. Un petit établissement coquet situé au bord de l’un des nombreux canaux qui arrosent Bangkok. Escalier raide mais chambres modernes et bien aménagées : nous sommes même logés dans un angle de l’établissement, avec fenêtres sur deux côtés et vue sur les immeubles alentours. Ce genre de détails peut paraître banal, mais en Asie du Sud-Est c’est presque un exploit.

Portrait du roi Rama X devant le fort de Phra Sumen

L’hôtel est chaleureux. Les vacanciers qui sont là en même temps que nous viennent fêter Noël. Il y a des familles, des groupes d’amis. Pierre adore cette ambiance de fêtes de fin d’année. Un sapin enguirlandé est même installé dans le hall. C’est la première fois que nous ouvrirons nos cadeaux en t-shirt et short ! Alors, pour se mettre déjà dans l’ambiance, c’est l’heure de l’apéro. On part chercher quelques cochonneries bien chimiques mais tellement asiatiques au 7-Eleven du coin pendant qu’Olivier ouvre une nouvelle bouteille de vin et que Chantal déballe les derniers fromages qui ont réussi l’exploit de ne pas se faire la malle.

On s’installe tous les quatre sur le rooftop désert de l’hôtel et on commence à admirer les toits dorés des temples qui illuminent le ciel rouge de la ville. La réverbération des millions de lumières de la cité nous empêche de distinguer les étoiles. Ne sont-elles pas dans les reflets miroitants des gratte-ciels, au fond ? Des avions décollent et atterrissent toutes les 30 secondes. Bangkok ou Phuket en destination de vacances pour les fêtes de fin d’année, c’est presque un cliché. Mais pour nous c’est simplement la suite logique de notre trajet.

Mélanges culinaires

Il est temps de manger. Direction les rues animées de la ville, de l’autre côté du canal. Nous ne sommes plus en dehors des sentiers battus mais bien dans le quartier le plus touristique de Bangkok. Un quartier néanmoins à voir car… tout est à voir. Entre les salons de massage et les restaurants proposant des pintes de bière pour trois fois rien, on peut déguster une tarentule ou découper un morceau d’alligator qui cuit devant nous. Voilà où se trouve l’animation qui nous avait manquée en arrivant ! Les étrangers devaient encore décuver quand nous avons débarqué tout à l’heure. Les voici qui ressortent dans ces lieux de perdition mangeant un roti (comme en Inde) ou buvant des litres de Chang.

Rue bangkokienne

Les parents de Matthieu sont conquis par le mouvement et songent même à y retourner dès le lendemain matin quand on dormira. On s’installe dans un coin de rue : un restaurant (mais lequel ?) fait des choses à manger (mais quoi ?). Ça a l’air bon : des sortes de galettes avec des fruits de mer ou plutôt comme des pizzas mais avec une pâte très fine et des légumes dessus. Bref, quelque chose d’indéfinissable mais très bon que l’on arrose par notre traditionnelle Sato Siam trouvée dans une supérette voisine. Même Olivier s’y met ! Pierre, en bon gendre, lui en apporte une bouteille tandis qu’il ramène un Lipton Ice Tea citron à Chantal — la découverte thaïlandaise de la mère de Matthieu.

Finalement, on a bien mangé. On a bien bu aussi. Mais il nous manque une touche de sucré. On se faufile dans la foule toujours plus dense plus l’heure passe. On arrive même à se perdre quelques minutes. Heureusement, on se retrouve autour d’un stand de roti, ces crêpes croustillantes asiatiques fabriquées dans un ballet de mouvements par un adroit commerçant. On innove en commandant un roti miel, banane, oeuf. Inutile de préciser que le premier des ingrédients de la préparation est l’huile… Mais c’est bon ! Et on rentre dans un brouhaha de musiques techno et de stroboscopes déversés par l’ensemble des commerces de la rue qui se font concurrence.

One night with DSK

On rentre… Ou plutôt, on raccompagne les parents de Matthieu à l’hôtel. Ce soir, c’est le dernier soir où nous aurons l’occasion de sortir avant Noël. On se prend alors une nouvelle Sato Siam sur un pont enjambant un canal. Là, deux étudiants pêchent le poisson. On discute avec eux et ils nous présentent leurs prises. Le reste de la nuit ne sera que lumières, Rihanna, battements, pulsions, tapement des pieds, traversée de la ville en taxi, immeubles et gratte-ciels, ruelles, DSK,… DSK ? « C’est pas lui, là-bas ? » C’était bien lui, dans ce quartier enfiévré de Bangkok. Nous avons pour ainsi dire passé une nuit en Thaïlande avec l’ancien directeur général du FMI.

Douceur après une nuit de folie

Au matin, nous rentrons. Nous avions donné rendez-vous aux parents de Matthieu à 10h. On peut encore dormir quatre heures, une sieste. On retrouve Chantal et Olivier à 11h. Une heure de retard, c’est là aussi un exploit. Ils en ont profité, comme ils l’avaient prévu la veille, pour retourner dans la rue de l’alligator qui grille, embroché. On fait plusieurs dizaines de mètres ensemble. Une distance qui ne se compte pas avec notre système métrique… mais au nombre de gouttes de sueur qui coulent de notre front. Nous sommes mal. L’enchainement de vin, bière, vodka,… Cette pizza qui n’était pas vraiment une pizza. Et puis cette crêpe beurre, œuf et puis on ne sait plus trop quoi…

« Ça ne te dérange pas si je te laisse avec tes parents ? Je pense que je ne vais pas pouvoir vous suivre… », supplie Pierre à Matthieu alors que nous nous étions installés pour manger une omelette, sous le regard complice de Chantal et Olivier. Matthieu n’attendait que ce signal pour cracher le morceau : « Bon, je pense qu’on va rentrer… On se retrouve cet après-midi ? »

Second réveil

Les premières photos de ce 23 décembre ont été prises à 15h45. Bon moyen pour se rappeler à quelle heure nous avons terminé notre seconde sieste de la journée. Impossible de joindre les parents de Matthieu : sans carte SIM, ils n’ont visiblement pas trouvé de réseau wifi pour nous envoyer un message. On leur fait confiance : ils sont partis avec des indications précises de Matthieu ; ils doivent visiter le Wat Pho, à 3 kilomètres de là. On se décide à les rejoindre. La tête est moins lourde, on se lance à travers les grands boulevards bangkokiens. Là encore, le milieu d’après-midi est très calme. Nous retrouvons une densification plus importante aux abords de l’Université Thammasat au style colonial (bien que la Thaïlande n’ait jamais été soumise à une puissance occidentale).

La fameuse photo du 23 décembre à 15h45 (en face de notre hôtel)

Nous traversons la fac. Quelques étudiants sont allongés sur la pelouse qui donne directement sur le fleuve. Des food-trucks font office de cantine. C’est apaisant. Et tellement loin de l’euphorie de la nuit précédente. Passé le dernier porche de la fac, nous arrivons dans un quartier où les avenues ont laissé place à des ruelles tortueuses. Le vieux Bangkok s’ouvre sur le palais royal ceint de hauts murs blancs qui reflètent les derniers rayons du soleil. C’est le lieu du pouvoir royal et spirituel. Endroit sacré en Thaïlande. Nous nous sommes promis de le visiter le 25 décembre.

Nous poursuivons en direction du Wat Pho. Là où nous espérons croiser Chantal et Olivier. Les tuk-tuk attendent sur le trottoir d’en face. Les touristes, il faut le dire, sont nombreux à sortir du site. Nous sommes les derniers à pénétrer les hautes portes de ce temple du XVIIIe siècle. Et là, un spectacle de couleurs, d’architecture, de statuaires, d’encens et de robes oranges. Nous sommes dans l’un des plus beaux sanctuaires de Thaïlande. Des photos de feu Rama IX, le père bien-aimé de l’actuel souverain, visitant le site trônent au milieu d’une place intérieure, composées de petits stupas décorés de mosaïques multicolores et aux parterres magnifiquement fleuris.

L’hypnotisante psalmodie des moines

Mais la merveille est allongée dans un grand bâtiment plus loin dans le sanctuaire : un bouddha géant de 43 mètres attend là le dernier nirvana. Malgré la pesanteur de l’or qui le recouvre et les centaines de plaques de nacre qui ornent ses pieds, le bouddha semble serein, apaisé, presque aérien. D’ailleurs, l’atmosphère est calme autour de nous ; une artiste qui restaure une colonne est en pleine concentration, des fidèles font don de piécettes qu’ils jettent dans une cinquantaine de jarres judicieusement disposées devant la sortie.

Moines au Wat Pho

Notre visite se poursuit, sans gêne, seuls. Plus tard, les parents de Matthieu nous parlerons de la folie qui régnait au même endroit, quelques heures plus tôt, lorsqu’ils ont voulu, eux-aussi, approcher le bouddha couché. Nous terminons dans un nouveau temple aux côtés de moines assis en tailleur sur une estrade face à une statue divine. Un égrène ce qui semble être leur nom car à chaque mot prononcé un des moine répond par une sorte de « présent ! » (c’est en tout cas l’interprétation que nous en faisons).

La psalmodie est hypnotisante. Dehors, il fait déjà nuit. Nous rentrons, bien décidés à retrouver Chantal et Olivier. Espérant qu’ils ne se soient pas perdus. Ce soir, on doit retrouver nos amies Lisa et Sophie. L’heure est à la joie des retrouvailles. Les parents de Matthieu sont bien à l’hôtel. Détendus et nous racontant leur journée : ils ont pas mal marché mais ont réussi à visiter quelques sites et ont même réussi à demander leur chemin à des Thaïlandais. Une joie partagée. C’est l’effet tour du monde !

Lisa et Sophie : les retrouvailles !

Une douche pour tout le monde et il est temps de rejoindre Lisa et Sophie. Nous nous donnons rendez-vous à Maha Chai Road, un quartier à mi-chemin entre leur hôtel et le nôtre. Une rue connue par tous les abonnés de Netflix puisque c’est là que se trouve le fameux restaurant de Jay Fai, une vieille dame qui a toujours cuisiné dans la rue et qui s’est subitement retrouvée auréolée d’une étoile au Michelin !

Tombée du jour sur le Wat Pho

Son restaurant est aujourd’hui fermé : avec la célébrité et la (nette) hausse des tarifs de ses plats, celle qui n’avait jusqu’alors pas pris un jour de congé en plus de 50 ans d’activité se permet de baisser le rideau deux fois par semaine. Nous ne dégustons pas une omelette au crabe à 1.100 baths (30 euros), mais nous trouvons un petit boui-boui qui nous plaît bien juste à côté et nous nous régalons.

Distribution de premiers cadeaux : Lisa et Sophie sont venues accompagnées d’un magnifique demi-Saint-Nectaire. Matthieu bave littéralement sur la table : la veille nous venions de terminer le dernier morceau de fromage de Chantal et Olivier. Fromage pour Matthieu et un exemplaire du journal Le Monde pour Pierre. Nous sommes refaits ! Premières impressions partagées sur Bangkok : les filles, qui sont plus « nature » que « ville », sont charmées par le mélange culturel de la capitale thaïlandaise. Elle sont arrivées il y a quelques jours, ont eu le temps de descendre un peu plus vers le Sud, et ont une vision déjà plus complète que la nôtre. Elles logent du côté de Chinatown : « Une vraie ville dans la ville ! » Nous avons hâte de nous y rendre.

Le « MessedeMinuitgate »

Mais la discussion la plus enfiévrée concerne les préparatifs de Noël. Demain, c’est le réveillon. Nous avons prévu d’aller tous ensemble à la messe. Pierre avait dressé une short-list de quelques lieux de culte, s’étant même renseigné auprès du diocèse francophone de Bangkok. La cathédrale est évidemment plus solennelle mais manquera peut-être de chaleur humaine.

Achats de Noël

Une église de quartier semble intéressante. Mais si on veut dîner après la messe, elle est trop loin des restaurants sympas. Une autre église, bien située, peut faire office de compromis mais il s’agit précisément de l’église francophone : avons-nous vraiment envie de suivre une messe en français alors que nous avons la chance d’être en Thaïlande ?

Bref, les parents de Matthieu ont vite lâché l’affaire. Nous convenons d’une église et d’un quartier pour dîner. Nous fixons les horaires pour l’apéro pré-célébration (avec Saint-Nectaire en invité d’honneur) : ce sera chez les filles. Mais jusqu’au dernier moment, Chantal et Olivier seront un peu perdus dans l’organisation : tant mieux, ils se détendent, n’ont rien d’autre à faire que de nous suivre !

Au royaume de la bouffe

La soirée se termine sur un coin de table, dehors, entourés de la foule joyeuse de Thaïlandais qui dînent en famille ou entre amis. On commande deux mango sticky rice : un pour Lisa, Sophie et Matthieu et un pour Pierre. Noël oblige : on respecte les traditions et Pierre ne déroge pas à sa règle de ne pas partager les desserts ! On s’embrasse encore : ça fait du bien de retrouver les filles après quatre mois de séparation et bien qu’on ne les ait jamais vraiment quittées grâce aux réseaux sociaux et aux mails personnalisés.

Lisa, Sophie, Matthieu, Chantal, Pierre et les deux (!) mango sticky rice

Le lendemain, 24 décembre : branle-bas de combat, il faut acheter les cadeaux de Noël ! Nous n’avions évidemment pas emporté la hotte du Père Noël avec nous lors de notre départ mi-août. Il faut donc nous séparer encore une fois, les parents de Matthieu et nous, afin de nous lancer dans les achats les plus importants de l’année. On file alors dans l’un des plus grands centres commerciaux de Bangkok : le Siam Center. Immense complexe au coeur d’une forêt de gratte-ciels : on pénètre dans le mall au niveau de la nourriture. Désolé d’être vulgaire, mais on peut littéralement parler de l’étage de la bouffe !

Il y en a partout sur une surface indéfinissable. Sous toutes ses formes, la nourriture déborde des allées : stands de street-food, pâtisserie, restaurants imitation brasserie parisienne, spécialités au wok, pasta et pizza, hamburgers plus américains les uns que les autres, cookies, macarons, sucreries en tout genre, sculpture de choux à la crème, poulets rôtis, viande saignantes, french fries, fruits de saison et légumes européens… On pourrait passer la journée uniquement à cet étage. Mais le temps presse et ce n’est pas là que l’on trouvera un cadeau de Noël.

Chinatown : une ville dans la ville

On grimpe les étages ; on ne sait plus combien le centre commercial en compte. Nous passons d’un immeuble à un autre et on arrive dans l’immense librairie Asia Books. C’est là que nous dénichons deux beaux livres pour Lisa et Sophie assortis de deux magazines de J-Pop importés du Japon. On aimerait poursuivre notre exploration mais il est déjà midi. Et on n’a rien trouvé pour les parents de Matthieu.

Chinatown à Bangkok

Alors on se résout à se perdre encore une fois dans les rues de la ville avec une idée précise en tête… Mais évidemment c’est toujours dans ces situations que nous ne trouvons pas le cadeau envisagé. Nous formons un panier garni avec des produits thaïlandais appréciés par Chantal et Olivier (avec notamment du thé thaï). On se retrouve tous les quatre. On a quelques heures devant nous alors on se dirige vers le quartier des filles, Chinatown entre les rues Yaowarat et Charoen Krung. Nos amies nous avaient prévenus : nous sommes en effet dans une autre ville. Tout n’est plus que chinois : de la décoration des rues aux lanternes rouges en passant par la nourriture laquée et autres bizarreries comestibles recherchées uniquement par la diaspora chinoise vivant depuis des décennies dans ce quartier.

On goûte des boissons aux parfums indéterminés ; on s’intrigue devant les vitrines des apothicaires où de grandes jarres en porcelaine ou en terre nous regardent du haut d’impressionnantes étagères en bois. Nous nous demandons à quoi peuvent servirent ces racines que l’on voit bouillir dans un chaudron. On hume les odeurs et on s’enfonce un peu plus à travers des ruelles bondées sans fin. Les magasins débordent de déguisements de Noël et d’accessoires de décoration. On met alors nos bonnets de Père Noël apportés par Chantal. Et on passe inaperçu dans ces dédales de coursives et de rues où Noël se mêle à la culture chinoise.

Le légendaire Bouddha d’or

Des figures de dragon côtoient l’imagerie pieuse de Jésus, Marie et Joseph. L’ambiance est électrique. On en profite pour faire goûter des insectes à Chantal et Olivier : les meilleurs étant les larves tout juste séchées et bien juteuses à l’intérieur. Et on arrive devant le Wat Traimit : le temple du Bouddha d’or. Pas impressionnant par ses dimensions mais à l’histoire incroyable. Dans ce temple à étages, se trouve la statue d’un bouddha de trois mètres entièrement en or : ne cherchez pas ailleurs, il s’agit de la plus grande statue en or du monde ! Une information qui nous paraît incroyable et qui n’a pas toujours été connue des Bangkokiens. 

Notre goûter du 24 décembre

On s’explique : la statue a longtemps été abritée par un temple situé non loin de là. Le bâtiment était depuis longtemps abandonné et des travaux dans les années 1930 devaient le détruire définitivement. Néanmoins, il a été décidé de conserver la statue et de la déposer dans un autre sanctuaire du quartier. Il faut savoir qu’à ce moment-là, la fameuse relique était recouverte d’un stuc doré. Elle n’avait pas d’autre intérêt que ce qu’elle représentait.

C’est pourquoi, la statue est restée pendant près de 25 ans sous un toit en tôle, son nouveau sanctuaire n’ayant pas de place pour l’accueillir. Lorsqu’en 1955 les moines décidèrent de construire un nouveau temple, on trouva un emplacement de choix pour la statue. On emploie alors une grue pour la déplacer. Mais, ne connaissant pas le poids de l’effigie, pensant néanmoins qu’elle ne devait pas peser plus lourd qu’une banale statue en stuc, on ne prît pas assez de précaution et les cordes qui devaient permettre sa portée ont cédé, laissant retomber lourdement la statue, la fissurant à certains endroits.

Pré-réveillon au Saint-Nectaire

Malheur de malheur ! Ce bouddha qui casse est un mauvais présage. Une pluie diluvienne s’abat sur Bangkok le soir-même. Au petit matin, un moine du coin vient constater les dégâts et commencer à dégager la statue de la boue. Il se rend compte que le stuc n’est qu’une couche qui recouvre en fait un métal doré : de l’or massif ! La statue aurait été enveloppée d’enduit afin de ne pas attirer la convoitise des différents envahisseurs qu’a connus la Thaïlande, et notamment échapper aux pillages des Birmans. On ignore de quand date ce bouddha doré. Son style est caractéristique des XIIe-XIIIe siècle. Il ne peut avoir été sculpté après 1750. Il viendrait d’Ayutthaya, l’ancienne capitale du Siam, notre prochaine étape.

Le Bouddha d’or

C’est devant ce trésor national que nous rêvons quelques instants avant de rejoindre Lisa et Sophie car l’heure du réveillon a sonné ! Les filles ont dû prendre le bateau (oui, le bateau) pour trouver du vin de l’autre côté du fleuve. La bouteille y est passée, de même que le Saint-Nectaire. Belle entrée en matière avant la messe que nous suivons à l’église du Saint Rosaire dans le quartier populaire de Samphanthawong. L’ambiance est très décontractée, les ventilateurs tournent dans un rythme effréné au-dessus et à côté de nous, les fenêtres ouvertes, nous avons pourtant la peau humide.

Le célébrant est un petit prêtre très volubile. Les fidèles se lèvent et sortent à tout moment. L’équivalent de l’assistance à l’intérieur de l’église se trouve désormais à l’extérieur, sur des chaises en plastique disposées sur le vaste parvis. L’église est de style néo-gothique, à taille humaine, peinte de jaune et de blanc, l’intérieur un chouia kitsch. Nous ne comprenons pas un mot de la messe en thaï mais nous distinguons les différentes étapes de la liturgie.

Kermesse et tombola

Le moment le plus incroyable arrive à la toute fin de la célébration. On nous distribue un papier cartonné de la forme d’un marque-page. Un dessin pieux, une intention de prière et un numéro en bas de page. Chacun a un chiffre différent. C’est le seul signe distinctif entre deux tickets. On se regarde sur le banc et on commence à plaisanter : « C’est peut-être pour une tombola ! » Et on n’avait pas tort !

Autre forme de prière

Au micro, le prêtre explique que des lots incroyables sont maintenant mis en jeu. Et le voilà qui touille dans un sac des morceaux de papier. À chaque numéro appelé, c’est un déclenchement d’applaudissements, de sourires et de joie tout autour de nous. Malheureusement, nous n’avons rien gagné, pas même cet énorme portrait du Christ rédempteur ou cette non moins encombrante statue de la Vierge en plâtre (notre surplus de bagages en soute nous remercie).

À l’extérieur, c’est une véritable kermesse qui s’est installée pendant la tombola. De grandes tables sont dressées : on peut se servir de la soupe, du riz et même des glaces pour le dessert ! Des boissons (non alcoolisées) sont servies. Des jeux gonflables pour les enfants sont aussi sortis. C’est convivial, familial, joyeux. Tout cela offert généreusement aux fidèles et à tous les gens de passage. Le véritable esprit de Noël !

Les cadeaux de Minuit

Même si on n’a pas résisté à nous mêler aux fêtards de la paroisse, on doit quand même honorer notre réservation au restaurant. On chemine à travers les sentes mal éclairées de ce quartier de Bangkok entre rue de la ferraille et traverses commerçantes, on nous souhaite un « Merry Christmas » mais on note les regards interrogateurs quand on nous voit avancer avec nos bonnets de Père Noël scintillants. La frénésie du jour est retombée comme un soufflet. C’est le calme et presque la fraicheur qui souffle sur Bangkok ce soir.

Le Wat Arun

Le restaurant dans lequel nous réveillonnerons est pour ainsi dire vide, égayé seulement par un groupe de jazz qui procure une ambiance tout de même de fête. Nous partageons de nombreux plats tous les six. Puis nous déballons nos cadeaux à minuit pétante : la serveuse nous faisait comprendre depuis 10 bonnes minutes qu’il serait peut-être temps de rentrer… Mais l’essentiel encore une fois est là : nous sommes tous réunis à Noël à Bangkok avec nos parents (Pierre vient d’avoir les siens au téléphone) et nos amies de longue date. Qui l’eût dit il y a seulement un an ?

Le lendemain, jour de Noël, c’est les yeux plein d’étoiles, mouillés par la joie de Noël, que nous prenons le bateau sur la Chao Phraya. Pendant que Lisa et Sophie partent explorer un quartier underground du nord de la ville, nous découvrons sur l’autre rive le Wat Arun, le temple de l’aube, élégante construction grise qui fait face au Wat Pho et au palais royal, notre destination.

Pensées sur le fleuve

Les mouvements sur l’eau des dizaines de bateaux qui empruntent le fleuve ne sont rien comparé à ce que nous avons vécu tous les quatre sur le lac Ratchaprapha il y a quelques jours. Le temps passe vite. On profite de cette croisière pour se souvenir de tout ce que l’on a vécu ensemble en cette fin 2019. Les larmes qui commencent à monter à la dégustation d’un plat trop épicé à Khao Sok, la rencontre avec la police de l’immigration à Sam Roi Yot, la découverte des nomades de la mer à Koh Chang, la frénésie de la rue Soi Ram Butri, le sanglant combat de boxe thaï au Baan Chao Phraya, la promenade nocturne au pied des murailles de Bangkok dominant le fleuve, le varan languissant que nous venons d’observer à l’embouchure de deux canaux…

Sur la Chao Phraya

Et nous débarquons devant le palais royal. Le bateau que nous venons de prendre fait office de métro flottant, peu onéreux. Nous enjambons les cordages avec la cinquantaine de Thaïlandais pour qui il ne s’agit que d’un moyen de locomotion comme un autre. La foule des grands jours à proximité du marché aux amulettes. Les parents de Matthieu nous offrent un médaillon qui doit nous apporter richesse tout au long de notre périple. Nous tâcherons de ne pas le perdre 😉 Et puis nous arrivons devant les remparts blancs du lieu sacré, la résidence royale, le saint des saint, l’endroit probablement le plus vénéré de Thaïlande.

Non seulement il s’agit d’un lieu de pouvoir politique (même si le roi n’a plus qu’un pouvoir honorifique) mais c’est avant tout un signe de stabilité institutionnelle qui prend racine dans l’Histoire glorieuse du Siam puis de la Thaïlande et dans la religion bouddhiste. Déjà, on aperçoit les toits dorés qui dépassent de l’enceinte ; des cônes en or désignent l’emplacement de plusieurs temples.

Changement de tenue !

On passe devant un petit bataillon de gardes royaux stationnés sous un auvent. Interdiction de les prendre en photo. Il y a du monde. Beaucoup. Ce qui n’empêche pas un militaire zélé en tenue d’apparat de refuser l’entrée à quiconque ne porte pas les vêtements appropriés. En effet, le sanctuaire d’État oblige à un dress-code strict : pantalon et épaules couvertes. Nous avions l’habitude de ce genre de demandes dans des temples, jamais pour entrer dans un palais royal. Mais c’est ainsi. Et on s’exécute.

Photo volée

Une boutique à l’intérieur du palais vend des « pantalons éléphants » : c’est le nom que l’on donne avec Matthieu à ces sarouels portés exclusivement par des Occidentaux et qui leur donnent l’impression d’être accoutumés… alors que personne à part eux ne porte ce pantalon large souvent bariolé d’éléphants ! Nous sommes néanmoins obligés d’en porter le temps de la visite du palais… Nous qui nous étions jurés de ne jamais nous infliger cette douleur vestimentaire. On aura tôt fait de les revendre à un couple d’Américains dès notre sortie du bâtiment !

La mère de Matthieu a dû aussi se changer afin de pouvoir pénétrer dans le palais : épaules nues, Chantal doit s’offrir un magnifique (non) polo bleu pétard. Honteuse, elle aussi, de se voir ainsi affublée, elle préfère porter le t-shirt d’Olivier et donner son polo sans forme à son mari. Nous voilà beaux ! On est prêt à visiter enfin le palais royal : le garde valide notre tenue, c’est bon !

Le merveilleux palais royal

En fait de palais, il s’agit d’une succession de plusieurs pavillons de différentes époques dont l’essentiel date du XVIIIe siècle — au moment où Louis XV habitait le château de Versailles. Au demeurant, on peut facilement comparer les deux résidences royales : vaste jardin, étendue de pelouse et incarnation architecturale du pouvoir central. On sent encore aujourd’hui cette volonté de marquer les esprits : tout n’est que rehaussé d’or, de morceaux de verres multicolores, de mosaïques, de statues, de colonnes.

Le saint des saints

La bibliothèque sacrée est un bijou d’architecture qui ferait penser à un petit temple grec par ses dimensions. Les toits verts et rouges sont quasiment tous surmontés d’une flèche d’or. Des clochettes tintent au vent. La foule est compacte, cosmopolite, essentiellement composées de Thaïlandais qui visitent leur patrimoine ou d’Asiatiques venus passer quelques jours de vacances sous le ciel laiteux de Bangkok. C’est en tout cas la première fois que nous rencontrons autant de monde.

On se penche sur une maquette immense et minutieusement construite du site d’Angkor. Cadeau d’une cite mythique à une autre ville fantasmagorique. Nous serons au Cambodge dans un mois. Puis nous arrivons devant le Bouddha d’émeraude. En fait sculpté dans de la jadéite, il présente un visage vert et est affublé d’une cape en or et pierres précieuses. La statue est de taille modeste (60 centimètres) mais n’en est pas moins la plus vénérée de toute la Thaïlande ; ayant elle aussi un parcours assez atypique.

Un Noël à flâner

Nous suivrons d’ailleurs dans quelques jours le même parcours que le Bouddha d’émeraude a suivi au XVe siècle : nous aussi nous irons à Chiang Rai (sa ville « natale », dans l’extrême Nord de la Thaïlande) ; nous aussi nous découvrirons Louang Prabang et Vientiane, au Laos. Et nous aussi nous terminerons bientôt notre séjour ici, à Bangkok. D’ailleurs, le jour baisse. Le ciel rosit. Il fera beau demain. Mais ce soir déjà les parents de Matthieu quitteront le pays… Nous ne pensons pas encore au départ. Nous parcourons encore les rues de Bangkok : nous prenons un goûter gourmand à deux pas d’ici — tarte au citron, thé ou café. Et on flâne devant les étonnantes boutiques d’uniformes de policiers et de militaires.

Le palais royal de Bangkok

Les canaux s’emmêlent dans ce centre chaotique de Bangkok. Certaines berges où plongent des plantes à larges feuilles et aux fleurs fuchsias donnent des côtés indochinois à l’ensemble. Parfois, des vélos passent sur les bords d’un canal et c’est à Amsterdam que nous pensons. La douceur de ce jour de Noël sous les Tropiques trouve son sens à proximité du Chao Phraya, au marché aux fleurs, où des centaines d’artisans s’activent pour agrémenter les temples. Une scène où deux acteurs répètent une pièce de théâtre est même aménagée au milieu des halles. Chantal est aux anges.

Les souvenirs s’emmêlent eux aussi. Des senteurs de brochettes de poulet, des bouffées de vapeurs des marmites dans la rue, des tables que l’on déplie et des chaises qu’on ne cesse de mettre sur le trottoir… Nous arrivons dans notre quartier. À l’opposé de notre canal mitoyen, nous découvrons encore un endroit imprévu : il s’agit d’un petit bout de ville où se concentrent backpackers (peu nombreux) et petit restos de quartiers. On s’installe sur des chaises pour enfant. On commande trois Chang et un Ice Tea citron. C’est vivant, on voit les gens passer, nous sommes en terrasse, un soir de Noël, en short et t-shirt.

La dernière surprise du chef

On commande deux tilapias à se partager. Le resto est convivial, plein. Beaucoup de gens circulent à pied dans la rue et ça nous fait penser que, malgré tout, la circulation à Bangkok n’était pas si chaotique qu’on aurait pu l’imaginer. Ici, les rues sont étroites. Nous ne croiserons que quelques deux roues. Les lumières des guirlandes de Noël éclairent notre table. Les poissons arrivent. Enormes. On n’a même pas demandé le prix.

Théâtre au cœur du marché

C’est un risque. Ils sont néanmoins merveilleux. Nous n’en mangerons pas d’aussi savoureux de tout notre séjour en Thaïlande. Matthieu se demande néanmoins s’ils ne viennent pas du canal… D’autant qu’on les paye finalement une bouchée de pain : 140 baths (moins de 4 euros) le kilo. Personne ne tombera malade, fort heureusement. Le vol retour des parents de Matthieu, au cœur de la nuit thaïlandaise, s’est très bien passé. Nos dernières embrassades les ont accompagnées dans le taxi puis dans l’avion qui les ramène en France.

On espère que leur séjour sportif ne leur aura pas déplu. Nous apprendrons plus tard qu’ils souhaitent déjà nous rejoindre et passer de nouvelles vacances en Thaïlande à deux ou avec nous. La magie de Noël se poursuivra jusqu’à l’année prochaine. On espère être tous ensemble, réuni avec les parents de Pierre, quelque part en France. Pour l’heure, on retrouve les filles à la grande gare de Bangkok. Nous devons rejoindre en train notre prochaine étape : la mythique Ayutthaya !

Nos coups de coeur

Dormir. Le Bangkok Canale Home, notre hôtel, agréable et idéalement situé au bord d’un canal (comme son nom l’indique. Équipe attentive et charmante, chambres bien équipées et modernes rooftop agréable (bien que partiellement aménagé), rue calme car piétonne et proche de nombreux bars et restos. Un rapport qualité/prix dans ce quartier central quasi-imbattable.

Le bouddha couché du Wat Pho

Dîner. Le Bua Loi Soang est le petit resto dans lequel nous avons dîner le premier soir avec Lisa et Sophie. Situé dans le quartier animé de la rue Maha Chai, il propose une carte courte, simple et peu onéreuse mais avec des plats savoureux et des desserts étonnants (quand il en reste). Un bon compromis si le restaurant de Jay Fai, attenant, est fermé ou si l’attente et les prix vous rebutent.

Goûter. La Konnichipan Bakery nous a été conseillée par Claude, la routarde dont nous parlons au début de l’article. Il s’agit d’une vraie petite pâtisserie proposant des viennoiseries à la française et autres spécialités maison. Le tout servi avec un bon chocolat chaud. Même si l’atmosphère est moite au dehors, les odeurs de beurre et de pain ne peuvent que nous faire penser à un salon de thé européen (surtout dans cette période de Noël).

Nos autres étapes en Thaïlande

2 commentaires sur “Un Noël à Bangkok

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