Phuket pile, Phuket face

L’île de Phuket, en Thaïlande, pays de fantasmes et terre de toutes les excentricités en Asie du Sud-Est. Équivalente de Bali en Indonésie (que nous n’avions pas su apprivoiser), Phuket allait-elle aussi nous échapper ? Eh bien paradoxalement, ce fut une agréable (oui, agréable) surprise !

[Récit de notre étape à Phuket du 10 au 14 décembre 2019]

Comme pour Las Vegas, tout ce qui se passe à Phuket doit rester à Phuket. C’est pourquoi cet article devrait se terminer ici… Bon, on sait que les temps sont durs, que vous êtes confinés (comme nous bientôt) dans vos appartements, alors on va voyager tous ensemble. Nous prenons d’abord le bateau pour quitter notre île robinsonesque de Koh Phayam, en mer d’Andaman.

Puis le bus, une première en Thaïlande. Déception : les routes sont bonnes, le véhicule est équipé de wifi… Bref, tout est trop parfait. Jusqu’à ce que nous soyons arrêtés, par deux fois, sur ce trajet de 300 km. Des barrages de policiers. Les fonctionnaires contrôlent les passagers étrangers qui partent se changer les idées à Phuket. Nous approchons des vacances de fin d’année et les consignes de sécurité se renforcent.

Arrivée kitsch

Nos papiers sont en règle. Nous profitons du paysage (si les Thaïlandais veulent bien ouvrir les rideaux, merci). La route côtière longe le front de mer. Nous entrons de plein pied dans le royaume du sourire, loin désormais de la frontière birmane. Grâce à la couleur de l’eau turquoise, au ciselage artistique des rochers qui plongent à pic dans la mer, au soleil chaud sans être brûlant, à la végétation si verte et si libre et au ciel d’un bleu électrique, nous tournons définitivement la page du Myanmar. Thaïlande, nous voilà !

Notre bus 60’s

Nous franchissons le pont qui lie Phuket au continent depuis 1967. Nous sommes accueillis par d’énormes panneaux publicitaires vantant telle ou telle salle de restaurant qui organise des mariages de rêve… Affiches criardes avec photos kitsches composées de deux Occidentaux s’enlaçant devant un coucher de soleil… On imagine qu’au même moment une sono joue les derniers tubes de Patrick Sébastien ou de Francky Vincent. Très peu pour nous (le mariage à Phuket, pas le mariage en lui-même, hein) ! Mais, au moins, c’est vivant. C’est kitsch mais on lâche prise. Ça fait du bien. Un peu comme lors de notre arrivée à Bali, lorsque nous revenions du périple indien. Le bus nous dépose à Phuket-ville, la capitale (80.000 habitants) où nous reviendrons plus tard.

Pour l’heure, nous poursuivons notre route vers Patong, la station balnéaire des fêtards qui viennent à Phuket, située à l’autre bout de l’île. Notre nouveau bus nous plaît : intérieur chromé, fauteuils en Skaï et tissu râpé, ambiance 60’s de diner américain… Et amortisseurs de la même époque ! Nous sommes trimbalés comme des sacs au fond d’un bus. C’est ça qu’on aime ! On grimpe une colline (enfin, on se traine sur les pentes d’une colline, à deux doigts de devoir sortir pour pousser le véhicule).

La cité du péché en sommeil

On se fait doubler par des voitures de sport puis par des cyclistes. Nous en sommes presque gênés pour le chauffeur. Et on commence à s’enfoncer dans nos fauteuils. Ce n’est pas par honte : c’est juste que nous glissons à force d’être chahutés par les brusques manœuvres du bus dans chaque virage.

Arrivée à Patong

Et puis, du sommet de la montagne qui sépare Patong du reste de l’île, nous découvrons la ville : anarchie architecturale, mosquée qui nous accueille entre deux supérettes qui vendent de l’alcool, quelques filles en bikini. Voilà la réalité du Phuket diurne : quelques touristes rouges écrevisses qui déambulent en marcel, des chiens qui viennent renifler les poubelles à l’arrière des restaurants, un calme apparent où la seule activité est de se rendre à la plage pour décuver. « La cité du péché » est encore endormie. Le jour, c’est la nuit à Phuket. La plupart des bars sont encore fermés mais les irréductibles crachent déjà de la musique occidentale (ne vous attendez pas pour autant à entendre une belle sonate de Bach).

Partout on nettoie les folies de la veille avant de rouvrir dans quelques heures. Nous ne sommes pas encore sortis du bus que l’on sent déjà les effluves de bière et les derniers relents intestinaux des excès de la nuit… Et puis, lorsque nous quittons enfin nos 60’s sur roues et nous posons les pieds sur le sol de Patong, une sensation bizarre : impossible de faire un pas. Nous sommes collés sur le trottoir ; littéralement englués par la poisse éthylique ! Heureusement, notre hôtel n’est pas loin.

Sur le sol alcoolisé

C’est petit pas après petit pas, nos sacs toujours sur le dos, que nous atteignons notre hébergement, tels des alpinistes gagnant leur refuge. Il faut savoir qu’il en existe des centaines, des établissements, à Patong, à tous les prix : de l’hôtel 15 étoiles avec piscine et vue sur la baie jusqu’à la chambre d’une nuit réservée (ou pas) où l’on doit faire fonctionner le ventilateur manuellement. Matthieu a trouvé un intermédiaire plutôt agréable : sans fenêtre mais avec une salle de bain privative.

Street-food et bikini

La réception est aussi grande qu’une cabine téléphonique. La pauvre fille qui nous accueille est aussi la tenancière d’un salon de massage attenant. Le patron est aussi Thaïlandais que nous. Mais tous les deux sont sympathiques et souriants. Et puis les parties communes sont propres. Et puis nous sommes à Phuket alors : à Phuket comme à Phuket ! En grimpant les étages, on sent de l’agitation. C’est la fin de l’après-midi. L’heure du petit-déjeuner pour la plupart des occupants de l’immeuble. Au menu : bière et chips. Ça entre et ça sort des chambres. Voilà notre univers pour trois jours.

Nous sommes donc déjà dans l’ambiance. Le temps de se prendre une petite douche et nous retournons dans la rue laissée vide il y a quelques minutes. Le contraste est saisissant : la foule des plagistes remonte dans la ville à la recherche d’un bar, des hôtesses nous proposent des « massages, massages, massages », la musique électro (toujours pas de Bach) envahit la petite avenue centrale, les néons commencent à éclairer le jour baissant… Ça bouge et ça reste bon enfant.

Installation au QG

Alors, quelle fut notre première initiative à Patong ? Nous plonger à la recherche d’un bon livre comparatif sur l’histoire du peuplement sino-japonais du Sud-Est asiatique entre 1790 et 1840 ? Trop compliqué à trouver… Alors, résignés, nous succombons à l’appel de la bière :-p L’occasion de vous parler de la Sato Siam ! Ah ! La belle découverte de la Thaïlande (entre autres). Nous sortons donc de l’hôtel et nous dirigeons vers le FamilyMart (la chaîne de supérettes japonaises) du bout de la rue.

Ça fume !

On ne sait plus comment on l’a su, probablement un de ces vieux secrets de voyageurs, mais cette boutique qui ne paie pas de mine cache un vrai trésor : à l’arrière, elle donne directement sur la plage ! Ainsi, on peut se prendre à boire ou à manger à moindre coût et s’installer sur la petite terrasse aménagée. Avec, en prime, une vue imprenable sur le coucher du soleil. C’est le bon plan de Patong (on vous l’offre) et ce sera notre QG durant notre petite semaine sur place.

C’est ainsi qu’à la recherche d’une bière thaïlandaise pas chère, nous tombons sur deux bouteilles de Sato Siam. Cachées au pied d’un frigo, elles sont terriblement bon marché avec un taux d’alcool (6,5%) pourtant supérieur à toutes les autres bières proposées. On se demande s’il n’y a pas un loup. On paie et on s’installe donc sur notre terrasse en front de mer. Philippe Delerm a écrit « La première gorgée de bière ». On pourrait écrire la suite : « La première gorgée de Sato Siam ». Le goût est amer mais ce qui choque le plus c’est que la boisson n’est pas gazeuse ! Une bière sans bulle qui fait penser à du saké… On vérifie l’étiquette : il s’agit en effet d’un alcool de riz.

La Sato Siam

On ne vous le cache pas, ça tape. Alors avant que notre taux d’alcoolémie ne nous le permette plus, on fait quelques petites recherches complémentaires : la Sato Siam est en fait une marque vendue exclusivement dans les petits supermarchés thaïlandais comme FamilyMart et 7-Eleven. Le sato (le nom de l’alcool) était tombé en désuétude il y a une vingtaine d’années… Il n’était guère consommé que dans sa région d’origine, le Nord-Est de la Thaïlande, avant que le Gouvernement ne décide de lancer un grand plan de promotion des produits régionaux. La relance industrielle du sato fut un succès. Et on comprend pourquoi.

La fameuse Sato Siam

Nous sommes donc là, comme des ados, à boire au goulot notre Sato Siam sur la terrasse de la supérette, le soleil se couchant devant nous, buvant une autre Sato (le petit nom qu’on lui donnera bien vite), écoutant la musique qui vrombit de partout, décapsulant une troisième bouteille, parlant avec les autres clients qui, comme nous, connaissent la combine. On en profite pour leur demander où se déroulera la grande fête mensuelle de la pleine lune.

La « Full Moon » est en effet l’occasion de faire la fête encore plus qu’en temps normal à Phuket. On est d’ailleurs arrivé au bon moment puisque celle de ce mois-ci tombe à quelques jours de Noël : ce doit être la big soirée de l’année ! Mais surprise : le groupe de Thaïlandais qui boit au bout de notre table nous affirme qu’il n’y a pas de fête particulière ce mois-ci… Qu’il faudra attendre samedi pour vivre une grosse soirée. Finalement, comme tous les week-ends…

Alors on danse

OK. Pas grave. Mais c’est vrai qu’à partir de ce moment, on se rend compte que Patong est finalement assez calme. On vous parle des touristes. Oui, il y en a, mais pas forcément la foule que l’on s’était imaginé. La musique ? Oui, elle mugit partout. Mais pas plus qu’à Bali ou sur la Côte d’Azur. Il faut dire que nous sommes arrivés à Phuket la semaine précédant les vacances de fin d’année. Les Européens n’arriveront que la semaine prochaine. « On espère », nous dit un Français chargé de la promotion d’une boîte de nuit : « La saison est assez mauvaise pour le moment… D’ailleurs, vous voulez passer à la boîte ce soir ? On fait des promos ! »

La plage familiale de Patong

Au moment de se relever : « Wouf ! » La Sato, ça tape vraiment ! Trois d’un coup, pour une première, c’est pas mal ! On arrive néanmoins à trouver un coin de resto pour manger quelque chose. Inutile de vous dire que l’on ne se souvient pas vraiment de notre premier repas phuketien. Il ne devait pas être trop mauvais pour autant. On décide de poursuivre la soirée après avoir fait un tour rapide du quartier. Toujours pas de « massage, massage, massage », toujours pas de chicha, toujours pas de ping-pong show… On se garde tout ça pour un prochain soir (ou pas).

Bref, on croise du monde, des famille même (quelle idée d’emmener son môme dans un tel endroit ?) mais dès que nous nous trouvons un peu à l’écart de la principale rue des bars, nous entrons vite dans une ville thaïlandaise avec des Thaïlandais et assez peu d’Occidentaux. C’est là que nous dînons (probablement).

Sur la plage de Patong

Puis nous rejoignons le Paradise Complex, un petit bout de rue très colorée, animée et, là encore, très bon enfant. Nous assistons à un show de lady-boys. Trouvons un FamilyMart (et donc une nouvelle Sato Siam). Buvons dans la rue ou attablés devant un bar. L’ambiance est très cool. La soirée se poursuit, on discute avec les passants, on danse sur du Mariah Carey (avec nos grosses godasses de randonnée), on se relaie pour aller au FamilyMart… Jusqu’à la fermeture du rayon alcool à minuit, telle Cendrillon qui doit rentrer se coucher…

Après une loooogue soirée

Mais nous n’avons pas de carrosse-citrouille. Alors on poursuit. D’autant qu’à force de boire et boire, ben il faut vidanger. Nous montons dans un bâtiment à la recherche de toilettes. Des danseurs se changent dans une pièce. D’autres dorment dans une chambre commune à l’étage supérieur. Nous nous faisons surprendre par un barman : nous prétextons ne pas avoir trouvé les WC. Nous redescendons, dansons et rentrons enfin.

Le lendemain matin (14h à Phuket), nous émergeons. Pas besoin de vous faire un dessin… Mais finalement le mal de crâne disparaît assez vite d’autant que nous nous sommes réveillés à l’appel stomacal du McDo ! C’est d’ailleurs notre tradition, on vous en avait déjà parlé : un McDo par pays visité. Et une tradition ça se respecte ! D’autant qu’il n’y en avait pas en Birmanie. Donc, on devait se rattraper ! Vous avez l’impression que l’on se cherche des excuses ?… Peut-être !

Les nouveaux esclaves

Le reste de la journée fut consacré à la visite hautement culturelle de la plage. On dort, on bronze, on se réchauffe, on nage. Et on regarde passer les vacanciers : des Blancs pâles qui viennent d’arriver, des rouges qui sont arrivés la veille, des ados, des Thaïlandais, des femmes nouvellement opérées, des hommes aux pectoraux rembourrés, des monokinis, des Allemands en slip, des Français profitant des tarifs préférentiels avant les grands départs en vacances,… Toute une population venue se détendre avec des histoires différentes, des situations différentes, des vies différentes.

Paradis ?

Patong, c’est la cohabitation : on bronze ensemble, on boit ensemble. La famille d’expat de Bangkok venue pour le week-end comme le jeune couple de Thaïlandais s’offrant ses premières vacances ; le médecin suisse qui boit une pinte à côté d’un groupe de Trappes. Mais Patong, c’est aussi ce long cortège de camions qui quittent la ville chaque soir, vers 18h, avec, entassés dans les remorques, des dizaines de femmes et d’hommes issus des minorités birmanes.

Ils sont les nouveaux esclaves de la Thaïlande : une main d’œuvre soumise, mal payée mais autorisée à rester dans le royaume sous peine de retourner à son triste sort de persécutée. Ouvriers ou femmes de ménage, nous les verrons passer inlassablement dans les rues de la ville, trimballés tous les soirs vers des logements situés à l’extérieur de la cité balnéaire…

Boboland

Notre quotidien est finalement assez routinier à Patong. Lever, manger, bronzer, nager, danser… Les journées sont bleues. Les nuits multicolores. Le jour est invariablement beau. La nuit est inévitablement belle. L’après-midi est douce. La moitié de la nuit est paillettes. Et puis, finalement, un jour, on se lève à l’aube (vers 11h). Il faut partir, rejoindre Phuket-ville. Refaire le chemin inverse. Repasser de l’autre côté de la colline et retrouver une vie saine : ce soir, les parents de Matthieu arrivent en Thaïlande !

Une façade colorée de Phuket-ville

Ils ne nous avaient donné qu’une seule consigne : « On veut vivre dans les mêmes conditions que vous ! » On déniche alors une sorte d’auberge de jeunesse assez cool, style industriel, mais avec salle de bain privative (quand même). Peu de monde dans la capitale de Phuket, l’hôtel est quasiment pour nous ! Alors avant l’arrivée des parents, nous en profitons pour visiter. Phuket-ville n’est qu’une station de passage entre l’aéroport et les plages. Elle est pourtant pleine de charme.

Loin d’être délaissée d’ailleurs, elle est au contraire valorisée par des boutiques et des restaurants de grande qualité. Les galeries d’art et les petits cafés sont omniprésents : c’est une ville résolument bobo. Elle est aidée en cela par son patrimoine particulièrement bien préservé : la plupart de ses rues sont bordées de bâtiments de style sino-portugais.

2+2

Des maisons à un ou deux étages maximum, de toutes les couleurs, alignées au cordeau. C’est un bel exemple d’urbanisme qui nous vient du début du XXe siècle, après le dernier grand incendie de la ville. Les Chinois avaient commencé à édifier là un comptoir dès le XIXe siècle. Il reste encore des traces de cette parenté : de nombreuses bijouteries chinoises brillent un peu partout. L’heure est à la détente : on flâne, on jette un oeil sur les œuvres d’art, sur les façades, l’architecture homogène et enjouée. On visite même notre premier temple thaïlandais, rehaussé d’or et aux toits gondolés superposés.

Le Wat Mongkhon Nimit

Au même moment, les parents de Matthieu prennent leur correspondance à Pékin. Ils seront bien là, ce soir, avec nous. Un mango sticky rice au goûter. Puis un super resto vietnamien (on se fait plaisir) pour le dîner. Amusée de nous voir galérer avec nos feuilles de salade et nos bouchées de viande, la serveuse vient gentiment nous expliquer comment on prépare un rouleau de printemps à la vietnamienne. C’est ludique, délicieux et toujours avec le sourire. Nous n’avons pas hâte de quitter la Thaïlande mais nous avons déjà très envie de découvrir le Vietnam !

Il est 22h. Le temps de se changer, on déboule à l’aéroport. L’avion Paris-Pékin / Pékin-Phuket arrive à minuit. Comme Cendrillon. Sauf que là encore, nous n’avons pas de carrosse-citrouille mais un chauffeur de taxi qui nous attend avec sa femme et son bébé dans la voiture. Et puis, Chantal et Olivier débarquent, émus de nous retrouver (et nous donc) après 4 mois d’absence. On passera bientôt Noël tous ensemble. À Bangkok. Mais d’ici là, d’autres aventures nous attendent, à quatre !

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