Puebla : des pyramides à l’Indépendance

Puebla avant l'orage

Notre découverte des villes coloniales mexicaines se prolonge par une étape à Puebla. Mais Puebla est bien plus qu’une ville coloniale. De sa gigantesque pyramide précolombienne aux souvenirs vivaces de sa glorieuse bataille contre les Français, de ses marchés à ses quartiers populaires, elle dessine une fresque captivante de l’Histoire du Mexique du IIIe siècle à nos jours.

[Récit de notre séjour à Puebla du 14 au 16 septembre 2020]

Il est temps d’entamer notre descente du Mexique, celle qui doit nous mener jusqu’à l’Océan Pacifique. Avant de rejoindre l’État de Oaxaca, qu’on nous a tant vanté pour sa douceur de  vivre, sa gastronomie et ses plages, nous décidons de faire une halte à Puebla, une autre cité coloniale, cernée par les volcans dont le menaçant Popocatepetl.

Puebla fut l’un des principaux carrefours commerciaux de la Nouvelle Espagne aux XVIe et XVIIe siècles. Elle en a conservé un magnifique centre inscrit par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’Humanité. Comme ses cousines du Nord de Mexico, elle s’est aussi fièrement battue pour l’Indépendance du pays. Et tout particulièrement… contre les Français.

Dans le bus nous menant en centre-ville

Quand la France avait des vues sur le Mexique

En 1861, la deuxième République fédérale mexicaine est en crise. Le Président Benito Juarez, un libéral d’origine indigène, peine à se faire accepter par les conservateurs et l’Église catholique. Il est confronté depuis trois ans déjà à une véritable insurrection. À cette violente crise politique s’ajoute une crise économique : le Mexique est asphyxié par une dette de 10 millions de pesos contractée auprès des puissances européennes. Benito Juarez fait alors un choix radical : il suspend les paiements.

L’Angleterre, l’Espagne et la France lui lancent un ultimatum et s’accordent à son terme pour envoyer des troupes récupérer leur dû. Napoléon III, qui a ouvert sa cour à de nombreux opposants de Benito Juarez, y voit l’occasion de se réimplanter en Amérique du Nord tandis que les États-Unis sont ravagés par la Guerre de Sécession. 

Craignant une invasion, Benito Juarez ouvre des négociations, qui se soldent par un accord avec l’Angleterre et l’Espagne. Mais la France reste sourde à tout compromis. Un corps expéditionnaire de 6.500 soldats quitte l’Hexagone pour l’Amérique. Le président mexicain mobilise à son tour 10.000 hommes et lance la fortification de Puebla. Son objectif : bloquer l’avancée des Français afin qu’ils ne puissent atteindre la capitale, Mexico, et renverser le pouvoir.

Stand de fruits et légumes

La bataille de Puebla

Le 5 mai 1862, les deux armées se font face de part et d’autre des murs de la ville. La bataille s’engage en milieu de matinée. Mais à la surprise des Français, pourtant mieux armés et plus expérimentés, les républicains espagnols parviennent à tenir leurs positions. Les officiers de Napoléon III ont beau recevoir d’importants renforts des conservateurs et de l’Église, rien n’y fait : Puebla résiste toujours. Au bout de trois jours, l’armée française et ses alliés sont en déroute.

Cette victoire de la république mexicaine fut de courte durée. Un an plus tard, grâce à de nouveaux renforts, les Français firent non seulement tomber Puebla, mais aussi Mexico. Comme le redoutait Benito Juarez, ils ne se contentèrent pas de collecter les pesos qu’on leur devait : ils devinrent une armée d’occupation, instaurant le Second Empire mexicain.

Cantine

La première victoire de Puebla n’en reste pas moins une fierté nationale. Elle est encore commémorée chaque année, le 5 mai, à l’occasion d’un jour férié. Et ceux qui la rendirent possible sont toujours célébrés en héros.

Ville populaire et animée

Les Mexicains n’en ont heureusement gardé aucune rancune à l’égard des Français. Comme partout ailleurs depuis notre arrivée au Mexique, l’accueil qui nous est réservé à Puebla est des plus chaleureux. On découvre une ville bouillonnante, avec ses deux millions d’habitants qui en font la quatrième agglomération du Mexique, ses marchés qui débordent allègrement dans les rues ainsi rendues piétonnes, et ses artistes ambulants qui demandent l’aumône aux passants.

Si la plupart des musées sont fermés en raison de la pandémie, on s’attarde au cœur de l’immense cathédrale et surtout dans l’église Santo Domingo. Elle abrite l’un des plus fabuleux trésors de l’art baroque : la chapelle du Rosaire. Les habitants de Puebla aiment à dire qu’il s’agit de “la huitième merveille du monde”. Une réputation à peine volée. C’est sans nul doute l’un des lieux de culte les plus somptueux que nous avons pu voir depuis le début de ce tour du monde. 

Combi dans une rue de Puebla

Construite par les Dominicains à la fin du XVIIe siècle, elle a été intégralement recouverte de feuilles d’or, des murs jusqu’à la coupole. Elles lui donnent un éclat exceptionnel quand les rayons du soleil transpercent ses vitraux. Au moment où l’on y pénètre, sous le regard attentif d’un moine chargé de nous déposer un peu de gel hydroalcoolique dans le creux des mains, on est ébloui, au sens propre comme au figuré.

Nouvelle jeunesse

En périphérie du centre historique, on arpente le Barrio del Alto. Ce quartier pauvre, longtemps décrié en raison de l’insécurité qui y régnait, se refait depuis peu une jeunesse. Comme à Malang en Indonésie, comme à Medellín en Colombie, les habitants se sont mobilisés pour mettre de la couleur dans les rues et dans leur vie.

Les murs de terre décrépis sont devenus le terrain de jeu des street-artistes, dont les fresques abordent tantôt les traditions et légendes mexicaines, tantôt des messages de paix et d’espoir en l’avenir. Ces œuvres mêlées aux anciennes demeures coloniales, aux échoppes du petit marché, aux multiples chapelles et églises aux façades elles aussi colorées, donnent au lieu un charme nouveau.

Policier patrouillant au Barrio del Alto

Si Barrio del Alto conserve toujours sa mauvaise réputation, il est désormais visité en journée par les habitants d’autres quartiers de Puebla et par les voyageurs curieux. Les riverains y trouvent de la fierté, une raison d’espérer.

La colline mystérieuse

Aux environs de Puebla, nous rejoignons en colectivo les églises de San Francisco d’Acatepec et de Santa Maria Tonantzintla, vestiges du baroque mexicain des XVIIe et XVIIIe siècles. La première arbore une magnifique façade mêlant mosaïques et briques rouges. La seconde se distingue par son intérieur débordant de stucs décoratifs qui figurent des anges métisses, des épis de maïs ou encore des fruits exotiques : l’étonnant assemblage des cultures précolombiennes et espagnoles qui a ensuite donné naissance à l’identité mexicaine.

L’église de San Francisco d’Acatepec

À quelques kilomètres, il y a surtout l’exceptionnel village de Cholula. Toujours cet urbanisme colonial avec un immense zocalo où flotte le drapeau national, des ruelles en damier, des bâtisses basses aux teintes jaune, rose, orange ou rouge, et des monuments imposants à l’image du couvent San Gabriel. Mais la principale curiosité de Cholula, c’est sa colline, toute ronde et couverte de végétation, qui trône solitaire au milieu de la plaine.

Les colons espagnols y virent un parfait piédestal pour une église, ainsi visible à des kilomètres. Une façon parmi d’autres de “marquer” ce territoire comme devenu le leur et d’afficher la puissance du catholicisme aux yeux des indigènes. Ce qu’ils ne soupçonnèrent jamais, c’est que cette colline ne résultait pas d’un phénomène naturel : il s’agissait en fait d’une pyramide, abandonnée plusieurs décennies avant leur arrivée et reconquise depuis par la nature florissante.

Sur la colline de Cholula

La plus grande pyramide du monde

Cette colline est même une accumulation de pyramides, empilées les unes sur les autres par les trois civilisations qui se sont succédées dans la région du IIIe au XIIIe siècle. Les Olmèques bâtirent la première, les Toltèques s’en servirent comme fondation pour édifier la leur, les Aztèques firent de même à leur tour. Jusqu’à faire de cette pyramide la plus grande jamais conçue par l’homme : 450m de côté pour 66m de haut. Pour se faire une idée à partir d’une pyramide bien connue : le périmètre de Cholula fait quatre fois celui de Gizeh.

Ce n’est qu’en 1881 que les historiens commencent à s’intéresser à Cholula. Un premier plan est dessiné, des mesures sont entamées mais les résultats sont très partiels. Il faut attendre 1931 pour que des archéologues pénètrent enfin à l’intérieur et constatent l’étendue de la pyramide. Pendant vingt ans, ils percent plusieurs kilomètres de tunnels et exhument ce qui peut l’être. Presque un siècle plus tard, la tâche est loin d’être finie.

Lorsque nous parcourons cet après-midi là les sentiers qui l’entourent, Cholula paraît toujours n’être qu’une colline bordée de quelques ruines. Ce n’est qu’en passant les portes du musée régional pour y découvrir la maquette du site qu’on comprend vraiment l’ampleur de cette œuvre collective des civilisations pré-colombiennes et le labeur qu’elle a nécessité.

L’un des accès à la pyramide restauré par les archéologues

Descente de police

À présent, il fait nuit à Puebla. Une pluie épaisse et froide s’abat depuis quelques minutes sur la ville. Elle a vidé les rues de leurs passants. Le silence a remplacé les tourbillons de la journée. Tandis que nous nous apprêtons à sortir dîner, une demi-douzaine de policiers prend place sous le porche de notre hôtel. Ils arborent un uniforme entièrement noir, casque, gilet pare-balles, fusil automatique en bandoulière.

Leur pick-up est stationné juste devant, en travers de la voie, gyrophare allumé. Il coupe la circulation. L’un des hommes en descend des barrières de métal. Trois autres écartent les piétons. Les deux derniers les observent adossés contre un mur, abaissant discrètement leur masque chirurgical le temps de se partager une cigarette.

Sandwicherie

Depuis notre arrivée au Mexique, nous avons pris l’habitude de cette omniprésence policière. Dans un pays encore en proie au narcotrafic, aux règlements de compte et aux enlèvements mafieux, ces hommes et ces femmes surarmés font partie du paysage. Ce soir, ils n’ont pas vocation à intervenir, ils ne font que sécuriser le périmètre. C’est la fête nationale.

Citoyens-télespectateurs

Ce jour est d’ordinaire synonyme de grands rassemblements dans toutes les villes du Mexique. Les habitants se serrent joyeusement sur les places principales, devant les mairies, pour écouter le grito, le cri lancé par Miguel Hidalgo le 16 septembre 1810, le cri qui impulsa la révolution, le cri de l’Indépendance du Mexique qui est chaque année répété depuis.

Mais avec la pandémie, rien n’est plus comme avant. Cette fois, les Mexicains ont été invité à assister à cette commémoration chez eux, devant leur poste de télévision, comme nous l’avons nous-mêmes fait deux mois plus tôt en France pour le 14 juillet.

Rue coloniale

Si notre hôtel est situé à deux pas du zocalo de Puebla, nous ne faisons pas exception. Après un dîner frugal dans le restaurant de tacos le plus proche, là encore entourés d’hommes en armes, nous regagnons sagement notre chambre et allumons la télé de concert avec cent-vingt-six millions de citoyens.

¡Víva Hidalgo! ¡Viva México!

À 23 heures, la cérémonie commence. La chaîne locale diffuse ce que nous aurions dû voir de nos propres yeux à cent mètres de là. Le gouverneur arpente lentement les couloirs de son palais devant des militaires au garde-à-vous. Un officier lui remet le drapeau national. Il se dirige alors vers le balcon qui domine la place et s’écrie :

Drapeaux du Mexique sur une façade coloniale

¡Mexicanos! ¡Vivan los héroes que nos dieron patria y libertad! ¡Víva Hidalgo! ¡Viva Morelos! ¡Viva Josefa Ortiz de Domínguez! ¡Viva Allende! ¡Vivan Aldama y Matamoros! ¡Viva la independencia nacional! ¡Viva México! ¡Viva México! ¡Viva México!”

L’élu met toute son énergie dans ce cri. Il s’époumone tant que son visage en devient rouge écarlate. On craint de le voir tomber en syncope. Mais il tient bon. Il ajoute même encore quelques “¡Viva México!”. Puis il sonne la cloche du bâtiment et brandit au vent le drapeau. En lieu et place des habituels “hourra” de la foule, on entend la poignée  d’applaudissements du conseil municipal et des agents chargés d’organiser la cérémonie.

La fête malgré tout

Nous n’imaginions pas célébrer l’Indépendance du Mexique ainsi. On nous avait vanté cette fête comme étant aussi enivrante que le Jour des morts au début du mois de novembre. Nous y avions mis quelques espoirs de chants, de danses et d’alcool. Nous nous retrouvons à la place assis en tailleur sur notre lit face à l’écran.

Décorations au zocalo de Puebla pour la fête nationale

Comme si nos regrets étaient entendus, on perçoit soudain du bruit dans l’hôtel. Les autres clients et le personnel descendent les escaliers au pas de course. On les suit jusque dans la rue où des riverains attendent déjà. Et nous sommes quelques dizaines de privilégiés à assister soudain au feu d’artifice qui suit la cérémonie. L’angle des bâtiments nous cache l’essentiel, la pluie continue de tomber, nous n’avons pas pris le temps de nous couvrir, qu’importe.

Pendant un instant tout le quartier se réjouit de ces explosions de lumières dans le ciel sous le regard compréhensif de la police. Pendant un instant, tous oublient l’étrange période dans laquelle nous sommes pour célébrer dignement la naissance de leur nation. Comme on les comprend. Et comme on est heureux de vivre cela à leurs côtés.

Notre hébergement

L’hôtel Gala, installé dans une gigantesque bâtisse historique du centre de Puebla dont le patio central est occupé par une fontaine en pierre. Chambres spacieuses et confortables, bon petit déjeuner, terrasse sur le toit avec vue sur la ville. Son emplacement permet de parcourir facilement la ville à pied – il est à moins de 2 min de la cathédrale et du Zocalo.

Toutes nos étapes au Mexique

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