
Tour du monde, seconde partie. Comme en Asie, à chaque nouvelle étape, nous confrontons nos regards. La première impression est-elle la bonne ? Démontrons le contraire ou confirmons la règle. Premier pays d’Amérique, le neuvième de notre périple : nos premiers pas au Mexique.
[Récit de notre arrivée au Mexique le 31 août 2020]
La chaleur (par Pierre)
La chaleur de la voix de Salhia Brakhlia dans l’autoradio de la voiture des parents de Matthieu qui nous conduit à l’aéroport. La chaleur des embrassades distantes contraintes par les mesures sanitaires. La chaleur du personnel d’Air France entre Paris et Mexico. La chaleur de la jeune femme qui nous entraîne à travers les couloirs de Benito-Juárez et guide nos premiers pas en Amérique latine.
La chaleur dans ma tête quand le policier me demande de combien d’argent je dispose. La chaleur dans mes mains quand je lui explique que je n’ai pas d’argent. La chaleur dans mon corps quand il me demande si j’ai quand même de quoi payer un hébergement au Mexique. La chaleur dans mes tempes quand je comprends qu’il ne me demande pas combien j’ai dans mes poches mais combien j’ai sur mon compte en banque.
La chaleur du souffle qui s’engouffre à travers les portes vitrées coupant le monde du transit de celui des résidants. La chaleur du taxi qui branche son taximetro, nous évitant une première montée de chaleur d’énervement. La chaleur du climat de cette fin d’après-midi d’août dans les boulevards bouillonnants de Mexico. La chaleur des couleurs des maisons décrépies à l’approche de notre quartier. La chaleur de cette dame qui, du haut de son 3e étage, nous indique notre hôtel, sans qu’on ait besoin de rien lui demander, juste en voyant notre regard hagard devant une ruelle sans enseigne.
La chaleur du lac sur lequel est construite Mexico qui remonte et fait vibrer les montagnes alentours. La chaleur des tréfonds de l’ancienne Tenochtitlan d’où pulsent les mythes aztèques. La chaleur du Popocatépetl qui crache ses fumeroles sulfureuses et interdit l’accès sur ses pentes situées à seulement 70 kilomètres et dont le cône sorti de sa brume culmine à 5.426 mètres d’altitude. La chaleur de la terrasse de notre hôtel gorgée de soleil couchant d’où l’on admire les sommets montagneux et les sommets des gratte-ciels de la capitale incontestée du Mexique depuis près de 1000 ans.
La chaleur de notre premier repas mexicain et de son mole, sauce noire et savoureuse, qui recouvre des pommes de terre, le fruit de l’Amérique. La chaleur des tortillas, première d’une longue série de préparation à base de maïs. La chaleur de nos jambes qui portent nos premiers pas au Mexique. La chaleur de cette chambre où dès 21h on se couche pour rattraper le décalage horaire. La chaleur d’une douche froide qui réchauffe le cœur tout en rafraîchissant la nuque et nous fera passer notre première nuit dans les bras de Morphée, rassurants et chauds.

Capitale arc-en-ciel (par Matthieu)
C’est par le hublot de l’avion que Mexico se dévoile à nous. Tandis que nous traversons l’épaisse couche de nuages, une ville gigantesque apparaît soudain sous nos pieds. Impossible d’en voir les limites, elle se répand à l’infini, tout juste devine-t-on qu’elle finit au loin arrêtée par les montagnes.
On se rapproche de plus en plus des maisons. L’aéroport est situé en plein centre-ville : on doit survoler à basse altitude des quartiers entiers pour atteindre la piste d’atterrissage. Et ce sont d’abord les couleurs qui me frappent. Elles sont sur chaque façade, sur chaque toit, dans chaque rue, éclatantes, chaleureuses. Du jaune vif, du rouge, du bleu, du vert, jusqu’au rose des taxis. Comme si la cité était perpétuellement en habits de fête.
Nous avons quitté Paris dix heures plus tôt, dans le ciel gris de la pandémie de coronavirus. Nous n’avons pas encore touché le sol de l’Amérique latine que déjà cet arc-en-ciel nous égaye l’esprit et nous apporte du baume au cœur. Il fait espérer qu’ici la vie est différente, plus facile, plus naturelle, plus palpitante qu’elle ne l’est pour le moment dans l’Hexagone.
Si Mexico a elle aussi connu pendant l’été des heures sombres – elle a été le principal foyer de contaminations dans le pays, ses habitants ont vécu un confinement très strict auquel l’immense majorité des Mexicains a elle réussi à échapper – ces couleurs semblent crier haut et fort que les jours heureux reviennent.
Mais n’allons pas trop vite en réjouissances. Nous ne sommes pas encore véritablement arrivés. Dans les couloirs de l’aéroport, un obstacle reste à franchir : le passage de la police aux frontières. Si les contraintes en matière de Covid sont on ne peut plus minimes – un simple test de température, ni formulaire sanitaire, ni obligation de présenter un test PCR négatif – les officiers qui tamponnent les passeports sont réputés pour leur rigueur.
Pierre et moi passons à deux guichets différents. L’officier qui contrôle mon passeport m’interroge froidement en espagnol : “Combien de temps allez-vous passer au Mexique ? Quelle est l’adresse de votre premier hébergement ? Avez-vous déjà votre billet d’avion retour ?” C’est bon. J’entre officiellement au Mexique. Sauf que j’y entre seul. Tandis que je me retourne, je vois que Pierre est lui toujours retenu. Il fronce les sourcils. Il paraît s’inquiéter. Quelque chose coince.
Alors je fais demi-tour pour le rejoindre. “Son” policier est en effet plus retors : il pose bien davantage de questions et parle si vite qu’on n’en comprend qu’un mot sur deux. Forcément, ça crée des quiproquos.
Il vient de demander à Pierre s’il avait assez d’argent pour payer son séjour ici. Pierre a compris qu’il lui demandait combien il avait sur lui. “Je n’ai que 5 euros, pourquoi ?” Regard incrédule du policier. “Mais comment allez-vous faire avec seulement 5 euros ?” Je me remémore rapidement mes vieux souvenirs de cours d’espagnol et baragouine de quoi le rassurer. Puis, pour couper court à un interrogatoire dont on risque de sortir perdants, je décide de lui lister d’un air réjoui chaque étape de notre parcours.
Deux mois de parcours, ça fait beaucoup d’étapes. L’homme en a vite marre. “C’est bon. Passez. Personne suivante. » Cette fois, ça y est, nous sommes au Mexique.
