
On vous avait laissés à l’aéroport de Tokyo, le 5 avril 2020. On ne savait pas encore si notre tour du monde entrait en pause ou s’achevait précipitamment. Huit mois plus tard, c’est depuis la Colombie que nous vous écrivons ces lignes.
On a eu beau tourner et retourner le problème dans tous les sens : nous n’avions d’autre choix que de rentrer. À notre arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle, en ce premier dimanche d’avril, on ne ressent ni regret, ni amertume, juste un goût d’inachevé.
On sait qu’on a déjà eu beaucoup de chance de pouvoir poursuivre notre tour du monde jusque-là, que de nombreux voyageurs ont dû rentrer plus tôt ou sont coincés pour une durée indéterminée dans un petit paradis qui se transforme étrangement en prison. On sait qu’on a eu du rab’ de liberté, que nos parents, nos amis, tous les Français sont confinés depuis trois semaines déjà. Alors on admet que le temps est venu pour nous de les rejoindre dans cet exercice inédit d’isolement.
Dans cette morosité ambiante, il y a tout de même le bonheur de revoir Paris. Même dans ce contexte où la ville lumière s’est mue en ville fantôme, on sent pendant le vol retour monter en nous l’adrénaline, un coeur qui tambourine plus fort, un frisson d’impatience à l’idée de retrouver “notre ville », de “rentrer à la maison” comme nous l’annonçait d’un ton rassurant le commandant de bord d’Air France. Ce petit bonheur aussi d’entendre l’accent toulousain du chef de bord ravi de nous servir un armagnac au-dessus de la Sibérie.

Certes, on n’a plus vraiment de maison depuis août 2019. On a rendu les clefs de notre appartement au propriétaire au moment de notre départ pour ne pas avoir de “fil à la patte”. C’était aussi ça, le défi de partir en tour du monde, couper toutes les amarres : le logement, le travail, une bonne partie de nos affaires… Partir sans filet. Et tout reconstruire en rentrant.
Nous n’avions évidemment pas prévu de rentrer en pleine pandémie, avec la nécessité de nous imposer une quatorzaine préventive. Inenvisageable pour nous d’aller loger dans nos familles, ou même chez des amis, avec le risque d’être asymptomatique et de les contaminer. Ce retour aurait pu devenir bien compliqué, sans une bonne étoile : Patrick, un lecteur assidu de ce blog devenu un ami et qui nous offrit de séjourner dans son appartement parisien tandis que lui était confiné dans le Sud.
Ainsi nous voilà à la descente de l’avion, dans les couloirs désespérément vides du premier aéroport européen. On passe un contrôle aux frontières exsangue : tout juste deux guichets d’ouverts, nous ne sommes que soixante passagers sur ce vol, et c’est l’un des quatre seuls vols de la journée.
Alors qu’on nous imposait depuis déjà deux mois le port du masque au Vietnam et au Japon, les deux policiers français qui nous accueillent n’en portent pas – l’Hexagone débat toujours de leur utilité. On ne prend pas notre température, pourtant sans cesse relevée dans tous les pays d’Asie que nous avons traversés – là aussi, la France débat toujours de cette mesure. On ne nous fait pas non plus remplir de formulaire sanitaire ou de déclaration sur l’honneur concernant notre état de santé, là aussi omniprésents en Asie depuis janvier. Et surtout, on ne nous donne aucune consigne pour la suite. On est simplement lâché dans la nature.

Dans le taxi qui nous conduit jusqu’au centre de Paris, on découvre des autoroutes, des boulevards et des rues totalement déserts. Ce n’est plus vraiment la ville qu’on connaît. On a l’impression d’être les héros d’un film catastrophe. Même le chauffeur n’est plus vraiment le même : faute d’embouteillage, il ne dit pas un mot sur Anne Hidalgo, nous ne plongeons pas dans un interminable débat contradictoire. Il critique en revanche vertement le Gouvernement qui lui “demande de travailler” mais ne lui “permet pas d’acheter des masques”.
On fait une halte devant le domicile d’un collègue de Patrick pour qu’il nous donne les clefs. Et nous voilà dans “notre” nouvel appartement, dans le IIe arrondissement, plus douillet que tout ce qu’on pouvait espérer, pour six semaines de confinement.
Que vous en raconter, de ce confinement, si ce n’est ce que vous avez vous-même vécu ? À défaut de vadrouiller, on s’est remis au sport en suivant des séances sur Instagram. Pierre s’est même essayé au yoga. Matthieu s’est remis à étudier l’espagnol, convaincu qu’un jour ou l’autre nous repartirions pour l’Amérique latine.
On a fait des apéros Zoom avec les amis. La joie de les retrouver en partageant des bouteilles de vin, même à distance. On a fait le plein de séries sur Netflix et on a révisé nos classiques grâce aux films de l’après-midi sur France 2 – Pierre n’en a presque loupé aucun ! Nous avons beaucoup cuisiné, ça nous avait manqué. On a énormément écrit pour rattraper notre retard sur ce blog. Un retard que nous avons repris depuis.

Et puis il y avait les goûters de l’après-midi en écoutant RTL. Les petits-déjeuners en retrouvant la voix de Fred Haffner (un ami de 15 ans), de Jean-Jacques Bourdin et les tubes du moment sur Fun Radio. Enfin, les midis avec France Inter. Ça peut paraître ridicule, mais on se raccroche vite à la France et on se rend compte avec quelle vitesse les médias ont su s’adapter à la situation. Des invités en duplex de Quotidien aux éditions spéciales scandées par les conférences de presse des responsables politiques et sanitaires, c’est tout un univers qui s’est transformé, contraint et forcé, en un temps record.
On est d’abord très peu sorti, s’imposant avec rigueur notre “auto-quatorzaine”. Tout juste allions-nous retirer une fois par semaine les courses commandées en ligne au supermarché du coin. Le reste du temps, c’est depuis le rebord de la fenêtre qu’on prenait le soleil, qu’on admirait la statue de Louis XIV qui trône sur la place des Victoires et que l’on applaudissait les personnels soignants chaque soir à 20 heures.
Puis, petit à petit, on s’est mis à profiter de notre heure quotidienne de promenade pour ratisser le kilomètre à la ronde autour de notre logement. On a pu revoir la Seine, plus transparente que jamais et occupée par les oiseaux. Nous pouvions même y recenser les carcasses de Vélib’ ensevelies dans la vase. On a découvert des ruelles et des lieux que l’on ne connaissait pas, comme la basilique Notre-Dame-des-Victoires, ses murs couverts d’ex-voto et le tombeau de Lully.
Parfois, malgré notre routine, on a un peu trouvé le temps long. On s’est même engueulé, chose qui ne nous était quasiment jamais arrivée à l’autre bout du monde. Il y a une légère différence entre vivre 24h/24 à l’aventure et vivre 24h/24 entre quatre murs. On le confesse aujourd’hui à Patrick et Wandrille : les ateliers pâtisserie du samedi après-midi n’étaient pas toujours très sereins à la maison 🙂

Comme vous, on a profité du déconfinement pour revoir nos proches. D’abord nos amis à Paris, par une succession d’apéritifs en “distance sociale”, la semaine du 19 mai. On savait quand ils commençaient, jamais quand ils se terminaient. Puis les parents de Matthieu près de Chartres, et enfin ceux de Pierre à Lourdes : avec le bonheur infini de les revoir, mais aussi la frustration de ne pouvoir les embrasser et les serrer dans nos bras.
On s’est accordé une semaine de road-trip dans le Sud-Ouest et le Centre pour se rappeler à quel point elle est belle, la France, plus que tout autre pays du monde : Albi, Saint-Cirq-Lapopie, Collonges-la-Rouge, Cordes-sur-CIel, Sarlat-en-Canéda… Jusqu’à Gargilesse-Dampierre, le village de Georges Sand, Matthieu ayant promis de longue date à Vanik Berbérian qu’il s’y rendrait. Nous nous sommes recueillis à Oradour-sur-Glane.
On a bien randonné – grimpant les pentes raides du Montaigu avec le père de Pierre pour nous retrouver au-dessus des nuages. On a bien mangé, bien bu, bien rit. Et puis on a attrapé le Covid. Ce fut au cœur de l’été, à un moment où plus personne ou presque ne l’attrapait en France.
Romain, l’un des meilleurs amis de Matthieu, n’avait pas la tête à fêter son anniversaire. On l’a invité à Chartres, en se disant qu’il n’y avait pas grand risque à faire la fête à trois… Il a suffit d’un soir à oublier les gestes barrières, un “vase” de mojito partagé dans un bar (comme des ados), d’interminables parties de Uno à s’échanger les cartes sans se laver les mains, et c’était fait.

Le temps d’apprendre que Romain était positif, nous étions déjà redescendus à Lourdes. Quinze jours de quartorzaine supplémentaires dans la maison des grands-parents de Pierre, rigoureusement partagée en deux espaces distincts pour être certains de ne pas les contaminer. Quinze jours à être en famille sans pouvoir être en famille, à manger dans des pièces différentes, à se parler masqués et à distance, à désinfecter jusqu’aux poignées de porte. Et l’immense plaisir pour nos parents respectifs d’aller se faire tester en tant que “cas contact”… Négatifs. Fort heureusement, nous ne l’avons transmis à personne.
Puis la vie a de nouveau reprit son cours. On a campé au Vieux-Boucau comme Pierre et son frère Alexandre le faisaient enfants. On a fêté les 86 ans de la grand-mère maternelle de Pierre puis les 60 ans du père de Matthieu. Nous avons revu la famille Courade au cours d’une mini-cousinade en plein air et à bonne distance. On a traversé le Pays basque en voiture, passé un week-end à Biarritz. On a fait la fermeture des bars à Lourdes, jusqu’à se retrouver pris dans une bagarre (tradition bigourdane oblige).
Nous avons redécouvert la douce quiétude de Tours où Pierre a fait ses études, la Loire sauvage et transparente, avec ses rives pleines de baigneurs par des températures caniculaires. Nous avons fait le pèlerinage du 15 août à vélo jusqu’à la cathédrale de Chartres et visité pour la première fois son étonnante crypte. On aurait aimé aller jusqu’en Lozère et en Ardèche où Matthieu a de la famille : ce sera pour la prochaine fois !

On a aussi rencontré de nouvelles personnes, un peu comme si notre tour du monde se poursuivait encore. D’abord Julien, qui nous avait envoyé un message émouvant quand nous étions au Laos, le pays dont sont originaires ses parents et qu’ils ont dû fuir à l’instauration de la dictature communiste. Il y eut également Joan, qui a grandi en Colombie : il nous avait écrit de nombreux conseils sur son pays au moment de notre départ, notre retour anticipé nous a donné l’opportunité de le remercier et de poursuivre la discussion de vive voix. À la réouverture des restaurants, nous avons enfin pu dîner avec Patrick, notre logeur-bienfaiteur : une discussion passionnante, assortie d’une succession de plats et de vins comme on n’en déguste qu’en France.
C’était durant la seconde quinzaine d’août. Paris avait alors retrouvé son âme, son énergie. Ses petits commerces avaient repris leur activité, ses terrasses étaient bondées. Comme dans un village, il nous suffisait de nous poser à une table au coin d’une rue piétonne pour revoir des visages connus (« Hey Zac ! On se retrouve où Gauthier ? Rendez-vous à 19h pour la finale Benoît ! C’est pour quand ta pièce Éric ?… Nicolas, Yves-Marie, ça ne vous semble pas trop tôt 13h pour le brunch ? ») C’était à nouveau la ville que l’on adore. On s’en doutait déjà en tour du monde, on en fut certain à cet instant : c’est là qu’est notre vie ; quels que soient nos voyages, c’est ici que nous reviendrons.
La vie reprenait ses droits. On nous avait déconfinés. Et, paradoxalement, on pensait le virus vaincu malgré les messages de prévention toujours aussi présents. Porter un masque dans tel quartier et pas dans un autre tout en déjeunant à cinquante centimètres les uns des autres… Consciemment ou plutôt inconsciemment, on savait que ça n’allait pas durer.

On le savait tous. Mais comment ne pas revoir pendant des heures Lisa, Sophie, Raph, Pauline, Stéphane, Florent, Emma ? Comment ne pas parler à bâton rompu de notre voyage, de la situation sanitaire et des projets avec Fred, Manon, Anne-Sophie, Vincent, Alexis, Simon… Remplir l’espace de mots le temps d’un été entre parenthèses si incertain. Ressortir, enchaîner verres de vin et terrasses. Humer l’air qui était dans l’ensemble au changement, vous nous l’avez dit, certains d’entre vous ont même sauté le pas. C’était aussi le moment de retrouver son chez soi, ses places. Renouer avec nos jobs respectifs aussi (jusqu’au recteur des Sanctuaires et au maire de Lourdes).
Car nous avons, forcément, beaucoup réfléchi à la suite. Fallait-il repartir ? Et où ? Et quand ? Il ne s’est pas écoulé une semaine sans que ces questions nous agitent avec une évidence vite établie : de la même manière que personne ne nous avait dit de partir en tour du monde, personne n’allait nous dire de reprendre la route. Il nous faudrait décider seuls.
Fallait-il repartir ? Dès notre confinement à Paris, la réponse fut acquise. Nous devions voyager un an, pas huit mois. Nous devions faire le tour du monde, pas le tour de l’Asie. L’un comme l’autre, nous détestons abandonner ou revoir nos ambitions à la baisse. Oui, cette crise nous avait obligé à rentrer. Non, cette crise n’aurait pas le dernier mot. Bien entendu, nous allions repartir.
Où ? Idéalement, là où notre itinéraire devait nous mener après le Japon : au Mexique. Quand ? C’est là que tout la difficulté reposait. Sur un plan pratique, nous aurions pu répondre : “Tout de suite.” Aussi fou que cela puisse paraître, y compris pendant la période de confinement en France, les vols entre Paris et Mexico se poursuivaient. Chaque jour, en mars, en avril, un voire deux avions décollaient de Roissy avec des Français à leur bord. Certains avaient des motifs familiaux ou professionnels. D’autres bravaient l’interdiction de déplacement. Ça les regarde.

Nous avons préféré attendre. D’abord parce que nous avions passé toute cette crise à suivre les consignes qui nous étaient données : au Laos, au Cambodge, au Vietnam, au Japon. Nous n’allions pas nous mettre à les ignorer en France ! Ensuite parce que, quitte à être de retour, il était essentiel de prendre le temps de revoir nos familles et nos proches. Cet été nous a permis de les voir davantage que tout autre été.
Il nous fallait attendre, enfin, parce que le risque sanitaire était toujours là. Le Mexique n’a atteint son pic qu’en juillet. Tous les pays qui suivaient dans notre itinéraire – la Colombie, le Pérou, la Bolivie, l’Argentine – vivaient des instants douloureux. Et leurs frontières étaient fermées en conséquence.
Nous avons donc attendu, attendu, attendu… On gardait espoir qu’une solution émerge : qu’un médicament démontre son efficacité, qu’un vaccin soit trouvé ou que le coronavirus disparaisse de lui-même. On surveillait chaque jour les courbes de contaminations et on se renseignait auprès des expatriés sur l’évolution des réglementations.
Quatre mois ont passé. Et alors que la courbe des contaminations en France commençait à repartir à la hausse, l’espoir revenait en Amérique latine. Le Mexique semblait avoir enfin endigué la propagation du Covid, les lieux fermés rouvraient, les activités stoppées reprenaient. Le nombre de cas, et donc le niveau de risque, y était à présent plus faible que dans l’Hexagone.

Alors on s’est décidé : nous allions reprendre notre tour du monde. Beaucoup l’ont compris, d’autres peut-être pas. Ce fut un choix forcément personnel, intime, indissociable de notre expérience : celle d’avoir déjà appris pendant huit mois à vivre en tour du monde, celle d’avoir déjà vécu “avec” la pandémie en Asie, celle d’avoir déjà contracté malgré nous le Covid en France. Le choix de prendre des risques – partir loin, dans une situation très changeante – mais probablement pas davantage de risques qu’en restant en France. Le choix de ne pas nous résigner, d’aller de l’avant et de voir jusqu’où cela nous mènera.
Car le monde a changé – plus rien n’est prévisible, anticipable : ce tour du monde, on ne peut désormais le vivre qu’au jour le jour. Avec la nécessité de respecter les gestes barrières, de se protéger comme de protéger les autres, comme il aurait de toute façon fallu le faire en France. Avec des rencontres, des rapports humains, des échanges probablement moins spontanés, peut-être même rendus difficiles. Nous verrons bien. Nous aviserons. Une fois que la décision est prise, il est temps de ne plus trop se poser de questions.
C’est ainsi que nous avons décollé le 31 août pour la seconde partie de notre tour du monde, à nouveau à bord d’un vol Air France, comme un symbole. Dix heures plus tard, nous arrivions à Ciudad de México.
Bonjour. Je vous lis depuis le début de votre « histoire » : j’adore votre écriture (parfois à quatre mains) et quel bonheur à chaque article. Donc hâte de vous lire, d’autant plus que mon voyage projeté en Colombie a été annulé. Je vais voyager par vos yeux, vos ressentis, vos descriptions. Et je constante qu’effectivement vous avez repris du retard dans vos article 🙂 Où êtes-vous en cette mi-décembre?
Hâte de lire vos aventures en Amérique du Sud !
Heureux de vous retrouver ! Hâte de lire vos récits mexicains et plus !!
¡ Hasta pronto !
Hola les backpackers, quel plaisir de vous retrouver pour la suite et fin de votre tour du monde…hasta luego😉
Merci pour cette amitié !
C’est vrai que les amis ce sont « ces compagnons de voyage qui nous aident à avancer sur le chemin d’une vie plus heureuse ».