Tokyo, dernière adresse connue

Rue de Tokyo

Tokyo est notre dernière étape asiatique avant le grand saut américain. Dernière plongée dans les magazines pop, la cuisine, la musique, les bars, les ambiances électriques,… Ou pas. Tokyo, capitale du Japon, ville de toutes les excentricités, s’est éteinte début avril comme le reste du monde.

[Récit de notre séjour à Tokyo du 30 mars au 4 avril 2020]

Si New York, Bangkok et Phnom Penh étaient des villes qui faisaient fantasmer Pierre, Tokyo est bien celle de tous ses rêves. Il ne pourrait expliquer pourquoi, mais la capitale japonaise est de ces endroits qui l’ont toujours inspiré sans jamais y être allé. Et comme tous les lieux fantasmés, Tokyo n’est pas à l’abri de décevoir. Un peu comme quand on est fan d’une personnalité et qu’on n’ose pas lui demander un autographe de peur d’être déçu par son attitude. Alors nous y pénétrons avec précautions.

C’est au petit matin que nous découvrons Tokyo. On essaie de ne pas trop la brusquer de peur de la réveiller. Le calme est de rigueur dans la grande gare de Shibuya. On en sort sur la pointe des pieds et on ouvre les yeux calmement. Devant nous, une forêt de gratte-ciels. Nous sommes sur une plateforme surplombant une avenue. Quelques véhicules circulent dans le calme. Quelques passants entrent dans les premiers restaurants ouverts pour prendre leur petit-déjeuner.

Dans la ville rêvée

On ne se dit pas un mot. Peut-être sommes-nous encore trop endormis. Et puis Pierre n’aime pas parler au réveil. Mais pour la première fois de sa vie il rencontre SA ville. Inutile de gâcher l’instant avec un mot mal choisi. On se dirige alors vers chez nous. Oui, « chez nous » car nous avons décidé de nous prendre un appartement à Tokyo. Une location d’une semaine dans le quartier résidentiel d’Ōtsuka où nous vivrons le plus possible à la tokyoïte.

Discipline matinale

D’ailleurs, dès ce soir, nous recevons un pote « à la maison ». Vous vous souvenez de Paul que nous avions rencontré à Tam Coc ? Celui avec qui nous avions passé la soirée de fin du monde à Hanoï et que nous avions laissé à l’aéroport en partance pour le Japon. Il est à Tokyo depuis 3 semaines, sans avoir bougé de chez sa copine. Nous nous étions promis de nous retrouver ici. Comme un défi que nous lancions au destin.

Avant de le revoir, nous commençons par nous imprégner de « notre quartier ». Premier métro du matin avec les Tokyoïtes — masqués — et nous voilà déjà dans l’ambiance du quotidien. Difficile de comparer le métro de Tokyo avec celui de Paris aux heures de pointe. Certes, il est tout aussi blindé mais au moins, ici, on évite le plus possible de se marcher sur les pieds. Les Japonais sont même plutôt malins puisqu’ils ont inventé une technique pour éviter de se bousculer : ils laissent les gens descendre de la rame avant de monter. Incroyable, non ? Comment n’y avons-nous pas pensé plus tôt ? Incroyables Japonais !

Dans « notre » quartier tokyoïte

Il ne fait pas très chaud à la sortie de la station d’Ōtsuka. Nous filons dans le premier restaurant devant nous au bout de l’esplanade. Par chance, il vient tout juste d’ouvrir : nous sommes les premiers clients de la journée. Une femme tient l’établissement. Nous en avons maintenant l’habitude, elle ne prendra pas notre commande. C’est une grosse machine des années 80 qui enregistrera notre menu. Une bonne soupe de udon et un grand café. L’idéal pour commencer la journée. Nous payons à la machine qui est aussi grande qu’un distributeur de canettes et nous donnons le ticket à la patronne qui reste derrière son comptoir puis part aussitôt préparer les deux plats.

Street-art tokyoïte

Les habitués commencent à arriver. Un quinqua au costume trop grand ; une vieille femme matinale ; une jeune maman et son enfant pas encore tout à fait réveillé. Pas un mot n’est échangé si ce ne sont les traditionnelles formules de politesse à rallonge en arrivant et en repartant. En revanche, la nourriture servie est tellement bonne que les bruits de déglutition envahissent l’espace. Pas vraiment le genre de bruits que l’on apprécie au petit matin. Mais on pardonne tout aux Japonais (surtout lorsqu’il s’agit là de leur seul « défaut »).

Notre appartement ne sera prêt qu’à 15h. Et vous commencez à connaître la ponctualité maladive des Japonais. Inutile d’espérer pouvoir nous installer plus tôt. Alors nous déposons nos sacs dans une consigne à proximité de la gare et nous reprenons notre découverte du quartier. Nous passons quelques petites rues où les commerces commencent à ouvrir : le marchand de journaux avec ses piles de magazines télé, la boutique de chaussures, le petit maraîcher, le konbini qui n’a pas fermé l’œil de la nuit, le café du coin. Nous nous engouffrons dans l’un d’entre eux. Toujours cette agréable sensation d’être dans un cocon bien chaud, reposant et serein. On se prend deux nouveaux cafés. Parcourons les différentes affiches qui ornent les murs. Et on se plonge dans la carte de l’immense Tokyo. On visitera aujourd’hui le centre, du côté du Yanaka.

Tokyo se referme

Entre les immeubles de bureaux, un temple est caché. Il s’agit du Kanda-myōjin. Des hommes d’affaire en complets sombres viennent prier avant de regagner leurs open-spaces. Ce mélange de spiritualité et de modernité est saisissant. Mais c’est le Japon. La réussite et la prospérité sont des dons du ciel, le travail est une activité vitale et remercier les dieux est une obligation aussi bien sociale que superstitieuse.

Dernières allées ouvertes

Quel parcours avons-nous suivi ce jour de printemps tokyoïte pour nous retrouver brusquement enfermés dehors ? Dans le grand parc de Uno, où les arbres bourgeonnants n’arrivent pas à émerveiller autant que les cerisiers déjà en fleurs, de la rubalise nous empêche d’avancer. Le jaune et noir de l’interdit, du retour sur terre, nous bloque l’accès à de larges allées tachetées de rose. Le Covid-19 est toujours et plus que jamais là. Le Japon rouvrait ses parcs quand nous arrivions, il y a un peu plus de 15 jours. Il les referme en urgence face à la recrudescence des cas à Tokyo.

Que dire alors de ces rues totalement désertes quand nous redescendons le quartier d’Ameya-Yokochō ? Certes, il n’est pas midi quand nous plongeons dans les artères commerçantes. Mais nous sommes lundi matin. Et nous savons les Japonais matinaux. Alors ?… Les drapeaux olympiques sont encore accrochés à tous les réverbères. Les mascottes Miraitowa et Someity apparaissent toujours tout sourire sur les canettes de soda, les affiches publicitaires, les culs des bus. Cette première plongée tokyoïte nous ramène brutalement les pieds sur terre : la capitale japonaise n’est plus à la fête.

Dernière fête avant le retour

Alors forçons-la. Obligeons-là à ne pas devenir le sinistre son du glas de notre tour du monde. Il n’y a aucune raison que tout cela s’arrête. Ni le confinement en France ni même le report des Jeux olympiques ne doivent avoir raison de notre voyage. C’est un aléas. Rien de plus. D’ailleurs, Paul est dans le même état d’esprit que nous, lui qui vient de Clermont-Ferrand et qui s’est lancé à l’aventure tout seul, à 20 ans, il y a quelques mois.

Même le temps n’est plus à la fête

On récupère notre appart et on sort faire nos achats au Donky du quartier. Le ciel est déjà noir quand nous ressortons chargés de chips aux goûts scandaleux, de pseudo-fromage, de saloperies que l’on ne peut retrouver qu’au Japon mais tellement rigolotes qu’ils faut les acheter au moins une fois. Et puis on a dû repartir avec pas moins de 3 litres de saké et de shōchū — la version hard (et quasi-imbuvable) du saké. La soirée doit être à la fête !

Mais comme à Hanoï, une sensation étrange nous envahit… Paul arrive, son gros sac de voyage en bandoulière : « Les mecs, j’ai pris mon sac parce que je pense enchaîner directement avec mon vol demain matin : je rentre en France. » Coup de massue. Nous savions en regardant les blogs et les réseaux sociaux que la plupart des tourdumondistes étaient déjà rentrés au bercail. Seule restait une poignée d’irréductibles à sac-à-dos. Dont Paul devait être, à nos yeux, l’ultime représentant.

Coup de massue et gueule de bois

Coup de massue d’autant plus que l’on venait nous même de décliner une offre d’un de nos lecteurs, Patrick, qui venait de nous proposer gentiment de nous héberger en cas de retour précipité. Nous n’avions jamais songé à une telle éventualité. L’annonce de Paul est donc un véritable coup de massue. Nous plongeons dans nos litres de gnôle pour « célébrer » cette fin d’aventure et espérer qu’au réveil cela ne soit qu’un vilain cauchemar…

Nœuds

Gueule de bois. Paul est parti peu avant 4h du matin. On se réveille peu avant 14h du matin. Trop bu oui. Mais temps gris dehors et ces nouvelles peu réjouissantes de France où le confinement se poursuit dans la torpeur. Des nouvelles aussi venues du reste du monde qui se referme lentement mais sûrement.

Gueule de bois qui nous empêche de nous lever. On cogite. On pense à la longue discussion de la veille. Faut-il rentrer à notre tour ? La prochaine étape, c’est San Diego, en Californie, chez la plus vieille amie de Pierre. Elle nous accueille volontiers avec son mari mais ils sont aussi confinés : impossible de sortir de leur appartement. Alors, on pourra toujours passer des journées à jouer au UNO, à refaire le monde, à apprendre à cuisiner des spécialités californiennes et mexicaines. Mais au bout de quelques jours de cohabitation forcée, on commencera peut-être à avoir les nerfs en pelote.

La chaleur rassurante d’un restaurant

C’est à ce moment-là que l’on rejoint l’épisode déjà raconté dans cet article (nous rappelons à nos parents qu’il faut cliquer sur le mot en couleur). Nous décidons de rentrer, acceptant la proposition de Patrick de loger chez lui et en quelques heures nous prenons nos billets d’avion. L’occasion ici de remercier encore une fois toutes les équipes d’Air France et le réseau consulaire français qui, en coordination, ont fait un boulot énorme pendant cette période.

Même au cœur de Tokyo on peut encore trouver des maisons en bois

C’est presque soulagés d’un poids que nous terminons cette première partie de tour du monde. Le hasard a voulu que ce soit à Tokyo. Le hasard qui sera toujours de notre côté en cette soirée chagrine. Sous le crachin, nous n’aurons pas vu le soleil aujourd’hui. Nous sortons emmitouflés pour manger un morceau. Le hasard, disions-nous, nous indique un petit resto. Discret, presque secret, comme la plupart des restaurants de quartier au Japon. Les bandeaux sont sortis au-dessus de la porte en bois : c’est ouvert. Nous frappons et entrons.

Un vieux bonhomme derrière son comptoir. Son fils accoudé au bar. Accueil chaleureux. Grand sourire. Air de surprise aussi. Le vieux monsieur ne parle pas anglais. Son fils assez peu, mais il veut faire la conversation. Nous commandons un de ces plats qui nous rendent déjà nostalgiques… Avec son traducteur en ligne, le fils, la quarantaine, nous explique que son père a succédé à son propre père à la tête de ce resto ouvert depuis 1942. On se prend à imaginer ce qu’ont pu vivre ces murs. La Seconde Guerre mondiale, la terrible défaite du Japon, l’Occupation américaine, les années 80 triomphantes,… jusqu’à l’arrivée de ces deux Français.

Hachikō, chien fidèle

On discute encore un bon moment tous les quatre. Entre la voix synthétique du traducteur, les gestes, les regards, les quelques mots d’anglais, un peu de français aussi parce que c’est chic. Des photos au mur racontent l’histoire du lieu qui semble ne pas avoir bougé depuis près de 80 ans. Nous ne sommes que quatre. Nous les laisserons tous les deux dans quelques instants. Refermant la porte sur ce pan de l’histoire du quartier, un patrimoine japonais.

Un chien qui jappe au nez

Le lendemain, « y’r’pleut » comme dirait Matthieu dans son normand natal. Mais cette fois ni la pluie, ni la tristesse, ni l’alcool ne nous empêchent de poursuivre notre découverte de Tokyo. Partons d’abord à la rencontre d’Hachikō, le chien fidèle. Au pied des tours et devant la gare de Shibuya — la plus fréquentée de Tokyo — se dresse une statue en bronze de cet akita devenu mascotte nationale. Il faut dire que son histoire a de quoi émouvoir.

Dans les années 1920, il est adopté par un professeur de l’Université de Tokyo. Tous les matins, Hachikō et son fidèle compagnon parcourent les quelques mètres séparant le domicile du professeur à la gare de Shibuya où l’homme prend son train de banlieue. Immanquablement, inlassablement, Hachikō attend son maître chaque soir au même endroit. Un jour, malheureusement, le professeur meurt d’une hémorragie en plein cours. Hachikō espère des jours le retour de l’enseignant, faisant plusieurs fois le chemin de la maison à la gare et de la gare à la maison.

Dans l’antre de la pop japonaise

C’est en l’honneur de sa fidélité qu’une statue a été dressée une première fois sur le parvis de la gare en 1934. Hachikō était lui-même présent à l’inauguration. Fondue pendant la Seconde guerre mondiale, une seconde statue fut installée en 1948. C’est devant cette dernière que nous présentons nos hommages à Hachikō en cette matinée humide. Nous traversons le plus grand passage piéton du monde (celui que vous voyez dans chaque reportage sur Tokyo). Puis nous grimpons dans un mall où le dernier étage est transformé en temple du livre et du magazine.

Un groupe de J-Pop de circonstance

Nous y passons bien une heure à feuilleter les derniers numéros de « Seventeen » ou de « Popeye » et repartons avec un « Fruits » : un magazine de mode qui ne prend en photo que des jeunes gens du quartier voisin d’Harajuku connu pour ses excentricités (les mêmes que vous voyez dans les reportages sur Tokyo). Plus loin, nous passons là aussi pas mal de temps dans le plus grand disquaire de Tokyo, écoutant de la J-Pop, cousine sage de la K-Pop coréenne, de l’électro nippon et même du rap japonais (franchement très moyen). Nous repartons avec quelques disques pour nos familles.

Le déj est lui aussi typiquement dans la veine de ce Tokyo fantasmé (et qui existe vraiment) au Uobei : de longues tables où chacun s’installe côte à côte face à un écran tactile où on commande directement notre menu. Deux rangées de tapis roulants défilent devant nous pour nous apporter nos plats directement depuis la cuisine cachée derrière une cloison. Nous avons l’impression que nos makis et nos sashimis sont fabriqués par on ne sait quelle machine issue d’un livre de science-fiction des années 50. Mais c’est délicieux, notamment le sushi de cheval que l’on vous recommande.

Tokyo-eat

D’ailleurs, on vous recommande toute la nourriture japonaise. On a eu assez peu l’occasion de l’aborder car la crise du Covid prenait pas mal de place dans ce carnet de bord japonais. Mais la gastronomie nippone est évidemment l’une des meilleures du monde, des plus fines et des plus saines. Il n’y a pas que les traditionnelles compositions de poissons crus que l’on retrouve en France même si, il ne faut pas se mentir, les makis, les sashimis, les chirashis… de même que certaines brochettes existent ici aussi. Mais il ne faut pas oublier les soupes notamment la kitsune udon avec ses grosses nouilles et son bon morceau de tofu grillé au goût subtilement caramélisé.

Un déjeuner japonais en dehors des traditionnels bentos

L’autre découverte culinaire de ce séjour, ce fut l’anguille. Extrêmement chère en France, c’est aussi un met de choix au Japon. Mais quel bonheur de déguster des fines tranches chaudes déposées délicatement sur du riz parfumé. Ce « simple » plat appelé unagi don nous fera longtemps saliver. Une chaîne spécialisée dans ces bols d’anguille propose des formules généreuses et bon marché. On trouve une des succursales à Asakusa, face au siège d’Asahi dominée par une flamme signée Starck qui reflète son or sur la rivière Sumida-gawa.

Au loin, on aperçoit la silhouette de la tour Tokyo Skytree (634 mètres de haut), inaugurée en 2012 et qui ringardise de près de 300 mètres l’élégante tour de Tokyo rouge et blanche, réplique nippone de notre tour Eiffel. Nous ne pourrons monter ni dans l’une ni dans l’autre, restrictions liées au Covid obligent. Nous aurions pu découvrir le mont Fuji de leurs sommets respectifs.

Des bars à chouettes

Entre les bars à chats, à chiens, à lapins et même à hérissons et à chouettes (bientôt la mode à Paris ?), nous traversons des quartiers tokyoïtes assez peu animés. Les consignes de sécurité sont appliquées à la lettre et peu de monde descend dans la rue sans en avoir une obligation bien précise. Matthieu en profite pour se faire couper les cheveux dans un petit salon minute. C’est courant à Tokyo. Il s’en sort pour 8 euros, de quoi passer le reste du confinement à Paris les oreilles bien dégagées.

Immeubles du quartier de Nishi Shinjuku

On découvre aussi le cimetière caché du temple de Seikyoji où repose le peintre Hokusai, célèbre pour ses magnifiques estampes (notamment « La Grande Vague de Kanagawa » de 1831). Un café au coin de la rue ou pris dans un konbini et on se retrouve devant l’imposante porte de Kaminarimon, chef-d’œuvre du Xe siècle maintes fois rebâti et qui garde jalousement le non moins impressionnant sanctuaire d’Asakusa. Déjà les prières se font plus intenses, plus recueillies. Encore un lieu de calme et de sévérité au cœur même de la mégalopole. On ne peut même pas dire qu’il s’agit de deux Japon car le spirituel et le matériel sont intrinsèquement liés dans l’archipel.

Lors des ces derniers jours de tour du monde avant un retour anticipé (que l’on espère n’être qu’une parenthèse), nous aurons déambulé dans des quartiers différents et à chaque fois vertigineux. Si c’est par la hauteur de Nishi Shinjuku où se dresse les plus hauts gratte-ciels de la ville dont la mairie, réplique futuriste de Notre-Dame-de-Paris avec ses deux tours qui dominent sa façade. Ou vertigineux aussi le quartier de Kabukicho connues pour ses boîtes chaudes tenues par des gars à la gueule patibulaire.

Masques et livres : derniers achats avant confinement

En fin d’après-midi, une mystérieuse file d’attente se met en place devant un drugstore. Des femmes et des hommes d’affaires attendent gentiment leur tour. On comprend assez vite qu’il s’agit d’une vente de masque chirurgicaux. Le Japon était en effet sous l’effet d’une mini-rupture depuis quelques jours. Cela n’a pas causé trop de problèmes car les Japonais étaient déjà équipés. Mais ça commençait à faire long. Alors quand la pharmacie du coin s’est réapprovisionnée, les Tokyoïtes se sont passés le mot et sont tous descendus de leurs bureaux pour acheter une boîte.

Coureur aux abords du palais impérial

C’est ainsi que nous rentrerons à Paris avec 30 masques aux dernières normes à un moment où la France peinait encore à équiper sa propre population. Autre achat de première nécessité avant de rentrer : des livres. Patrick nous a prévenus : « Il n’y a pas de livre chez moi. Alors si vous vous ne voulez pas vous ennuyer pendant le confinement, prenez vos précautions. » Ce sera chose faite dans la petite librairie française Omeisha. Tenue par un Japonais, elle propose des milliers de références. On déniche un Marguerite Duras et un André Gide : « Le marin de Gibraltar » et « Voyage au Congo », histoire de poursuivre un semblant de tour du monde assignés à résidence.

On aimerait tout dire de Tokyo, tout raconter. Cette ancienne mignonne et petite cathédrale catholique Saint-Joseph dont la façade nous fait penser à Sainte-Marie-des-Batignolles. Le palais impérial dont même les jardins sont fermés pour cause de pandémie (les coureurs sont obligés de pratiquer leur discipline à l’extérieur, sur la vaste esplanade). Cet immense temple à la gloire de l’armée japonaise. Les filles et les garçons aux cheveux roses, bleus, verts (Pierre promettait de les imiter… avant de se dégonfler). Les parterres de tulipes multicolores. Les Tokyoïtes masqués protégés par un parapluie systématiquement transparent. Les love-motels où les jeunes couples se retrouvent à l’abris des regards parentaux. Les cabarets de poche. Les toriis.

Un samedi soir dans un Tokyo vide

Et puis le dernier soir arrive. On quitte notre appartement pour un hôtel cool. Un sentō nous attend au dernier étage. Plus moderne qu’à Kyoto, il en conserve néanmoins le même principe. Même dans un immeuble moderne, les clients se promènent nus dans cette vaste salle de bain qui donne sur une vraie piscine. La vue panoramique sur Tokyo depuis les bassins est magnifique. On se sent bien. Demain, on atterrira à Paris. Une autre aventure commencera.

Un Tokyo quasi-vide un samedi soir, qui l’eût cru ?

Ce soir, on termine notre séjour japonais dans un rade où on nous prépare à manger à volonté devant nous. C’est la première fois que nous tombons sur un resto aussi peu aseptisé. C’est le dernier restaurant encore ouvert dans le quartier. Sans couvre-feu et sans confinement, les commerçants japonais ont adapté leurs horaires et ferment beaucoup plus tôt que prévu. On boit nos derniers coups dans des endroits difficilement reconnaissables en pleine journée. On fait nos derniers achats en pleine nuit dans le grand Donki du coin. De quoi ramener quelques souvenirs en France comme des Kit Kat introuvables chez nous pour Lisa, Sophie et Stéphane. On déniche également un badge anti-Covid à mettre autour du cou qui diffuse du dioxyde de chlore (là aussi introuvable en France et même ailleurs en dehors du Japon).

Les rues sont vides. Samedi soir de pandémie à Tokyo la bouillonnante ressemble à un mercredi soir à Melun. Même impression le lendemain matin quand nous arrivons à l’aéroport de Narita. Tous les vols sont annulés sauf le nôtre, le Air France Tokyo-Paris : « Bienvenue ! Nous vous ramenons à la maison », nous lance même le commandant de bord. Nous voyagerons dans des conditions définitivement optimales que seule notre compagnie nationale peut nous offrir. Au revoir Tokyo, au revoir le Japon. Au revoir tour du monde ?

Nos coups de cœur

Déguster. Des anguilles pour un prix tout à fait abordable dans les restaurants Unatoto (que l’on trouve notamment à Tokyo) proposent des unagi don vraiment délicieux. Nous sommes allés à celui du quartier d’Asakusa.
Unatoto, 1 Chome-5-2 Hanakawado, Taito City, Tokyo 111-0033.

Manger. Un petit restaurant dans le quartier d’Ōtsuka tenu de père en fils depuis 1942 : le Matsushima.
Matsushima, 1-51-18 Minamiotsuka, Toshima City, Tokyo 170-0005, Japon

Chez l’accueillant et affable chef du Matsushima dans le quartier d’Ōtsuka

Lire. La librairie Omeisha dans le quartier français de Tokyo propose de nombreux titres (romans, essais, manuels scolaires,…), classiques et contemporains. Le patron est un petit monsieur japonais parlant très bien français. il propose même de passer commande si le titre n’est pas en rayon.
Libraire française Omeisha, 2 Chome-3-4 Fujimi, Chiyoda City, Tokyo 102-0071

Toutes nos étapes au Japon

5 commentaires sur “Tokyo, dernière adresse connue

  1. Et voilà, j’arrive au bout de votre périple, et cela a été un plaisir exquis de vous lire. En cette période de covid où nos vies sont un peu entre parenthèses, je me suis laissée embarquer dans votre aventure, un voyage virtuel en quelque sorte… vos récits sont vraiment bien écrits !
    En recherchant des informations pour mon futur tour du monde ( même si je dois avoir l’âge de vos parents) je suis tombée sur votre blog. J’ai hâte de découvrir les récits de vos aventures latino américaines, l’ambiance est sans doute bien différente de l’Asie ? …
    Visiblement la Birmanie a bien changé : lors de mon voyage en 2016, je n’ai pas eu les mêmes impressions que vous sur la population, plutôt accueillante et les prix qui étaient bel et bien affichés sur les cartes des restos… les choses semblent avoir bien changé en 4 ans.
    Pour l’Indonésie, même impression décevante de Bali où, dès que l’on pose le pied sur l’île, nous sommes pris pour des pompes à fric. J’avais nettement préféré l’île de Java et encore plus celle de Lombok…
    À bientôt et bonne continuation !
    Sylvia

    1. Merci beaucoup pour ce message ! Et merci de nous lire 🙂 Nous espérons que les articles sur l’Amérique latine vous plairont tout autant, l’ambiance y est effectivement très différente de celle de l’Asie (mais c’est tout aussi passionnant !). Nous vous souhaitons une bonne préparation de tour du monde. S’il y a bien une chose que nous avons constatée au fil de notre parcours et de nos rencontres, c’est que tous les âges sont bons pour se lancer dans une telle aventure 🙂

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