
La capitale du Vietnam sera notre dernière étape dans le pays, nous le savons. Le temps est morose à l’image de toute une ville où le doute s’installe. Nous ne visiterons pas Hanoï dans les meilleures conditions mais a-t-on vraiment envie de faire du tourisme quand la France annonce la fermeture de tous ses lieux de vie et que le regard sur les étrangers commence à peser sur nous ?
[Récit de notre séjour à Hanoï du 14 au 16 mars 2020]
Nous sommes sept Occidentaux à débarquer à la gare centrale d’Hanoï en cet après-midi chagrin. Le ciel gris de Tam Coc nous a suivis. Nos regards sont dans le vague tant nos esprits restent dans le flou. Nous avons nos billets d’avion pour Osaka en poche. Encore quelques heures à patienter. Mais pourrons-nous décoller ? Et, ensuite, le Japon nous acceptera-t-il ?
Nous jouons avec le feu car nous aurions pu partir directement nous mettre à l’abri. Mais nous avons quand même voulu découvrir Hanoï avant de quitter le Vietnam. Une capitale est toujours un concentré excessif d’un pays. Ici, nous comprenons vite que tout va s’accélérer. Nous nous dispersons, nos compagnons de route et nous, avec la promesse de nous retrouver, tout à l’heure, pour boire des coups. On en a besoin…
Le dernier îlot
Notre hôtel est en plein centre. Pas évident de trouver un établissement encore ouvert à Hanoï. Le nôtre n’est pas de première jeunesse, le ménage semble optionnel, la chambre sent le renfermé et la salle de bain pue l’humidité. Au moins, il ne nous fera pas regretter notre séjour à marche forcée… Espérons toutefois que l’on ne soit pas contraint à une quarantaine dans cette chambre !

Les rares touristes qui sont encore au Vietnam sont comme nous des backpackers pour la plupart sur le départ. Des Français, des Suisses, pas mal d’Australiens, quelques Allemands et une poignée d’Anglais. On se retrouve tous, sans le savoir, dans l’hyper-centre d’Hanoï le soir-même. C’est là que nous rejoignons Isis, Cécile, Audrey, Aude et Paul qui peine à se réveiller de sa sieste. Nous gardons nos distances de sécurité : même au Vietnam, et surtout entre Occidentaux, on tend les bras pour laisser 1 mètre entre nous. Nouveau réflexe que nous apprenons à prendre.
Nous sommes une bonne petite centaine à discuter, une pinte à la main, dans la rue. On rencontre le monde entier dans ce coin de ville, au fond d’Hanoï. On y parle toutes les langues et nous sommes liés par nos aventures asiatiques et notre infortune du moment. Tous ceux qui auront vécu ces quelques journées de mi-mars au Vietnam auront tous les mêmes souvenirs en tête, quel que soit leur parcours avant ou après cet épisode.
Pressions sous pression
Se soutenir, se serrer les coudes ; voilà de quoi nous avons besoin en ce soir où le crachin masque nos visages tendus. Les théories commencent à circuler : « Mon copain resté en Europe me dit que c’est une expérience dans un labo chinois qui a mal tournée ! » – « Il paraît que la Russie a un vaccin mais ne veut pas le donner aux autres pays ! » – « La France va annoncer un confinement généralisé ! »

Nous essayons de garder la tête froide, d’expliquer pourquoi telle ou telle info n’est pas crédible, comment les choses peuvent évoluer, tentant de nous rassurer nous-mêmes tout en retrouvant nos réflexes professionnels. Surtout, battre en brèche les théories du complot. Et puis, au final, on s’accorde tous sur un point : « On re-boit un coup ? »
La petite dame qui nous sert des bières a probablement le commerce le plus rentable de la ville : un fût, un bout de trottoir, trois tables d’enfant en plastique, six chaises, une pile de gobelets et puis c’est tout ! Elle nous sert à tour de bras, venant reprendre nos verres avant même qu’on ait totalement fini pour nous les remplir de nouveau. Il faut dire aussi que ses pressions sont les moins chères du monde : 30 centimes d’euro ! On serait fou de ne pas en profiter, surtout en ce moment.
Pluie de larmes sur les trottoirs d’Hanoï
Paul part finalement se coucher. Jamais totalement sorti de sa sieste, il nous donne rendez-vous lundi à l’aéroport où il doit prendre un vol une heure avant le nôtre. D’ici là, advienne que pourra ! On poursuit la soirée avec les filles. Audrey et Aude se sont décidées à rentrer en France. C’est le cœur gros qu’elles vivent en ce moment la fin de leur rêve de voyage au long cours. Les yeux sont humides et ce n’est pas seulement à cause de la pluie.

La police fait des rondes obligeant chaque vendeur de bière à ranger ses fûts et ses tables sous peine d’amende. Le spectacle se répètera au moins 10 fois au cours de la soirée : inlassablement nous retrouverons notre petite dame, elle nous resservira tant que son baril restera plein et le manège des flics recommencera quelques minutes plus tard sous les « hourra » de la rue.
L’ambiance se détend à la faveur de cette bia hơi. Les larmes commencent à sécher comme la pluie sur le trottoir. Pierre part en exploration : un long couloir glisse sous un immeuble. C’est typique des constructions de Hanoï. Notre hôtel est également conçu de cette manière. Sauf qu’ici, Pierre pénètre dans un labyrinthe où les corridors intérieurs forment de véritables rues. Des gens vivent dans cette ambiance de cave, sans lumière.
Enfermés dehors
Pourtant, des portes se succèdent. Des fenêtres sont même percées dans les parois des murs donnant sur le couloir sombre. Puis il tombe sur une espèce de cour. Il pense qu’il s’agit d’un puits de lumière : impossible à distinguer en pleine nuit. En tout cas, l’odeur est prenante et un chat semble attablé devant un reste de viande avariée.

En ressortant de l’abîme au bout de quelques secondes, Pierre sent son portable vibrer : « Édouard Philippe ordonne la fermeture des bars et des restaurants dès ce soir minuit. » Ce n’est pas possible ! Interdit, Pierre montre le message à Matthieu, abasourdi à son tour. Pas le temps de réfléchir, quitte à être au bout du monde dans une ambiance de fin du monde, il appelle sa mère, l’informe de la nouvelle et lui demande instamment de rester chez elle, de ne sortir qu’en cas de nécessité absolue et, surtout, de faire en sorte que ses grands-parents ne sortent plus du tout.
Le ton devait être vraiment inquiétant pour que le message soit passé aussi facilement. La mère de Pierre lui expliquera plus tard qu’il avait l’air vraiment paniqué. Matthieu lui racontera comment il a crié au téléphone. Mais au moins, pour sa famille, le confinement aura commencé avec quelques jours d’avance.
La gueule de bois
Impossible de poursuivre la soirée. On rentre se coucher. La peur pour nos proches, loin, a raison de notre esprit cartésien. Autant on arrive à contrôler nos émotions quand le danger peut se présenter à nous. Autant quand ça touche des gens que l’on ne peut pas voir, la panique la plus élémentaire peut ressurgir. On sait que nous venons de vivre notre dernière soirée d’insouciance teintée de joie, mêlée d’inquiétudes, à l’unisson des Parisiens, comme si nous étions ici et en même temps chez nous. Notre génération de trentenaires déjà marquée par les crises économiques, les bouleversements climatiques et les attaques terroristes entre dans une nouvelle ère d’incertitude.

Le lendemain, la gueule de bois. Pas seulement à cause de la bière. Nous nous réveillons en espérant que la fin de soirée n’était qu’un mauvais rêve. Ce n’est pas sûr. Aujourd’hui, on vote en France dans un climat de plus en plus oppressant. Nous avons envoyé un message à nos deux amis qui ont notre procuration : « Si vous ne le sentez pas, si vous préférez rester chez vous, ne culpabilisez pas de ne pas pouvoir voter pour nous. »
Gueule de bois dans cette chambre de plus en plus sordide. Dehors, l’atmosphère s’est assombrie. Il crachine encore. On ne verra pas le soleil de toute la journée, caché derrière une épaisse couche de nuages. Quelque chose pour se rassurer enfin, de la bouffe facile, sans prise de tête, au chaud : un Burger King ! Du gel hydroalcoolique est à notre disposition. On porte évidemment le masque. Et le Whooper est comme chez nous.
Rencontre en VF
On retrouve ensuite Huy qui nous entraine dans un café charmant dans une vieille maison coloniale : le Loading T café. Huy est Vietnamien et prof de Français. On se suit depuis longtemps sur les réseaux sociaux. Les hasards du tour du monde, encore une fois, font bien les choses. On passera peut-être 2 ou 3 heures ensemble à refaire le monde : le Vietnam et son régime, la France et ses élections… Mais surtout, le coronavirus.

Le lycée de Huy est fermé depuis déjà 3 semaines (nous sommes mi-mars). Il donne actuellement des cours privés à certains de ses élèves dont les parents peuvent payer. Il nous confirme ce que l’on a très vite perçu dans le pays : l’auto-discipline de fer des Vietnamiens. Comme la plupart des peuples asiatiques, ils ont été traumatisés par l’épidémie de SRAS (2002/2004) qui avait causé la mort de 774 personnes à travers le monde (dont 5 au Vietnam).
Depuis, des mesures ont été prises pour mettre en place un protocole réactif dès qu’une épidémie se déclare : « On est obligé de prendre des mesures très rapidement car on n’a pas le même système de santé qu’en France ! », nous rappelle Huy. La France pêche-t-elle par excès de confiance en son propre système ?
Quand les gens se détournent de nous
Les autorités vietnamiennes n’ont en tout cas pas hésité à fermer les établissements scolaires et les frontières avec la Chine, à informer la population, à mettre en place un processus rapide de traçage des déplacements, des malades et ainsi de mettre en quarantaine de manière très large tous ceux qui ont pu être en contact avec un cas positif. C’est ainsi que le Vietnam n’a jamais été obligé de confiner la totalité de sa population.

Ce jour-là, il est d’ailleurs encore impensable que l’on arrive à une telle extrémité en France. Déjà, fermer les bars et les restaurants est une mesure courageuse et impopulaire. Alors imposer un confinement… Néanmoins, on s’étonne avec Huy des discours français sur le port du masque. Ou plutôt sur son non-port alors qu’ici se présenter sans masque est jugé inquiétant.
Les gens se détournent ou remettent leur masque quand ils nous croisent dans la rue. On sait dès lors que notre masque chirurgical fera long feu : on achète un masque en tissu, plus résistant et qui est le plus porté par les habitants d’Hanoï. Il en existe de tous les coloris, du plus bariolé au plus sobre. On s’achète deux masques noirs, classiques.
Chez madame Hanh
Ce café avec Huy, son sourire et son français limpide, sans accent, nous redonnent un peu d’espoir. On poursuit notre balade (nocturne désormais) dans le quartier. La cathédrale Saint-Joseph date de 1886. On y célèbre toujours des messes en français tous les dimanches. En poussant un peu plus loin, on tombe sur un petit resto, dans une ruelle, tenu par une dame, madame Hanh, et ses grands enfants. Matthieu l’avait repéré avant d’arriver. Sa spécialité : le banh cuon.

En un tournemain, elle nous prépare on ne sait plus combien de ces petites ravioles de riz plates et fines qu’elle fait chauffer sur une plaque chaude et bombée couverte d’une feuille de rotin. Assise en tailleur à côté de nous, face à la rue, elle nous concocte un petit repas complet en nous adressant des sourires coquins… tout en engueulant ses fils qui ne servent pas assez vite les plats ! Cet endroit est rassurant. Un couple de Vietnamiens partagent la table derrière la nôtre. Un resto du dimanche soir sous un ciel orange, éclairé par les lumières de la ville.
Contrairement à Saïgon, Hanoï semble beaucoup plus pauvre. Ici pas de gratte-ciels, pas d’opulence, pas de grands magasins. Ou, en tout cas, tout cela est plus discret. On est dans de petites rues, des labyrinthes, des ruelles. Les immeubles sont moins bien entretenus ou bien est-ce le temps qui nous donne cette impression ? Nous nous aventurerons un peu plus dans Hanoï demain, il fera jour…
Victoires à la Pyrrhus
La nuit sera courte. Nous restons éveillés afin de suivre en direct les résultats des élections municipales, notamment à Paris et Lourdes. Après le retrait de Benjamin Griveaux (que nous apprenions en plein milieu des temples d’Angkor) jusqu’à l’intrusion soudaine du Covid-19 dans la campagne, le scrutin dans la capitale est plus incertain que jamais. À Lourdes, la multiplication des listes peut laisser un espoir à la maire sortante au bilan pourtant décrié. Autant dire que cette soirée en décalé nous tiendra éveillés jusqu’à bien 5h du matin.

Les résultats sont un soulagement pour nous deux. Pour Matthieu à Paris. Pour Pierre à Lourdes. Mais se posent tout de suite des questions sur l’organisation du second tour et, d’ailleurs, comment se réjouir quand heure après heure la situation sanitaire s’aggrave dans tout le pays ? Pierre a eu ses proches qui l’ont rassuré : « On n’est sorti que pour voter : il y avait du gel à disposition et on n’a croisé personne. »
Quelques heures plus tard, on petit-déjeune avec un bon bun au poulet avant de boire un bon café chaud (et noir) dans un petit rade au coin de la rue. Sur le mur, un beau poster des Bee-Gees qu’avait remarqué Pierre depuis quelques jours (on est à deux pas de notre hôtel). Dans la salle, que des habitués. Derrière le comptoir, comme souvent, une dame âgée mais volontaire et directrice : c’est la tenancière. Le ciel ne s’est pas découvert. On est bien à l’intérieur.
Gris made in Vietnam
C’est lundi et nous avons une confirmation : les Hanoïens ne sortent plus. Le week-end fut calme mais on pensait que c’était à cause du week-end. Et même si Huy nous affirmait qu’Hanoï était particulièrement vide ces jours-ci, on pensait que l’activité allait reprendre avec le début de semaine. Il n’en est rien. Des boutiques ont même baissé leur rideau entre samedi et aujourd’hui. On nous regarde de manière plus pressente (pour ne pas dire oppressante) même en ayant mis un masque.

Les rues d’Hanoï sont grises. Gris du ciel, gris du sol, gris des rideaux de métal devant les vitrines, gris de nos visages. Les derniers routards circulent sans enthousiasme. La plupart de ceux croisés il y a 48h sont déjà sous d’autres latitudes. Nous repartons ce soir. Alors profitons de ces quelques heures dans la capitale du Vietnam pour tenter de penser à autre chose. Même si tout nous ramène à la situation sanitaire.
Matthieu commence par vouloir tourner la page de ses godillots Quechua qu’il porte tous les jours aux pieds depuis mi-août : « C’est de la qualité, vous verrez ! C’est fabriqué au Vietnam ! », lui lance le commerçant qui lui vend une bonne paire de basket. Elles seront foutues au bout de trois semaines. Matthieu a en tout cas la délicieuse sensation d’être plus léger dans ses déplacements !
Toute l’Histoire du Vietnam
On s’éloigne du quartier de notre hôtel. On arrive du côté de Hang Dâu où l’on croise un vieux château-d’eau marqué comme « monument historique » sur Google Maps (il date quand même de 1894). Plus loin, on a la Maison Centrale (l’ancienne prison) mais on préfère bifurquer vers l’ancienne citadelle impériale de Thang Long qui nous accueille à l’entrée du district Ba Dinh encore appelé Quartier français par les habitants d’Hanoï.

C’est un peu le cœur administratif et symbolique de toute l’Histoire du Vietnam. En plus de l’ancienne cité impériale qui date du XIe siècle (fermée au moment de notre passage), on y trouve aussi le lac de la Soie Blanche où John McCain a été capturé par l’armée nord-vietnamienne en 1967, le Musée des Beaux-Arts du Viêt Nam (installé dans un ancien collège catholique pour jeunes filles de 1937), l’actuel palais présidentiel (ancienne résidence des Gouverneurs de l’Indochine française), le zoo d’Hanoï (ouvert en 1977) et, surtout, le mausolée d’Ho-Chi-Minh.
L’esplanade est immense, totalement fermée à la circulation. Deux militaires en uniforme blanc gardent l’entrée du panthéon. L’endroit est solennel. C’est LE lieu de recueillement national, devant le tombeau du « Père de la Nation » vietnamienne moderne. Pour des raisons sanitaires, le mausolée était fermé quand nous y sommes passés. Sinon, nous aurions vu Ho Chi Minh en chair et en os : son corps est embaumé et enchâssé dans un caisson réfrigéré.
Quartier en quarantaine
Face à lui, l’Assemblée nationale, organe législatif du pays où un seul parti est autorisé : le Parti communiste du Vietnam, « détachement d’avant-garde de la classe ouvrière, représentant fidèle des intérêts de la classe ouvrière, du peuple travailleur et de toute la nation, adepte du marxisme-léninisme et de la pensée de Hô Chi Minh, est la force dirigeante de l’État et de la société », comme le précise la Constitution vietnamienne.

Nous ne pourrons pas visiter non plus le musée Ho-Chi-Minh accolé au mausolée. On s’éloigne en passant dans la rue des Ambassades et autres corps constitués siégeant dans de superbes demeures coloniales (difficile, voire interdit de les prendre en photos, mais le détour vaut le coup d’œil). Et c’est à ce moment-là que ressurgit l’Histoire présente : une rue est barrée. Cordon de sécurité, barrières, voiture de policiers en faction : un cas de Covid-19 vient d’y être signalé, les habitants de la rue sont placés immédiatement en quarantaine.
Une bonne soupe pour se remettre de cette marche et se réchauffer. Matthieu achète des clopes à une vieille dame dans la rue. Hanoï commence à s’éclairer : il n’est pas 17h et il commence déjà à faire nuit. L’ambiance commence même à être franchement lugubre quand on arrive au niveau du lac Hoan Kiem. Son histoire est pourtant belle. Et rejoint, en un sens, l’actualité…
Quand les Vietnamiens boutaient les Chinois
La légende raconte que l’empereur Lê Loi a reçu en cadeau une épée trouvée dans le lac par un pêcheur. L’empereur s’en servit lors des innombrables batailles qu’il dû mener pour bouter les Chinois hors du Vietnam. Après 10 ans de combats acharnés, vainqueur et héros national, Lê Loi rejoint Hanoï. À l’approche du lac Hoan Kiem, une tortue lui demanda de restituer son épée : elle appartenait en fait au Roi-Dragon !

À ce moment-là, Lê Loi comprend que son destin avait été dicté par le divin : la guerre contre la Chine était donc juste. Il devient le premier empereur du Vietnam réunifié après 21 ans d’occupation chinoise. Aujourd’hui encore, ce mythe fondateur est vivace dans le pays et le ressentiment envers l’Empire du Milieu toujours d’actualité. Aujourd’hui, chaque ville du Vietnam possède une rue à son nom. Lê Loi meurt en 1433 à l’âge de 47 ans.
Pas mal pour l’époque, mais pas aussi bien que l’avant-dernière tortue qui peupla le lac Hoan Kiem dont on dit qu’elle aurait vécu près de 700 ans ! La toute dernière, Cu Rua, une tortue géante de Yangtze à carapace molle, expira en 2016 à l’âge honorable de 100 ans. Un événement tragique pour les habitants d’Hanoï qui y ont vu là un mauvais présage… Le choc fut si grand que le régime commença par censurer les informations sur sa mort avant d’annoncer que l’animal serait embaumé et reposerait désormais dans le petit temple au milieu du lac (que nous apercevons à travers la brume).
La porte de l’hôtel claque derrière nous
Nous rêvons encore à cette légende de la tortue gardienne de l’épée divine et nous en oublions presque l’heure de notre avion. Un dernier détour brumeux à travers les rues d’Hanoï. Nous n’aurions jamais pu imaginer la capitale vietnamienne aussi calme. Quand on revoit les images de Saïgon la tempétueuse, on se demande si Hanoï est une capitale ou une grosse ville de province. La crise du Covid-19 s’est abattue ici et le remède est fort. Fermeture sur fermeture, suspicion, règles sanitaires drastiques,…

Nous ne savons pas encore si on pourra quitter le territoire à quelques heures du décollage. On s’achète un paquet de UNO : on prévoit des heures (voire des jours) à devoir patienter. Nous récupérons nos bagages à l’hôtel qui ferme ses portes derrières nous : « Voilà, vous étiez nos derniers clients jusqu’à nouvel ordre. On ferme ! » La grille claque et nous nous mettons à accélérer le pas : il ne faudrait pas rater notre bus pour l’aéroport Noi Bai.
On le voit débouler depuis le périphérique. Il fait nuit noire désormais et la pluie recommence à tomber. On court et on arrive essoufflé dans le car sous le regard médusé d’une dizaine d’Occidentaux qui fuient quittent le Vietnam. Dernière sensation du pays. Dernière poche de « résistance » dans ce bus qui nous accompagne jusqu’à notre prochaine destination (si on y parvient).
Dans l’aéroport bondé
Hanoï était notre petit village d’irréductibles backpackers. On voit défiler les dernières lumières de la cité à travers les gouttes qui perlent les vitres de notre bus. L’inquiétude est sur tous les visages. Les sacs ont été faits à la va-vite. Les K-way sont de sortis. Les masques bien vissés sur notre nez et notre bouche. Un silence oppressant se prolongera dans le véhicule jusqu’à Noi Bai. Nous descendons. Mais personne ne sait ce qui l’attend en entrant dans le terminal.

Nous vivons alors une scène mainte fois vue dans les journaux télé d’un pays en guerre où les passagers s’agglutinent dans les aéroports pour quitter au plus vite le territoire. Le hall de l’unique terminal international de l’aéroport d’Hanoï est noir de monde. Des Asiatiques, des Européens. Des vols qui s’annulent sur les écrans. Le nôtre ? Osaka est toujours annoncé à l’heure. On s’enregistre et retrouvons Paul, on se promet de se revoir à Tokyo. On s’embrasse d’un léger effleurement sur l’épaule.
Et nous patientons en regardant les actus françaises. L’Élysée annonce une allocution d’Emmanuel Macron dans la soirée. Nous serons dans l’avion. Nous observons les derniers Occidentaux du Vietnam se prenant la tête car leur vol est annulé ou parce qu’il n’y a plus de place dans le dernier avion pour Moscou… Osaka ? Toujours à l’heure ! Passage de frontière rapide : les Vietnamiens préfèrent — dans le contexte — nous voir partir qu’arriver. Notre avion est là.
À lire
Notre article écrit entre notre départ d’Hanoï et notre arrivée à Osaka est à retrouver ici.
Nos coups de cœur
Manger. Les ban cuon de madame Hanh dont on vous parle dans l’article sont à déguster au (très logiquement) Bánh Cuốn Bà Hanh situé au au 26b Tho Xuong, Hanoi.
Boire. Une ambiance cosy au cœur d’Hanoï, le Loading T propose toutes sortes de cafés dont le plus fameux est torréfié à la cannelle. Loading T café, 8 Chân Cầm, Hàng Trống, Hoàn Kiếm