Ho-Chi-Minh-Ville : Voyage dans la nouvelle Saïgon

Coiffeuse de temple

Appelée Ho-Chi-Minh-Ville depuis la défaite du Sud au milieu des années 70, Saïgon conserve son identité et son rang particulier au sein du Vietnam. Capitale économique en même temps que plus grande ville du pays, elle nous aura transporté du spirituel de ses temples et de ses églises au matériel de ses gratte-ciels et de ses centres commerciaux.

[Récit de notre séjour à Saïgon du 1er au 5 mars 2020]

Premier jour du mois de mars, dieu de la guerre. Arrivée à Saïgon, renommée Ho-Chi-Minh-Ville par l’armée nord-vietnamienne après la prise de la ville en 1975. Tout ici pourrait transpirer le conflit : capitale de la Cochinchine puis de toute l’Indochine française avant de devenir la capitale de la République du Viet Nam en 1954 et QG américain pendant la guerre du Vietnam… La « Perle de l’Extrême-Orient » est aujourd’hui une ville apaisée.

Ses gratte-ciels grimpent haut, comme dirait Nougaro qui trouverait à Saïgon sa dose de rose et ses tuyaux de gaz. Entre New York et Phnom Penh, la capitale économique du Vietnam est résolument moderne et en même temps soucieuse de préserver son patrimoine.

Ainsi, son centre est-il composé de bâtiments coloniaux où l’on se prend à imaginer aisément nos ancêtres venus à l’aventure tenter leurs chances. L’opéra est sublime, digne d’un théâtre parisien. La poste conserve des cartes de l’ancienne Cochinchine et, surtout, une structure en métal signée Gustave Eiffel. Face à elle, la cathédrale Notre-Dame-de-Saïgon (en rénovation au moment de notre visite) trône fièrement au milieu de la place de Paris.

La poste centrale de Saïgon

Rencontre avec Luc

L’Hôtel de Ville abrite aujourd’hui le siège du Comité populaire d’Ho-Chi-Minh-Ville (l’équivalent du Conseil municipal) et est merveilleusement éclairée chaque soir par une société lyonnaise. La mise en valeur des bâtiments est une marque d’opulence. Et Saïgon est très riche : plus grande ville du Vietnam, elle compte aujourd’hui plus de 7 millions d’habitants.

Des expatriés français continuent à vivre ici. C’est ainsi que nous rencontrons Luc, installé au Vietnam depuis 5 ans. On se connaissait depuis un moment, Matthieu l’avait même rencontré dans le cadre professionnel il y a quelques années. Les hasards du tour du monde ont fait qu’on le retrouve au milieu de la furie vietnamienne. Un dîner dans un restaurant caché au milieu d’un immeuble du centre, quartier Bến Nghé, et nous en apprenons plus sur le Vietnam que nous commençons à peine à découvrir.

D’abord la méfiance historique des Vietnamiens envers les Chinois. C’est ce qui explique aussi la fermeture rapide des frontières avec son puissant voisin dès que l’épidémie de coronavirus s’est répandue dans la région du Wuhan. Par opposition, le Vietnam entretient d’excellents rapports avec le Japon (notre prochaine destination) : c’est d’ailleurs une entreprise nippone qui est en train de construire la dernière ligne de métro de Saïgon.

Siège du Comité populaire d’Ho-Chi-Minh-Ville (l’Hôtel de Ville de Saïgon)

Dans l’incroyable quartier japonais

L’occasion de découvrir un quartier assez particulier d’Ho-Chi-Minh-Ville. Peut-être même le premier quartier du genre que nous rencontrons depuis le début de notre tour du monde. Il s’agit d’une parcelle japonaise, un enclos nippon au milieu de la ville. Presque rien ni personne à l’intérieur n’est japonais. Mais afin de satisfaire les besoins (tous les besoins) des négociants et autres travailleurs venus du pays du soleil-levant, la municipalité a décidé de consacrer un quartier entier au Japon.

Des petites rues, des panneaux en japonais, des restaurant jap’ et surtout des salons de massage (qui ne pratiquent pas que des massages) sont agglutinés sur quelques pâtés de maisons. Comme au Japon (on l’imagine), il faut se perdre dans les immeubles, monter quelques étages et ouvrir une porte pour tomber sur des bars cachés.

On en fait l’expérience en empruntant un ascenseur crasseux qui nous conduit directement dans un petit rade en plein air posé entre deux immeubles, à plusieurs mètres du sol. Nous sommes seuls. Le patron, un Vietnamien hipster, sert bières et cocktails et lance des musiques électro : aucun voisin, aucune nuisance. Mais visiblement la clientèle n’est pas de la partie.

Immeubles saïgonnais

Dans la sérénité de Cholon

N’empêche, c’est assez reposant : toute la journée nous avions marché parmi les scooters (à croire que les Saïgonais naissent avec un vélomoteur entre les jambes) ! Il y a plus de deux-roues dans les rues que de voitures. C’est un peu le cliché que l’on s’attendait à voir au Vietnam mais ce n’est pas qu’un préjugé : Saïgon est LA capitale de la Mobylette.

Heureusement, il existe de nombreuses oasis de sérénité. C’est le cas dans le 5e arrondissement de la ville qui fait office de « quartier chinois » appelé Cholon. On y trouve de nombreux temples où la prière et le recueillement prendraient aux tripes le plus réfractaire des cartésiens. L’un d’entre eux, le Ngọc Hoàng Điện ou « pagode de l’Empereur de Jade », est un écrin de spiritualité au milieu des immeubles modernes.

Des tortues nous accueillent dans une cour ombragée d’où se dégage par contraste la façade rose du lieu de culte. Il est consacré à l’Empereur de Jade, le dieu des dieux taoïstes et fut construit par la communauté chinoise au début du XXe siècle. À l’intérieur, des bâtons d’encens ne cessent de répandre leur parfum capiteux. Les murs peints en rose apaisent. Le calme règne. On y resterait une bonne partie de l’après-midi d’autant que la chaleur commence à s’abattre sur Saïgon.

La pagode de l’Empereur de Jade

Une église historique

Bien avant vous en France, nous portions déjà le masque, notamment dans ce temple où il était obligatoire, même sous les tropiques. Comme à Can Tho, des panneaux nous rappellent que le coronavirus est une réalité et qu’il faut respecter les gestes barrières pour endiguer sa propagation. Les ordres semblent d’autant plus pressants que la typo utilisée est systématiquement en majuscule. On a l’impression que les affiches de prévention nous engueulent quand on les lit : peut-être une idée à reprendre.

Pour le moment, nous poursuivons la découverte de ce quartier chinois où l’on trouve aussi une mosquée et de nombreuses églises : un concentré de tous les opprimés contraints de fuir l’Empire du Milieu au cours des siècles. L’une des églises est justement consacrée à Saint-François-Xavier, l’évangélisateur de l’Inde et de l’Extrême-Orient. C’est à l’issue d’une messe célébrée dans cette église le 2 novembre 1963 que le Président sud-vietnamien Ngo Dinh Diem et son frère Ngo Dinh Nhu ont été assassinés.

Ngo Dinh Diem est l’antithèse d’Ho-Chi-Minh : Président catholique pro-américain du Sud-Vietnam, il déposa l’Empereur Bảo Đại en 1955 et se proclama Chef de l’État dans la foulée. Pour asseoir son autorité, il installa le pouvoir dans l’ancien palais du Gouverneur-général de l’Indochine française. Déterminé à ne pas laisser le Vietnam aux mains des Communistes, Ngo Dinh Diem décida de ne pas organiser le référendum qui aurait permis à ses concitoyens de choisir leur destin.

Église Saint-François-Xavier de Cholon

Le magnifique palais de la réunification

C’est ainsi qu’au sein même de l’armée sud-vietnamienne la contestation se propagea : le 27 février 1962, le palais présidentiel est bombardé par deux lieutenants de l’Armée de l’air. Ngo Dinh Diem réchappa à l’attentat et fit raser le bâtiment durement touché. Il demanda alors au plus grand architecte vietnamien de l’époque, Ngô Viết Thụ, de lui construire un nouvel écrin. Il sera achevé en 1966, trois après la mort de son commanditaire.

Aujourd’hui, l’ancien palais présidentiel se visite. Il n’est plus le siège du pouvoir puisque la capitale politique du Vietnam est Hanoï. Il est en revanche le symbole de l’unité nationale voulu par les « libérateurs » du Nord. D’ailleurs, le bâtiment est désormais appelé palais de la réunification.

Il est magnifique. Probablement notre coup de cœur architectural de ce tour du monde. Alternant salles d’apparat et pièces de vie, il propose une combinaison de fonctionnalité et de prestige. Un jardin intérieur, de vastes ouvertures, des couloirs, du mobilier sobre, des motifs asiatiques et une modernité artistique,… Nous avons même pu découvrir l’ancien bunker (immense), la salle de commandement des opérations militaires contre le Viet-Cong, la piste d’atterrissage des hélicoptères, la terrasse, la salle de bal,… La visite est indispensable dans la compréhension du pays et la découverte patrimoniale qu’elle constitue.

Le palais de la réunification

La difficile réunification du Vietnam

C’est là que le 30 avril 1975 un soldat de la République démocratique du Viet Nam (Nord communiste) hissa le drapeau du Viet-Cong, entérinant la chute de Saïgon, la fin de la guerre du Vietnam et l’unification du pays sous la bannière rouge. S’ensuivirent des exactions et des départs précipités, notamment de catholiques : ce sont les premiers boat-people. Les soubresauts de la Guerre froide mâtinés de jeux d’influence territoriale entre Soviétiques et Chinois continueront à déstabiliser le Vietnam jusqu’au début des années 90. Ils pousseront des milliers d’autres Vietnamiens à prendre la mer sur ces embarcations de fortune. Une amie de Pierre, Marie-Noëlle, naîtra même sur l’un d’entre eux.

Il fut donc plus facile de rebaptiser les bâtiments que de mettre en place une réelle réunification du pays. Autre exemple frappant : le Musée des vestiges de la guerre. Rassemblant des documents, des photos, des objets et pas mal d’anciens avions, obus, armes… ayant appartenus aux armées française et américaine, il fut longtemps appelé « Maison des crimes de guerre de l’impérialisme américain et du Gouvernement fantoche ». Avouez qu’il y a mieux pour gagner la confiance des Vietnamiens du Sud.

Le musée est désormais résolument tourné vers un objectif de pédagogie et permet de mettre en perspective certains faits. Toutefois, n’oublions pas que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs et, en l’occurence, ici, ce sont les Communistes qui sont toujours au pouvoir. Il est donc bon de nuancer certaines explications de texte.

Corridor dans le palais de la réunification

Les atrocités de l’agent orange

Reste le choc des photos : la section consacrée à l’agent orange, cet herbicide créé par Monsanto et utilisé par l’armée américaine dès 1961 contre les combattants nord-vietnamiens, est une sorte de salon des horreurs. Il s’agit d’une série de photos prises pendant la guerre où l’on voit des terrains totalement ravagés. Mais on y voit surtout des civils frappés des maladies les plus terrifiantes.

On ne les décrira pas ici mais cela va de l’éruption cutanée à des malformations osseuses. Le pire, c’est que la dioxine présente dans l’agent orange est extrêmement vivace et continue de contaminer les sols et les cultures. Des enfants naissent encore aujourd’hui atteints de cancers ou de malformations monstrueuses (il n’y a pas d’autres mots). En 2003, un dernier bilan publié par « Nature » estime entre 2 et 5 millions le nombre de Vietnamiens touchés par l’agent orange ; chiffres qui ne prennent pas en compte les militaires américains (les 1ers à avoir donné l’alerte), leurs alliés et les victimes potentielles au Cambodge et au Laos (souvenez-vous de la guerre secrète).

En 1984, Monsanto a conclu un accord à l’amiable avec les vétérans américains : 180 millions de dollars furent déboursés (chaque plaignant recevant entre 256 et 12.800 dollars de compensation). En revanche, en 2005, l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine fut déboutée par le tribunal de New York ; le juge estimant que l’agent incriminé n’était pas un poison et ne peut donc pas être responsable de ces atrocités. Les dégâts sur la nature restent difficilement évaluables même si en 2000 l’UNESCO avançait le chiffre d’un cinquième des forêts sud-vietnamiennes détruites par l’agent orange.

Le musée des vestiges de la guerre

La République socialiste du Viêt Nam

Néanmoins, 45 ans après la chute de Saïgon, on peut noter la volonté de tourner la page. La paix semble en effet profiter au Vietnam qui préfère désormais traiter avec les Américains qu’avec la Chine. Nous ne sommes dans le pays que depuis quelques jours seulement mais on se rend facilement compte que le niveau de vie est ici nettement supérieur à celui des pays voisins.

Il y a une élite, évidemment, qui truste tous les organes du pouvoir : la République socialiste du Viêt Nam s’ouvre mais n’est pas encore considérée comme une démocratie. Elle est classée parmi les régimes autoritaires (entre la Russie et l’Égypte) par le groupe de presse britannique The Economist. On ressent d’ailleurs une certaine nostalgie de la part des Saïgonais. Au-delà de mettre en valeur leur patrimoine et de conserver un mode de vie très occidental, ils refusent de parler d’Ho-Chi-Minh-Ville. C’est pourquoi on a préféré utiliser « Saïgon » dans cet article.

On boit des verres en terrasse, on mange notre traditionnel McDo (une première depuis la Thaïlande) et on descend dans la rue chaude de la ville : Bui Vien. Le hasard (on vous assure) a placé notre hôtel à proximité. La rue ressemble à Khaosan road, à Bangkok : de grands bars ouverts sur la rue, des rabatteuses en mini-shorts, de la musique techno à fond, des stroboscopes et des promo, promo, promo sur les bières partout, partout, partout.

Sieste méritée

Plongée dans Bui Vien

Évidemment, c’est à voir. C’est le coin de tous les routards, les soiffards, les touristes de passage voire même de certaines famille. Malgré tout, l’ambiance est assez plombée en ce début mars. Certes, ce n’est pas la saison. Mais si on excepte les quelques dizaines de backpackers, les bars sont tristement vides.

Alors, pris de pitié pour une serveuse qui nous trouvait très, très beaux (on est facilement influençable), on boit quelques verres en terrasse, en regardant passer les touristes asiatiques en mal de sensations fortes et les routards européens exténués par plusieurs heures de bus. Pour éponger, pas de kebab comme on en trouve à Paris en pareille circonstance mais de délicieux banh mi. Décidément notre découverte culinaire du Vietnam ! On en remangera un autre au petit-déj’, le lendemain matin.

Passage au marché central qui donnera bientôt sur la principale gare de métro de la ville (quand les Japonais auront fini les travaux). Vous le savez maintenant, Matthieu adore les marchés : celui-là est un peu décevant pour lui car trop aseptisé et proposant surtout des vêtements (forcément Made in Vietnam). Architecturalement, il est plutôt intéressant avec sa grosse tour-horloge, ses mosaïques représentants les produits que l’on peut y trouver à l’intérieur, sa série de auvents permettant aux échoppes de s’installer à l’extérieur. Le marché de Bên Thành date de 1912.

Vendeuse de banh mi

Pink church

À proximité, une boulangerie et une librairie française où Pierre passe près d’une heure pour ressortir avec Les Faux-monnayeurs d’André Gide. Un goûter ? On prend la direction du Consulat général de France, imposant par la taille de son parc ceint d’une longue palissade d’où surgissent des arbres centenaires et plusieurs bâtiments particulièrement élégants. Le Consul, joint via Twitter, proposera d’ailleurs son aide pour que nous puissions visiter la cathédrale.

Pour l’heure, c’est chez Pat’a Chou que nous dégustons un succulent gâteau accompagné d’un bon café noir. On traverse le quartier où s’enchaînent les grands magasins. Nous grimpons au sommet d’un mall qui nous offre une vue plongeante sur la cathédrale (à défaut de pouvoir entrer dedans). On se fait vite repérer et un gardien nous demande gentiment de quitter cette immense terrasse qui ne sert visiblement à rien (mais qui est quand même interdite).

Le soleil se couche : c’est le dernier soir pour nous à Saïgon. Le ciel rose se reflète sur la façade du Sacré-Cœur, la deuxième plus grande église du pays. Sa couleur, qui ferait frémir de joie Nougaro, est vivifiante. Pourquoi n’avons-nous pas d’églises roses fuchsia en France ? Certes, ça passe mieux sous le soleil des tropiques. Mais un point rose sur l’horizon désespérément plat de la Beauce serait un joli point de repère !

Église du Sacré-Cœur

Larue dans la rue

Bref. Nous déboulons dans un quartier de l’autre côté de notre hôtel. C’est l’anti-Bui Vien. Ici, que des Vietnamiens : on boit des Saïgon entre amis, on mange en famille. C’est la bonne franquette et la bonne ambiance qu’on aime. On mange tard (contrairement au Laos ou au Cambodge) et on boit tant qu’on peut : la bière n’est pas chère.

On teste même la Larue dont le logo avec son tigre vintage et ses indications en français « Depuis 1909 – Qualité d’origine » nous intriguent depuis un moment. Bonne surprise, elle est bonne et c’est la plus économique. Surtout quand on sait qu’au Vietnam on aime boire les bières avec beaucoup de glaçons, le prix à la gorgée est très vite satisfaisant !

On finira la soirée à chanter avec les Saïgonais et quelques expats qui connaissent les bons coins de la ville. Autour de nous, des drapeaux rouges alternent avec la faucille, le marteau et l’étoile. Des fresques d’inspiration soviétique nous rappellent les bons gestes à adopter envers nos aînés et les blessés de guerre. Au loin, les gratte-ciels lancent des faisceaux lumineux. Matthieu pianotera demain sur sa nouvelle tablette trouvée dans un centre commercial. Saïgon restera Saïgon, foi de Saïgonais !

La capitale des scooters

Toutes nos étapes au Vietnam

3 commentaires sur “Ho-Chi-Minh-Ville : Voyage dans la nouvelle Saïgon

  1. Bravo les gars pour ce récit, ayant « vécu » un peu à Ho Chi Minh en 1998 durant 3 mois et 2004 2 mois. Vous parlez exactement comme il se doit de ce beau pays, de cette belle ville. Bon continuation

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