Can Tho, capitale du delta du Mékong

Première étape au Vietnam : Can Tho et son agréable marché flottant qui s’anime avec le jour. Cette ville est notre porte d’entrée dans le delta du Mékong, une plaine de 40.000km² maillée par les champs et les canaux.

[Récit de notre découverte de Can Tho du 26 au 28 février 2020]

Nous pensions mettre quatre heures pour relier Ha Tien à Can Tho. Il nous en faudra presque sept. Pourtant, il n’y a que 250 km à parcourir, la route est plutôt bonne et notre chauffeur limite les arrêts au strict minimum : une seule pause “pipi” à mi-parcours. Mais notre bus est contraint à la lenteur par l’interminable succession de villages qui encadrent le bitume. On a beau être dans la plus grande région agricole du pays, le garde-manger du Vietnam, une plaine de 40.000 km² en grande partie couverte de champs et de rizières, la route est constamment bordée d’habitations.

Des gens, des champs et de l’eau

Imaginez que le Vietnam, c’est 95 millions de femmes, d’hommes et d’enfants pour une superficie de moitié inférieure à celle de la France. En moyenne, 300 habitants par km². Dix fois plus qu’au Laos, trois fois plus qu’au Cambodge ou que dans l’Hexagone, et encore deux fois plus qu’en Thaïlande. Depuis l’Inde, nous avions perdu l’habitude d’une telle concentration. Alors forcément, dans cette fourmilière à ciel ouvert, même la ruralité grouille de vie. 

Sur un bras du Mékong

Tant mieux, car à scruter derrière notre vitre cette foule qui va et qui vient, on ne voit pas les heures passer. Tout juste remarque-t-on le soleil qui descend dans le ciel et dont les rayons se reflètent sur les centaines de canaux qui maillent la plaine. Car au-delà des champs et des gens, le delta du Mékong c’est évidemment l’eau. Si rare et si précieuse en cette saison dans le Sud du Cambodge, elle est ici omniprésente. Elle nous suit où que nous allions – ou peut-être est-ce nous qui la suivons ?

Nous avions connu le Mékong immense, limpide et majestueux. Au passage de la frontière vietnamienne, il s’est transformé en une pieuvre aux bras innombrables et brunis par la main de l’homme. On emprunte un pont à chaque kilomètre. Notre bus fait régulièrement la course avec des bateaux chargés de troncs, de fruits ou de légumes. On jette un oeil furtif à la besace des pêcheurs pour savoir s’ils font mouche. On se prend à jouer à cache-cache avec les canaux. Et dès que nous pensons les avoir distancés, l’un d’eux réapparaît dans un coin de paysage, derrière les arbres, entre les herbes ou dans la dent creuse des bâtiments. L’eau, encore l’eau, toujours l’eau.

Boucher ambulant installé au bord d’une route

Vautours-taxis

Lorsque l’obscurité envahit la plaine, Can Tho est enfin là. C’est une ville immense : plus d’un million d’habitants. Notre bus nous dépose à la gare routière, récemment réaménagée dans un quartier périphérique. À peine en sommes-nous descendus qu’une dizaine de motos-taxis nous sollicite. La plupart des passagers accepte leurs services et est convoyé aussi sec. Il ne reste bientôt plus que nous. “Vous allez dans quel hôtel ? Je vous emmène ?” On demande à tout hasard le prix. Il est élevé. Nos mines d’Occidentaux ont un effet inflationniste.

De toute façon, on n’aime pas les motos taxis : on ne peut y monter qu’à une personne à la fois, ça nous oblige à nous séparer, et avec nos gros sacs à dos, l’équilibre est précaire. À deux, autant prendre une voiture, ça revient souvent moins cher et c’est plus confortable. Mais pas au centre de la gare routière où on a l’impression de servir de proies pour les vautours.

Siège du Comité populaire municipal de Can Tho

On quitte l’enceinte et on rejoint le boulevard. L’ambiance est tout de suite plus tranquille. Plus personne ne nous sollicite, c’est à nous d’aller au devant d’un chauffeur. Bingo : il nous propose exactement le tarif appliqué par Grab, le Uber local.

Au rythme vietnamien

Dix minutes plus tard, nous sommes devant l’hôtel que nous avions repéré sur Internet : l’Amazon 1 (on déduit qu’il doit en exister un deuxième). Accueil sympa, chambre minuscule mais refaite à neuf, vaste terrasse où l’on est libre d’amener son repas ou à boire. Il est aussi idéalement situé : en plein centre-ville, tout est accessible à pied. Ça fera bien l’affaire pour les deux nuits que nous prévoyons de passer là. 

Ancienne prison coloniale

Pour la visite de Can Tho, on attendra demain. Il est 21h et il nous faut trouver de quoi dîner. La ville est déjà très calme à cette heure, les Vietnamiens semblent se coucher avec le soleil, nous sommes en rythme décalé. On traverse une grande esplanade couverte d’herbe et de fleurs – cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu un jardin public qui plus est impeccablement entretenu. On rejoint l’avenue principale composée de bureaux et de grands magasins tous clos. Puis on bifurque à gauche et on tombe par chance sur la Duong De Tham : une rue truffée de petits restaurants.

Leurs salles et leurs terrasses se sont déjà largement vidées à cette heure, mais ils servent toujours. Nous ne finirons pas la journée le ventre vide. On s’installe au premier venu : le Quan Com Chay Cuong. Il possède un immense patio ambiance “paillote” dont se détachent les rires des clients. Un serveur vient aussitôt nous saluer et nous donner la carte. On ne connaît rien encore à la gastronomie nationale alors, comme à notre habitude, on choisit au hasard.  Quelques instants plus tard, le serveur revient avec deux grandes soupes garnies de légumes et de viande. On les accompagne de notre première bière locale : la bien nommée Saïgon. Ce premier contact avec la nourriture vietnamienne se révèle savoureux !

Pause repas

Au détour d’une allée

Comme on pouvait s’y attendre, le ventre plein, nos forces retrouvées, nous ne sommes plus du tout pressés de rentrer à l’hôtel. Nous nous lançons donc dans l’exploration nocturne de Can Tho. Il doit bien y avoir de l’animation quelque part ? On rejoint le quartier le plus touristique, sur les bords du Mékong, où se trouvent les anciens bâtiments coloniaux, des bars et quelques gros hôtels.

La jetée est habillée d’une multitude de néons colorés qui figurent des fleurs et des feuilles : un décor kitsch qui nous rappelle la Thaïlande. Il y a aussi une énorme statue dorée de Ho Chi Minh, le père de la nation – nous en verrons dans toutes les villes. Toutefois, il faut se rendre à l’évidence, ici aussi, il n’y a personne. Les serveurs finissent de remballer les chaises et les tables, les commerçants baissent leur rideau de fer, tout le monde part se coucher.

On a juste le temps d’arpenter la belle halle de l’ancien marché central de Can Tho, aujourd’hui dédiée à la vente d’artisanat aux touristes – le “vrai” marché est désormais cent mètres plus loin. C’est là qu’on tombe par hasard sur un Vietnamien francophone et francophile. Ou plutôt, c’est lui qui tombe sur nous. Il nous attrape par l’épaule au détour d’une allée avec une très forte envie de discuter. Et devinez ce qu’il nous apprend ? Il rêve d’aller à Lourdes. Ça ne s’invente pas !

Statue de Ho Chi Minh dans le centre-ville

L’autre voyage d’une vie

L’homme a une bonne quarantaine d’années. Il nous raconte avoir appris le français à l’école mais il regrette d’avoir peu d’occasions de le pratiquer. Il nous cite alors pêle-mêle les grands auteurs de la littérature française, les Présidents de la République, les départements, les préfectures et même les sous-préfectures… Sérieusement, qui apprend les sous-préfectures ? On ne l’arrête plus ! 

Il nous demande ensuite d’où nous venons. Matthieu lui dit “de Normandie”. L’homme répond du tac-au-tac : “Rouen ? Le Débarquement ? La cathédrale ? Claude Monet ?” Pierre lui dit “de Lourdes. Soudain son visage s’illumine. C’est l’euphorie. “Notre-Dame de Lourdes ? Les sanctuaires ? La grotte ? Bernadette Soubirous ?” Il nous explique être catholique pratiquant. Hasard du calendrier, le diocèse de Can Tho organise en juillet un pèlerinage en France, auquel il a prévu de participer. Avec deux étapes : Paris et Lourdes.

Reproduction de la grotte de Lourdes à la cathédrale de Can Tho

Il espérait cela depuis des années. Pour lui, c’est un rêve qui se réalise. Sa joie est communicative. On discute un long moment de la religion catholique et de sa pratique au Vietnam. Au moment de se quitter, on lui souhaite que ce “voyage d’une vie” qu’il s’apprête à faire se déroule pour le mieux. En cette fin février, aucun de nous n’imagine que le Vietnam et la France fermeront bientôt leurs frontières pour une durée indéterminée.

Café chaud et sandwich-baguette

Can Tho est heureusement un peu plus animée de jour. Nous passons tout le lendemain à parcourir ses rues à pied, à flâner sur les rives de son lac intérieur puis sur celles du Mékong. À une terrasse, un client nous apprend à dire l’indispensable “café chaud”« ca phe nong ». Car, au Vietnam, si l’on demande uniquement un “ca phe”, celui-ci est à coup sûr servi froid avec des glaçons : c’est le traditionnel « ca phe da ». Nous visitons la cathédrale, avant de nous perdre entre les dizaines de maisons blanches du quartier catholique qui abritent presque toutes une statue du Christ ou de la Vierge. On observe dans un marché les petits vieux qui jouent au co tuong, un cousin éloigné des échecs.

Un ca phe nong (café chaud)

Si l’architecture de Can Tho s’avère hétéroclite, les immeubles modernes cernant les temples et les vestiges coloniaux, on est agréablement surpris par l’entretien des lieux. Presque partout, les piétons ont droit à des trottoirs. La chaussée n’est ni cabossée ni trouée. Il y a des bancs, des massifs de fleurs, des abribus… Bien que le niveau de vie des Vietnamiens soit proche de celui des Cambodgiens et des Laotiens, le pays est lui beaucoup plus riche que ses voisins. En découle un effort d’urbanisme que nous n’avions pas revu depuis la Thaïlande.

À midi, on teste nos premiers “banh mi” : les fameux sandwichs locaux. Héritage de la présence française – le mot “banh mi”, qui signifie “pain de blé”, est dérivé de “pain de mie” – ils sont le plus souvent consommés le matin ou pour le déjeuner. Le principe est proche du nôtre : on coupe une baguette en deux (oui, une vraie baguette), on la tartine de pâté (oui, du vrai pâté), puis on y incorpore des crudités et des morceaux de viande. Délicieux !

Joueurs de co tuong

Prévention exemplaire

Comme à chacune de nos arrivées dans un pays, nous en profitons pour acheter une carte SIM locale. Matthieu tente aussi de dénicher une tablette pour remplacer celle volée à Siem Reap, sans succès, il lui faudra attendre d’être à Saïgon. À l’entrée des magasins de Can Tho, ainsi que devant tous les bâtiments publics, on note la présence de messages de prévention du coronavirus en vietnamien et souvent en anglais. Tandis qu’en France le débat fait rage pour savoir s’il s’agit ou non d’une “grippette”, ici le sujet est pris très au sérieux.

Les autorités ont fait réaliser de gigantesques fresques sur les murs, dans un style qui rappelle les affiches de propagande des années 30, pour appeler à la distance sociale et à se laver régulièrement les mains. Il y a des masques et du gel hydroalcoolique à disposition absolument partout.

Banderole de prévention du coronavirus

Les Vietnamiens que nous croisons, tout en continuant à vivre normalement, appliquent avec zèle ces consignes de prudence. Cette discipline collective est pour le moins impressionnante et on comprend mieux, avec le recul, comment le Vietnam a réussi à résister aussi bien à la pandémie.

Can Tho, c’est aussi un marché flottant

Si nous sommes venus à Can Tho, c’est aussi pour son marché flottant, typique du delta du Mékong. Situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville, le Cho Cai Rang rassemble chaque matin des maraîchers de toute la région qui y acheminent en barque ou en péniche leur production. C’est un marché de “gros” et non de “détail” : ce sont les commerçants et les restaurateurs qui viennent s’y ravitailler, et non les habitants dans leur ensemble. Un peu comme à Rungis, sauf qu’ici tout se passe sur l’eau.

À l’abordage

Ces dernières années, ce marché a gagné en popularité. Il est devenu un “incontournable” pour les visiteurs de passage à Can Tho. Au coeur de la saison touristique, des centaines d’Asiatiques et d’Occidentaux s’entassent sur des bateaux de plaisance pour aller le découvrir. Mais en cette fin février, coronavirus oblige, c’est le calme plat : les Chinois et les Coréens ont dû renoncer à leurs voyages organisés et sont reclus dans leur pays, les Européens commencent eux aussi à annuler leur séjour à l’étranger. Le marché flottant a perdu de son attraction pour ne redevenir qu’un simple marché. Égoïstement, on ne va pas s’en plaindre !

Nous décidons de nous y rendre le lendemain. Là encore comme à Rungis, il faut se lever aux aurores. Le Cho Cai Rang ouvre vers 6h et s’achève avant 9h. Si le plus simple est d’opter pour un tour organisé en barque au départ du quartier touristique, nous préférons nous y rendre par nos propres moyens et tenter de trouver un bateau sur place. Un souci d’indépendance… autant que d’économies budgétaires.

Vendeuse au marché flottant de Can Tho
Vendeuse au marché flottant de Can Tho

À la recherche du Cho Cai Rang

On saute du lit à 5h, on se réveille avec une douche bien chaude et on commande un taxi sur Grab qui nous prend devant l’hôtel. L’emplacement du marché flottant étant assez difficile à situer sur une carte, nous demandons au chauffeur de nous déposer “à la louche” au Cho An Binh, un marché (terrestre) voisin. Il fait encore nuit noire mais, sous la halle, les commerçants déploient déjà leurs produits. Nous les interrogeons pour situer plus précisément le marché flottant. Les bras se tendent dans la même direction, plus en amont sur le fleuve.

On longe la rive sur un bon kilomètre en regardant les échoppes ouvrir. Le peu de lumière qu’elles dégagent ne suffit pas à éclairer la surface sombre du Mékong. Le Cho Cai Rang reste invisible. Alors, nous nous installons à la terrasse d’un café où une poignée d’ouvriers engloutit son petit déj. Et nous attendons patiemment sur nos petites chaises en plastique face à l’eau que le rideau se lève et que le spectacle veuille bien commencer.

En attendant l’aube

Un quart d’heure plus tard, le soleil pointe soudain à l’horizon. Une minuscule boule de feu qui émerge du centre de la terre. Ses rayons se propagent alentour plus vite que des chevaux au galop, faisant passer instantanément le paysage du noir opaque à l’orange flamboyant. Au premier plan, le fleuve s’illumine et prend vie. On découvre des dizaines de bateaux massés les uns contre les autres, des géants au dos rond de fruits et de légumes et des petits qui les butinent comme des abeilles sur des fleurs. La scène est magique. 

Mon royaume pour une barque

Bientôt, l’observer depuis le quai ne nous suffit plus. Nous voulons nous approcher. Mais comment ? On fait les cent pas jusqu’à trouver un batelier qui embarque une demi-douzaine de Vietnamiens revêtus d’un gilet de sauvetage. Ça ne peut être que des touristes qui font la traversée ! On lui demande si on peut se joindre au groupe. Il nous répond qu’il est complet. On rebrousse chemin un tantinet déçus. Heureusement, sa femme nous rattrape : “Si on se serre un peu, on doit pouvoir libérer deux places.” On négocie rapidement un prix – l’équivalent de 2 euros par personne – et on embarque.

Le marché flottant au lever du jour

Voilà notre frêle esquif qui fend les courants du Mékong jusqu’au marché flottant. On passe d’une péniche à l’autre comme le font les acheteurs. Des masses d’ananas, de pastèques, de mangues, de citrouilles… On salut du bras les agriculteurs qui nous répondent par des sourires, on se fait aborder par certains qui nous proposent des fruits. On tente de capter dans cette aube encore fébrile chaque scène de commerce et de vie.

Au bout d’une heure et deux aller-retour, notre guide accoste à une grande barge qui fait office de restaurant. Elle est bondée de Vietnamiens qui s’enfilent des soupes et des jus de fruits en écoutant une femme faire du karaoké sur de la musique pop. Notre estomac dort encore : on se contente d’un ca phe da avec une vue imprenable sur le fleuve. 

Vendeurs d’ananas et de citrouilles

La meilleure soupe du monde

Notre bateau repart dix minutes plus tard. On se dit que la promenade est cette fois terminée, on est déjà prêt à remercier le batelier… mais non, il met le cap sur l’autre bout du fleuve. Nous faisons halte devant un verger que nos camarades de bord s’empressent avec excitation d’aller visiter. Puis on navigue encore, cette fois jusqu’à un hangar truffé d’artisanat. Ce n’est qu’au bout de deux heures qu’on revient à notre quai de départ. Pour ce qu’on pensait n’être qu’une simple traversée à deux euros, on peut dire que ça valait le coup !

Il est 9h, les bateaux des maraîchers disparaissent dans les bras du Mékong, le spectacle est terminé. Nous nous installons dans un restaurant de bord de route encore captivés par ce que nous venons de voir. Nous commandons enfin notre petit déjeuner – une soupe de boeuf, dont la viande vient d’être apportée par le boucher en personne sur un étale qu’il pousse à bout de bras. Est-ce l’intensité de l’instant ou les talents de la cuisinière ? Cette soupe à une saveur particulière. On s’en souviendra comme du meilleur repas de notre tour du monde.

Pierre sirotant un ca phe da (café froid) devant le marché flottant

Toutes nos étapes au Vietnam

3 commentaires sur “Can Tho, capitale du delta du Mékong

  1. Je peux facilement comprendre la magie de ce genre d’instants qui nous saisissent tellement qu’une fois le spectacle fini, on reste un peu sonné et rempli de bonheur. La soupe a dû être la cerise sur le gâteau 😉 Je suis content pour vous 😀

Laissez-nous un commentaire :-)