Japon : notre bilan

Jeunes japonaises

Après 18 jours passés au Japon et 1.422 kilomètres parcourus en 5 étapes sur l’île d’Honshu, nous voilà à l’heure du bilan. Comment avons-nous vécu ce périple dans le dernier empire du monde ? Notre mission : résumer nos impressions en quelques lignes. C’est parti !

[Bilan de notre séjour au Japon du 17 mars au 4 avril 2020]

Pandémie de coton au soleil levant (par Matthieu)

Le Japon est déroutant ? C’est certain. Mais toute la magie de l’archipel est de réussir à transporter ses invités dans un autre monde sans jamais les indisposer. De notre arrivée à notre départ, ces trois semaines ont été un périple de coton plus encore que je l’aurais rêvé.

Je nous ai sentis accueillis, soignés, choyés à chaque instant de notre séjour, dans les hôtels au confort toujours irréprochable, au guichet des stations de bus et de métro, dans les izakayas et les bars de poche qui débordent dès le sixième client, dans des gargottes de rue où un vieux poêle crasseux fait office de cuisinière comme on ne pensait jamais en trouver dans un pays réputé pour sa rigueur hygiéniste.

Alors qu’on nous avait décrit les Japonais hostiles aux rencontres – car trop timides, trop inquiets, trop froids… – j’ai finalement été surpris par la facilité des contacts et par la générosité avec laquelle nos interlocuteurs nous ont toujours répondu, s’essayant à quelques mots d’anglais, parfois même de français, pour satisfaire à nos besoins et en premier lieu celui de faire connaissance. 

J’ai surtout pris goût à ce qu’ils nous tiennent la main de la traversée d’un passage piéton à la recherche d’un coiffeur, que la moindre personne à qui nous demandions notre chemin dans la rue décide soudain de mettre de côté ce qu’elle faisait pour nous accompagner jusqu’à notre destination.

Deux Japonaises en tenue traditionnelle à Kyoto au Japon
Deux copines à Kyoto

Sans toujours comprendre les codes et les règles qui s’imposaient à eux, j’ai été bluffé par l’élégance des Japonais : ne prenant jamais ombrage de notre ignorance, de notre impatience, de notre humeur parfois maussade, tant de choses, qu’à leur place, nous aurions interprétées comme de l’impolitesse et immédiatement rejetées.

Tandis que la planète se refermait, que le Vietnam nous avait calmement mais sûrement éconduits, que nos parents et amis en France étaient entrés en confinement pour une durée indéterminée, le Japon est ainsi devenu une sorte d’ange-gardien. Il a dissipé nos craintes, effacé nos doutes, il nous a même offert de profiter jusqu’au bout de ce tour du monde dont nous savions un peu plus chaque matin qu’il allait devoir se terminer.

Est-ce parce que l’archipel est soumis depuis toujours aux typhons et aux séismes les plus violents ? Est-ce parce que les Japonais ont été confrontés à l’horreur absolue des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki et ont presque tout perdu dans la seconde guerre mondiale ? Est-ce parce que, dans cette société, l’imprévu est d’abord une faiblesse qu’on s’interdit ? Ou est-ce par simple esprit de fatalité ? Le fait est que lorsque le monde s’est effondré en mars 2020, le Japon, lui, n’a même pas paru trembler.

Nous avons vu les Japonais réagir et s’organiser avec une telle rapidité, une telle méthode, une telle discipline, qu’on aurait pu croire qu’ils savaient depuis longtemps déjà que la pandémie surviendrait et qu’en conséquence ils s’y étaient préparés. Nous les avons même vu continuer à s’accorder ces précieux moments de zen, à l’abri des temples shinto et à l’ombre des cerisiers en fleurs.

J’aurais bien entendu aimé voir Tokyo effervescente. J’aurais adoré vivre une nuit blanche d’exubérance à la japonaise. Peut-être même les apercevoir un instant lâcher prise. Mais tandis que partout la fête était finie, que l’ombre de la maladie recouvrait tout projet d’avenir, que même le plaisir simple de serrer ses proches dans les bras venait d’être proscrit, quelle chance et quel luxe d’avoir été réfugiés au pays du soleil levant.

Passants dans une rue de Kyoto au Japon
Cheveux verts et lunettes noires

L’éternité japonaise (par Pierre)

En rentrant du Japon, je suis retombé sur un vieux Géo de ma mère daté de janvier 1981. Au sommaire de ce numéro, un long reportage signé Hermann Schreiber et René Burri consacré à Tokyo. Le Japon apparaissait comme la destination du bout du monde par excellence. C’était la civilisation de la high-tech et des traditions, du travail jusqu’au bout de l’épuisement et des petits restos où on servait de la drôle de nourriture à base de riz et de poisson cru.

Trente-neuf ans plus tard, cet article n’a pas pris une ride. Géo pourrait le republier in-extenso dans son prochain numéro : Tokyo et le Japon n’ont pas changé. C’est cette sensation de retour vers le futur qui m’est immédiatement venue à l’esprit. Celle d’un pays fantasmé depuis mes jeunes années devant le Club Dorothée puis devant une gastronomie touchée du bout des baguettes pour exorciser le blues du dimanche soir.

Le Japon éternel existe car il est celui d’aujourd’hui et d’hier et probablement aussi celui de demain. De ses sentōs, version nippone des bains romains, où la pudeur n’existe plus le temps d’un contact social dans la vapeur aux minuscules restaurants qui affichent complet une fois la barre des quatre clients dépassée, le dernier empire sur Terre recèle de milliers d’endroits où la tradition règne encore en maîtresse.

Même les costumes trois pièces des hommes d’affaire ne sont qu’une version moderne des kimonos sombres des gentilshommes. Même les tenues flashies et extravagantes des nymphettes d’Harajuku ne sont que parodies destroyes des robes de geishas.

Idem, les gratte-ciels, héritage capitaliste de l’occupation américaine, ne sont qu’une émanation contemporaine des temples. Et les châteaux, vestiges médiévaux, détruits par ces mêmes Américains dans les années 40, reconstruits dans les années 60 et qui sont aujourd’hui le reflet de ce Japon qui ne trépasse pas.

Dans un temple de Tokyo au Japon
Boîtes à vœux à Tokyo

À cela, il faut rapprocher ces coutumes qui traversent les âges : les cerisiers en fleurs — principale source de détente des Japonais depuis treize siècles — et les compétitions de sumo, notre première connexion avec la télé nipponne. Les écrans remplissent toujours des salles, gigantesques, de jeux vidéos au cœur des villes. Le Marty McFly des années 50 pouvait bien être décontenancé : elles ne sont pour nous qu’une vitrine vers ce futur du passé fantasmé.

Mais le Japon de 2020 doit bien se rendre à l’évidence. La bulle construite minutieusement durant la période Edo, celle-là même qui condamnait à mort tout Chrétien (c’est-à-dire tout Européen) s’aventurant dans l’archipel, cette barrière naturelle que constitue son éloignement du continent, cette supériorité raciste détruite en 1945, ce flegme insulaire battu en brèche lors de la catastrophe de Fukushima,… Tout cela est de nouveau remis en cause par la pandémie de Covid-19. Les JO de Tokyo devait avoir lieu et les sites majeurs commençaient à rouvrir à notre arrivée. Les Jeux olympiques ont été reportés et les parcs se refermaient à notre départ.

Il existe néanmoins un secret. Un mystérieux pouvoir de résilience des Japonais qu’il nous est pour l’heure impossible à comprendre. Malgré toutes les péripéties de ces dernières années, le peuple nippon reste d’une affabilité qui confine à la maladie. Le regard de la société n’a pas changé : il est toujours aussi dur, aussi intransigeant. C’est ce Big Brother auto-imposé par des millénaires de traditions qui conduit nos interlocuteurs à une discrétion et à une gentillesse presque absurde quand ils n’osent pas nous dire simplement « non ».

En pénétrant le Japon, pays dans lequel je mettais tant d’espérances, je ne pouvais qu’être déçu. Un bémol tenace devait rapidement être levé : je pensais découvrir un peuple froid, distant, difficile d’accès tant sa timidité est une exigence culturelle. J’ai en fait découvert des habitants accueillants, curieux, toujours prêts à aider sans être intrusifs, sans jamais manquer de respect (ce serait une faute). Osaka est certes à part (c’est un peu « le Marseille du Japon », toutes proportions gardées). Mais même ailleurs on a pu éprouver ces élans avenants que l’on pourrait *presque* appeler de la chaleur.

Le Japon est un monde. Le troisième de notre tour de la planète après l’Inde et l’Asie du Sud-Est. Nous nous lançons désormais à la découverte d’un nouvel univers : celui d’une France confinée. On aura terminé notre programme japonais en trois semaines. Trop court forcément pour appréhender cet archipel. Mais heureusement pour nous, le Japon est éternel.

Sur le chemin de la philosophie à Kyoto
Peintre de cartes postales

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