Voir Varanasi et mourir

Prière au bord du Gange

Ce titre peut faire imaginer que Varanasi est l’équivalent indien de Naples ou de Rome. La formule est ici prise au sens hindou du terme : c’est à Varanasi qu’il faut venir pour mourir. Une étape prenante de notre tour du monde.

Le voyage de nuit entre Khajuraho et Varanasi est un vrai rite initiatique. Le train, en Inde, est en lui-même un spectacle à vive allure (50 km/h en moyenne) surtout quand il se prend de nuit. Chacun cherche sa couchette. On est entre trois touristes chinoises qui visitent leurs petits voisins et des familles indiennes qui partent en pèlerinage.

Onze heures de trajet qui se passent étonnamment bien. On se surprend à avoir mieux dormi sur des banquettes dures que dans notre dernière guesthouse. Et voilà Varanasi qui se dévoile à nous. Finie la campagne reposante. Effervescence de cette grande ville de pèlerinage hindou (première destination nationale). La gare est immense. Bruyante. On sort sur le quai encore ballotté par le train et on se fait déjà abrutir par le brouhaha.

Se frayer un chemin dans Varanasi…

Dédale d’effervescence

Un bruit qui ne nous quittera plus. La ville est tellement engorgée que les rickshaws sont interdits en son centre. La rue indienne, c’est la peur du silence, la crainte du vide. Chaque espace est pris. Chaque centimètre carré est occupé. C’est le son, les senteurs, la foule, la pollution.

Et puis, nous entrons dans des dédales de ruelles. Sombres alors que le soleil est à son zénith. Nos lourds sacs à dos sur les épaules, nous essayons de nous frayer un chemin dans le chowk, la vieille ville. Nous sommes surpris par cette effervescence qui ne tarit pas, même dans les moindres passages. Nos sacs, parfois, frottent le mur de droite pendant que notre main prend appui sur le mur de gauche. Et le sol…

Le sol est jonché de détritus, de bouses de vaches, de crottes de chiens. C’est la vie qui s’exprime dans sa plus simple et tragique expression. Varanasi, ancienne Bénarès, la ville où les hindous les plus fervents viennent mourir, célèbre toute les étapes de la vie dans un capharnaüm d’odeurs et de matières.

Nudité impudique

Le sac déposé à la guesthouse (bien dans son jus, pour ne pas être dépaysé), on se faufile jusqu’aux ghâts. Il s’agit de « portes » qui débouchent sur le Gange. C’est là que se font les fameuses ablutions rituelles. Elles se déroulent surtout le matin mais tout au long de la journée on a pu voir des hindous de tous les âges et de tous les sexes se laver selon le rituel prescrit. Nudité impudique dans le pays du kamasutra devenu dévot.

Ablutions dans le Gange

Etranges spectacles auxquels assistent également des hindous venus de l’autre bout du monde comme cette famille américaine, de Boston. La femme ose à peine tremper ses orteils manucurés. Tandis que le grand-père s’amuse de ce premier contact avec le fleuve sacré. C’est pour eux aussi le voyage de toute une vie.

C’est aussi sur ces ghâts qui plongent en escalier vers le fleuve sacré que se déroule, chaque soir à 19 heures, la puja.

Fête de la lumière et pluie de mousson

On a longtemps attendu cette offrande de la lumière au Gange. Le soir de notre arrivée, bien installés au milieu de centaines d’Indiens qui chantaient des litanies dans une ferveur incroyable, on a admiré les préparatifs des brahmanes.

Une heure et demie d’attente, pris par l’émotion des fidèles qui veillaient le coucher du soleil pour pouvoir rendre hommage au fleuve. Jusqu’à la dernière minute. Jusqu’à ce qu’un orage, venant de l’autre rive du Gange, balaie toute les petites bougies prêtent à être portées par les flots.

Terrible averse qui transforma certaines ruelles en torrents de boue. Les pèlerins et les quelques touristes du chowk se réfugient dans des commerces (après avoir pris le soin de retirer leurs chaussures). Une chaude pluie de mousson qui douche notre première journée à Varanasi.

Pluie de mousson

Champs de ruines

Plus les heures passent, plus on réussit à appréhender cette ville. Est-ce la similitude de son chowk avec la médina moyenâgeuse de Fez qui nous la rend déjà familière ? Ou serait-ce plutôt la légendaire gentillesse des Indiens du Nord qui nous permet de nous sentir à l’aise ?

Ce qui est certain, c’est que nous avons pu découvrir cette ville différemment. La mousson ayant totalement inondé les ghâts, nous sommes obligés de longer le Gange par l’intérieur de la vieille cité. On doit alors fureter pour découvrir un coin de rue, un coin de vie. Ou un coin de mort.

Ainsi, lorsqu’on nous affirme qu’une voie est fermée, et alors que nous faisons (en ronchonnant) demi-tour, un jeune habitant nous conduit au fond d’une rue. On pénètre dans un immeuble sans s’en apercevoir. Dans un souffle, il nous explique qu’on est chez lui. Au pas de course, on traverse le patio, un atelier de tisserand puis arrivons de l’autre coté du bâtiment… dans un vaste champ de ruines.

Le quartier de Lahori Tola en pleine démolition

En plein coeur de la cité se trouve un espace inconnu, lunaire, d’où s’échappent quelques chapelles hindous au milieu des gravats. Les édifices sont éventrés. On va construire ici un nouveau quartier.

Des bûchers au-dessus du Gange

On avance, toujours plus vite. Manquant de trébucher sur des morceaux de briques. On ne lève pas les yeux jusqu’à ce qu’on entende des chants. Des hommes. Des centaines, qui prient. Le ciel se fait plus sombre. Des troncs d’arbres sont entassés de part et d’autre d’un sentier improvisé au milieu des amoncellements de débris.

Nous sommes devant un crématorium. Vous ne verrez pas de photos ici : c’est interdit ; par décence et parce qu’en plus on n’aurait pas eu le cran de prendre des clichés. Des familles entières (surtout leurs membres masculins) patientent dans une certaine agitation. Des corps recouverts de draps colorés attentent leur passage vers l’au-delà. A même le sol pour certains. Sur des brancards de fortune.

On monte quelques marches encombrées pendant que la chaleur des fours se fait plus vive. Tout est allé si vite que l’on enjambe des corps sans avoir le temps d’y penser. Notre jeune guide nous presse au milieu de quatre buchers d’où débordent les flammes, alignés face au Gange. Un coup de vent, une bûche mal consolidée, et c’est la brûlure assurées.

Arrivée du bois pour les crémations

Le bruit et la fureur

Il nous montre. Nous explique. Les corps brûlent à quelques centimètres de nous. La chaleur est suffocante. Nous dominons le Gange où les cendres seront bientôt jetées. Nous sommes au coeur de l’Hindouisme. Plus loin, d’autres cheminées fument. Celles du crématoire destiné aux indigents.

On repart, couverts de cendres. Au milieu des corps. On voit des choses, on ressent, on sent. La mort et la vie. L’agitation, le bruit, les odeurs. Tout est lié. Un même espace.

Nous verrons passer dans la rue des civières de bambou entourées d’hommes qui psalmodient en direction du Gange. Nous verrons aussi le Temple d’Or, saint des saints des hindous, normalement interdit aux non-croyants. La bonne volonté des militaires qui protégeaient les lieux nous aura permis de pouvoir visiter ce sanctuaire.

Partout, la ferveur. Les chants, la vie, la mort, les excréments, les selfies, les ablutions, les prières, les bougies, la pluie, le fleuve, le bruit, la pollution, la fumée, la cendre, les vaches, les hommes, les saris, les couleurs, les boue,…

Varanasi, ça se vit.

Offrande au Gange

Nos coups de cœur

Dormir (ou juste se détendre). Recommandé par un twitto qui se reconnaîtra, la Ganpati Guesthouse propose de très belles chambres dans une vieille demeure organisée autour d’un patio. L’établissement possède aussi un roof-top (ouvert aux visiteurs) où prendre un verre en admirant l’un des plus beaux points de vue sur le Gange.
Ganpati Guesthouse, D 3/24, Mir Ghât

Partager. Au lever du soleil pour les ablutions et à 18 heures (en hiver) ou à 19 heures (en été) pour la cérémonie de la puja. Des centaines de fidèles sont là chaque jour. Un formidable moment de communion.
Dashashwamedh Ghât et Assi Ghât

Des centaines de pélerins présents chaque soir

Comprendre. Être incinéré à Varanasi est au cœur de la croyance hindouiste, l’omega de la vie du fidèle. Impressionnant, prenant. Mieux vaut avoir le cœur bien accroché.
Manikarnika Ghât, Lahori Tola (le quartier est en pleine destruction / reconstruction, ne pas hésiter à demander son chemin)

Boire. Le Blue Lassi, où l’on peut déguster un véritable lassi à la cuillère tout en regardant les processions funéraires passer (mention spéciale pour le lassi à la grenade).
Blue Lassi, CK 12/1 Kunj Gali, Kachaudi Gali, près du Rajbandhu, Govindpura.

Manger. Madhur Milan, une gargote à première vue peu séduisante, où l’on mange de la bonne street-food dans un cadre très indien, au bord de l’agitation de la rue.
Madhur Milan, Dashashwamedh Ghat Rd, Harha

Visiter. Le Temple d’Or, lieu le plus sacré des hindous à Varanasi (après le Gange). Les non-croyants peuvent y accéder par la porte 2. Il vous faudra parlementer avec les militaires en faction. Mais ça vaut la peine.
Vishwanath Temple, Lahori Tola, à l’extrêmité nord de la Vishwanath Gali (première rue à gauche de Madhur Milan, cf Manger)

Nos autres étapes en Inde

6 commentaires sur “Voir Varanasi et mourir

  1. Ce fut le sommet de mon périple en Inde ( 1988).
    Inoubliable lever de soleil sur les ghats vu depuis un bateau sur le Gange.
    Prégnance du sacré ( comme presque partout en Inde) , meme pour un incroyant.

  2. Ca va, les globe-trotteurs ? Où êtes-vous maintenant ? Dans le Sud ?
    NB. Sauf les gamlns et les sadhus, les Indiens ne se baignent pas nus, mais légèrement vêtus, même dans le Gange.
    A bientôt
    Jean-Claude Perrier

    1. Belle immersion à Varanasi. Je me.suis plongé dans le récit et au fur et a mesure je vous trouve très courageux face aux rites (crémations….)
      A très vite pour la prochaine decouverte.

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