
Sur les conseils des Pondichériens, changement d’itinéraire. Nous faisons halte à Auroville, une cité utopique bâtie à la fin des années 60 par une poignée d’Européens en plein mouvement hippie. Cinq décennies plus tard, elle perdure, fascinant les uns et inquiétant les autres. Elle a piqué notre curiosité.
“Vous devez voir Auroville.” Cette quasi injonction des personnes que nous avons rencontrées à Pondichéry nous a convaincus d’adapter légèrement notre itinéraire pour passer trois jours dans cette cité unique au monde.
Auroville, c’est d’abord un rêve. Celui de Mirra Alfassa, la compagne spirituelle de Sri Aurobindo dont nous vous parlions dans notre précédent article. Peu de temps après la mort de son conjoint, elle eut la vision d’une ville idéale, qui réunirait des personnes de toutes nationalités, cultures et religions, cohabitant dans le partage et l’harmonie.

Des caravanes depuis Paris
Nous sommes au début des années 60. Sur une carte, elle identifie une vaste parcelle inoccupée, à 10km au nord-ouest de Pondy. Ce n’est qu’une plaine désertique, faite de terre et de cailloux. Avec l’aide de l’architecte français Roger Anger, elle développe avec précision son projet, en dessine les plans et organise une levée de fonds.
Aux disciples déjà présents aux côtés de Mirra Alfassa – qu’ils appellent tous “Mère” – s’ajoutent des citoyens européens, qui se constituent en caravanes depuis Paris et rejoignent l’Inde où ils espèrent donner un sens à leur vie. On parle ici de plusieurs dizaines de personnes, aux origines et aux professions multiples, dont une majorité de Français, que rien n’appelait à se rencontrer si ce n’est l’aura et sans nul doute l’intelligence de cette femme atypique.
Les voilà qui creusent, labourent, bâtissent ce qui sera leur future maison commune. Très vite ils se rendent compte qu’ils manquent de compétences, que la tâche est bien trop grande pour leurs seules mains. Ils embauchent deux cents Tamouls qui vivent dans les villages voisins. Le chantier avance enfin. Ils plantent aussi, beaucoup, plus de deux millions d’arbres, pour transformer ce lieu aride en une forêt et des champs cultivables. Et cela marche.

Reconnaissance internationale
En février 1968, Auroville est officiellement inaugurée. Ce qui aurait pu sembler au début n’être que le “délire” de quelques uns a gagné entre temps une notoriété mondiale : le Président de la République de l’Inde et les représentants de 124 pays sont présents à la cérémonie, qui se tient sous l’égide de l’Unesco.
“Mère” meurt en 1973. Mais les “Aurovilliens” ne s’arrêtent pas pour autant. En se fondant sur ses écrits, ils poursuivent les travaux. Ce n’est qu’en 2008 qu’ils achèvent la pièce maîtresse du projet : le Matrimandir. Cette magnifique et monumentale sphère dorée est le cœur géographique et spirituel de la cité. Elle renferme des salles de méditation. Son architecture, qu’on croirait tout droit sortie d’un film de Kubrick, est proprement fascinante.
Depuis lors, Auroville poursuit paisiblement son existence. Elle vient de fêter ses 50 ans, en présence du Premier ministre indien. C’est cette “quinqua” que nous venons visiter, un peu sceptiques sur ce nous allons y trouver. Bien que tout le monde nous ait vanté le lieu, nous ne pouvons nous empêcher d’avoir quelques a-priori. Pour des esprits très – peut-être trop – terre à terre comme les nôtres, le mysticisme sur lequel s’est fondée Auroville peut paraître loufoque, voire sectaire.

Un lieu de sérénité
“Auroville n’est pas une secte. Tout simplement parce qu’il est bien plus difficile d’obtenir le droit d’y vivre que d’en partir”, nous ont répété d’une même voix les Français et les Indiens croisés à Pondy, sans totalement nous convaincre. Mais c’est bien la réalité. Nous avons pu le constater par nous-mêmes.
La première impression quand on arrive, c’est que de ville, il n’y a pas. Les arbres plantés à la genèse du projet sont devenus grands et constituent un poumon vert qui dissimule harmonieusement les bâtiments. Peu de routes sont goudronnées ; il s’agit essentiellement de chemins de terre. Les voitures sont proscrites, on ne se déplace qu’à vélo ou à moto. La faible densité de population – 3.000 habitants, issus de 52 nationalités, pour une surface totale de 10 km2 – finit de garantir la sérénité des lieux.
Cette sérénité est essentielle aux yeux des « Aurovilliens » – même s’ils ambitionnent à terme d’atteindre une population de 50.000 habitants – car c’est autour d’elle que s’organise tout leur quotidien. “Pour nous, une journée type se compose en théorie de cinq heures de travail au service de la communauté, le reste du temps étant dédié à la méditation”, nous explique Claude, un Français de soixante quinze ans, arrivé ici il y a une trentaine d’années.

« Tout appartient à Auroville »
Nous passons toute une matinée avec lui – et nous le remercions une fois encore ici pour sa patience face à nos nombreuses questions. Nous apprenons qu’à Auroville, la propriété individuelle n’existe pas.
Si chaque arrivant doit payer l’équivalent du prix de son habitation, il ne l’acquiert pas pour autant : à son départ ou à sa mort, son domicile et ses biens reviennent à la cité. Les « Aurovilliens » touchent un salaire de leur travail, mais il ne doit que leur permettre de subvenir à leurs besoins, sans enrichissement personnel.
“Je paye pour travailler, plus que mon travail ne me paye”, nous résume Claude avec malice. Car ici chacun est amené à lancer lui-même son activité, sur ses fonds propres, en se remboursant ensuite quand celle-ci le lui permet.
“C’est une contrainte mais aussi une vraie liberté. On peut exercer le métier qu’on veut, en changer autant de fois qu’on veut. Nous ne sommes pas enfermés dans une case, nous pouvons nous réinventer”, détaille-t-il.

Rester ou partir ?
Claude a travaillé en France dans les PTT, a été commercial puis directeur d’un établissement pour personnes handicapées. Difficile de savoir précisément ce qui l’a amené à tout quitter pour venir à Auroville. Mais il y a trouvé sa place.
Remarquant que la langue française était quasiment absente de la cité – alors qu’elle figure parmi les trois langues officielles définies par “Mère” – il décida de créer une gazette, puis une entreprise de traduction. Il n’a pas chômé : aujourd’hui le français est visible un peu partout en ville.
Il s’interroge toutefois sur les années à venir. Peut-être rentrera-t-il en France. “Je souffre de la chaleur et j’ai quelques soucis de santé. Et puis je ne supporte plus de manger du riz”, plaisante-t-il en dégustant à nos côtés un poulet frites. Il observe avec intérêt les projets d’éco-cité portés par des jeunes dans la campagne française. “Je vais peut-être m’installer dans le Cantal.”

Quand les hippies deviennent papys
Les jeunes, c’est justement ce qui manque à Auroville. Nous en croisons bien peu pendant notre séjour. C’est sûrement ce qui nous donne l’impression que cette ville est aujourd’hui d’une modernité datée. Certes, il y a près d’un millier d’enfants et d’adolescents. Mais très peu de jeunes adultes. Au terme de son cursus scolaire, la jeunesse aurovilienne part faire sa vie ailleurs. Et ne revient pas.
“Notre principal défi pour les années à venir est de renouveler notre population”, nous confie Claude avec lucidité. Autour de nous, quand il prononce ces mots, tous les « Aurovilliens » arborent des cheveux blancs. Au fil de nos promenades, dans chaque bâtiment, sur chaque chemin, nous ferons le même constat : l’immense majorité de la population d’Auroville se compose de grands-mères et de grands-pères, pour la plupart arrivés il y a bien longtemps, toujours heureux de vivre ici, mais qui donnent au lieu l’image d’une maison de retraite idéale plutôt que d’une cité en croissance.
Nous repartons charmés par Auroville, impressionnés par l’architecture du Matrimandir et par la sincère quiétude qui règne partout ici. Mais nous avons le sentiment qu’à trop vouloir préserver ce qui fait sa singularité, ce joli rêve s’est lentement coupé de la réalité qui l’entoure.
Plutôt que devenir un modèle pour le reste du monde, Auroville semble inéluctablement se transformer en petit village d’irréductibles (et sympathiques) Gaulois, qui font perdurer leur rêve sans qu’on sache vraiment quel sera leur avenir commun.

Nos coups de cœur
Dormir. On a particulièrement aimé notre guesthouse, tenue par une sympathique famille tamoule. Chambres spacieuses et confortables, proprios aux petits soins, localisation géographique parfaite pour découvrir la ville… et un petit resto où la mère et la fille préparent ensemble de délicieux petits plats.
Lotus Garden Guesthouse, Near Dinesh Restaurant, East Coast Rd, Auroville
Visiter. Il dépasse la cime des arbres. Il capte notre regard, il interpelle, il attire : le Matrimandir est une oeuvre architecturale et spirituelle qu’il faut absolument découvrir. Nous restons marqué par le silence absolu, presque dérangeant, qui règne dans sa salle centrale. Des visites sont organisées chaque matin, à 8h45, au départ du Centre des visiteurs. Attention : inscription indispensable au moins 24h à l’avance.
Auroville Visitors Center, Auroville Rd, Auroville
Manger. Forte population française oblige, on trouve à Auroville… du fromage. Cantal, parmesan, bleu, cheddar ou même camembert, les fermiers tamouls de la région ont un savoir-faire unique en Inde. Si l’affinage reste compliqué en raison des conditions climatique, le goût lui est bien là. Matthieu s’est régalé.
Sun Farm, AMI Rd, Auroville

Vivre. Une fois par semaine, le Pavillon de l’Unité organise un « bain de sons ». On s’allonge sur un tapis, on ferme les yeux, tandis que des musiciens jouent pendant deux heures d’une multitude d’instruments autour de nous. Une expérience acoustique très agréable, qui est aussi pour les Aurovilliens un temps de méditation.
Unity Pavillon, International Zone, Crown Rd, Auroville
étonnant!
joli maison de retraite !
Auroville et son histoire magnifique decouverte bises a vous 2
Magnifique, merci!
Une société idéale ?… D’apres Ce que vous avez écrit, elle semble pourtant ne pas satisfaire les jeunes générations 🤔
Tout de même, ça fait bien envie.
Et en tout cas, merci car je découvre ! J’avoue n’avoir pas entendu parler de cette cité avant 🙂