Thanjavur, Madurai : dans le dur du Sud

Temple de Madurai

Retour en Inde après la parenthèse d’Auroville pour une immersion dans le Sud du pays, à Thanjavur et Madurai. Longues routes en bus, découvertes culinaires et nouvelles pratiques culturelles, nous entrons au Tamil Nadu !

Autrefois, on parlait « des Indes ». Depuis l’indépendance et la partition du pays, l’Inde ne fait plus qu’une au sein d’une Union. Mais ce voyage du Nord au Sud nous apprend que la péninsule est encore plus diverse que prévu.

D’abord, la langue. On entre dans le Tamil Nadu en retrouvant des intonations proches de celles que nous entendions au Sri Lanka. L’écriture est également similaire : ici, on est Tamoul. L’anglais est moins présent que dans le Nord. L’hindi est introuvable.

Splendeur passée du Sud

On profite justement de notre escale à Thanjavur pour observer ces changements, ces différences entre ces nombreuses Indes. Thanjavur est une ancienne capitale, celle de l’empire Chola. Elle bouillonne toujours, mais une nostalgie semble appesantir son atmosphère. Elle devrait vivre du tourisme, mais se résigne à n’être qu’une ville de passage.

Pourtant, Thanjavur abrite un temple millénaire inscrit à l’UNESCO et qui est toujours en activité. Plus aéré que les temples du Nord, le Brihadishvara est l’exemple-même de la puissance passée de l’Empire du Sud. Il renferme les mêmes odeurs depuis 1000 ans, les mêmes chants, la même ferveur.

Pélerin à l’entrée du temple de Thanjavur

Le soir de notre visite, alors que le soleil passe derrière les hautes murailles ocres, un brahmane appelle à la prière en faisant teinter vigoureusement une cloche à l’entrée du sanctuaire. On pénètre avec les croyants dans cette caverne sombre cernée de statues de dieux fantasmagoriques. On sent la fiente des chauves-souris qui piaillent suspendues au plafond.

La piété millénaire

Pieds nus, nous parcourons un long couloir. Des fleurs multicolores jonchent le sol devant les représentations divines. L’air est chargé de fumée de bougies. Les odeurs mêlées d’encens et de patchouli porté par les Indiens finissent par nous plonger dans un de ces moments que seule l’Inde peut nous offrir.

Arrivés devant le lingam (représentation phallique de Shiva), nous laissons les pèlerins présenter leurs offrandes aux brahmanes qui sont les seuls à pouvoir pénétrer dans le saint des saints. Torses nus, les religieux appliquent à travers une grille un signe de poudre sur le front des fidèles.

Nous ressortons. Un vent venu du sud-est bouscule nos cheveux (qui commencent à être bien ébouriffés). Le crépuscule draine son lot d’oiseaux, perruches, corbeaux, aigles… qui crient leur soulagement après une journée encore chaude et poisseuse.

Femme sur les marches du temple

La décadence du Sud

Thanjavur garde aussi le passage de ses rajas. Leur palais est tant bien que mal conservé. Passées les fameuses collections délirantes d’objets kitsches (porcelaines, poupées, coucous suisses, porte-clés et même un billet de 5 euros exposé dans une vitrine bien verrouillée), le palais souffre véritablement d’un manque d’entretien.

Il est à l’image de ce Sud : autrefois opulent, sûr de lui, de sa culture, de sa richesse, homogène, aujourd’hui englobé dans une Inde trop éloignée, qui a connu plus d’invasions, plus de brassage, qui a perdu de son essence première et qui se développe trop vite.

Cette Inde qui va vite. On l’a déjà évoquée ici. Dans la rue, on se bouscule. Dans les files d’attentes, on se double. À Thanjavur, pourtant, on laisse un peu plus la place au regard et au sourire. Même entre eux, les Indiens d’ici se parlent et rient. On ne se sent plus seulement comme des étrangers blancs qui visitent, on nous interpellent moins (même si les selfies continuent à pleuvoir comme la mousson du soir). On se sent plus à l’aise.

Dans l’ancien palais du Raja

L’art de manger avec les doigts

Un midi, nous allons dans une gargote. C’est notre habitude : on préfère manger dans les petits bouis-bouis, avec les gens pendant leur pause déjeuner. Quatre types partagent deux tables avec nous. Pas de carte : c’est plat unique.

On nous dépose une feuille de bananier qui sera notre assiette. Un homme, à côté de nous, nous fait signe de la nettoyer avec l’eau de la cruche. Bon, pour le coup, on va éviter. Le patron nous sert alors un chapati, une bonne louche de riz et dépose délicatement des currys de légumes bien épicés (sans épice, c’est fade) et une sauce à base de ghee (lait éclairci).

On mange avec les doigts. Ou plutôt, avec les mains. Pas facile quand on nous l’a toujours interdit depuis notre enfance… D’autant plus difficile quand on doit attraper des gains de riz. Alors on tâtonne. Pierre commence avec trois doigts. Matthieu plonge sa main toute entière. On se rend compte que manger sans couvert est plus technique que prévu ! Nous attrapons une poignée de riz, en faisons une boulette et y ajoutons les currys. On utilise notre paume comme le creux d’une cuillère. Et on se dépêche de gober le tout.

Thali servi sur une feuille de bananier

Attention, difficulté supplémentaire : on ne mange qu’avec la main droite ! L’autre sert pour la toilette. Etrange tout de même de manger avec la main que nous sert à dire bonjour (et on en sert beaucoup, des mains, dans la rue, à chaque fois qu’un passant nous interpelle). Bref, on a mangé un thali. 🙂

La douceur… en apparence

Les rues de Thanjavur ne sont pas cernées par les policiers comme à AgraVaranasi. Ils sont, en tout cas, peu visibles. La tension en est moins palpable et on se sent paradoxalement beaucoup plus en sécurité. Les communautés ont l’habitude de vivre ensemble depuis longtemps.

Les filles sont aussi moins renfermées, plus promptes à nous dire bonjour, moins craintives et plus souriantes. Ce n’est évidemment que notre point de vue. Il ne peut être que parcellaire. Mais ce changement d’attitude contribue à voir ce Sud comme une autre Inde.

On aurait presque l’impression de découvrir un nouveau pays. Presque. La coutume et les traditions restent présentes à chaque instant de la vie quotidienne. On vous parlait des filles plus avenantes. Pas question pour autant pour elles de venir nous parler. Seuls les mecs continuent à nous poser des questions : « D’où venez-vous ? », « Combien de temps en Inde ? », « Où allez-vous après ? »

Ce qui est marrant, c’est qu’on nous pose exactement les mêmes questions ici (plus de dix fois par jours) que dans le reste du pays. On s’imagine que chaque Indien tient un petit registre chez lui et consigne précieusement toutes ces infos glanées auprès de ces deux Français qui viennent de Paris, visitent l’Inde pour la première fois et qui y restent « two months and half ».

Une sœur et son frère font un selfie à Thanjavur

Les bars cachés : frénétique échappatoire

La coutume aussi quand un homme, plutôt sympa au premier abord, fixe subitement Pierre d’un regard noir. Nous étions autour de la table en zinc d’un vendeur de street-food. On mange correctement avec la main droite. Mais Pierre a croisé ses jambes. On comprend à la moue de notre voisin que ça ne se fait pas : on ne montre pas le dessous de ses chaussures quand on mange ! Ce qui n’empêche pas, au même moment, un gars de renifler bruyamment et de cracher un glaire juste derrière nous.

Le poids de la société aussi en ce qui concerne l’alcool. On découvre à Thanjavur des endroits assez glauques où des hommes se pressent toutes la journée pour acheter une bière (assez peu de vin) ou une flasque de whisky. On les reconnaît assez facilement car ce sont les seules échoppes cachées de la rue : un paravent de bois, des bâches en plastique et une forte odeur de relents gastriques.

Ils s’agglutinent devant le comptoir grillagé, roupies à la main, et crient le nom d’une bière. La Kingfisher est ici dans son royaume. Une fois le Saint-Graal acquis, ils se précipitent sous la bâche pour boire frénétiquement leur canette. Sans table, avec une ampoule pour seule présence lumineuse, en pleine terre battue au sol. Ça pue et on en crache parfois une partie faute de pouvoir tout avaler d’un coup.

Il faut boire vite ou partir son butin bien dissimulé dans un sac opaque. Nous avions déjà remarqué ce genre d’interdit sociétal au Maroc. C’est comme ça que certains hommes trouvent une échappatoire dans un pays où le regard du voisin est si prégnant malgré les sourires.

Urinoir public

Les couleurs du temple

Notre découverte du Tamil Nadu se prolonge à Madurai. Là encore, un temple majestueux et un palais décati. Pour le coup, le « Big Temple » dravidien est un choc architectural. Appelé Minakshi, il est toujours en activité depuis 1560.

Il compte onze gopurams, ces pyramides couvertes de statues colorées incroyables qui représentent des centaines de dieux et de divinités du panthéon hindou. Ces tours dominent la ville. Et pour peu que l’on s’éloigne et les observe depuis un roof-top, elles donnent l’impression d’un vaisseau spatial posé au cœur de la cité.

À l’intérieur, c’est une ville qui bouillonne. Les femmes s’apprêtent et portent leur plus beaux saris pour se rendre au temple. Des familles entières présentent des offrandes aux dieux. Il y a des kilomètres de couloirs, des colonnades labyrinthiques, des recoins, des portes encadrées de milliers de bougies allumées une à une chaque soir.

L’une des pyramides du temple de Madurai

À la sortie du temple, des garçons se tiennent par la main. La marque ultime de l’amitié en Inde. On remarque néanmoins qu’ici ce signe est plus tactile et s’accompagne de « câlins », de caresses…

La société indienne est dure. Pas de lâcher prise. Rechercher la douceur platonique d’un contact viril ou s’échapper dans les effluves de l’alcool rapide, Thanjavur et Madurai nous en apprennent plus sur la profonde difficulté de l’Inde à évoluer en ordre sans renier ses traditions millénaires.

Nos coups de cœur

Dormir. À Thanjavur, nous vous recommandons le Gnanam, situé à deux pas de la gare routière et de la vieille ville. Un hôtel « chic » (dans la mesure où cela est possible en Inde), avec des chambres spacieuses équipées d’un balcon, pour un prix très « routard ». À Madurai, impossible de trouver meilleur emplacement que l’hôtel Senthil, dont les chambres donnent directement sur les temples : déco quelconque, mais chambres assez confortables, là encore pour un tarif raisonnable.

Vivre. Il faut absolument tester le jigarthanda à Madurai. Il s’agit de la boisson typique de la ville. Elle se consomme froide avec une boule de glace. On la prépare avec du lait, de la gomme d’amande et du sirop de salsepareille. Une boisson froide en Inde, c’est assez rare pour être signalé.

Verres de jigarthanda

Visiter. Le palais du Nayak Tirumalai à Madurai. Il ne reste plus grand chose de l’incroyable palais du raja Tirumalai construit au XVIIe siècle. Mais ce qui l’en reste est absolument majestueux : un immense espace ouvert sur des colonnes et des dômes inspirés de l’Italie.
Palace Rd, Mahal Area, Madurai Main

S’aérer. Le Thirupparamkunram Murugan est un temple en partie troglodytique construit au pied d’un rocher à 10 kilomètres au sud de Madurai. La ferveur est aussi intense qu’on est loin des circuits touristiques. Attention cependant : les shorts et les épaules nues ne sont pas autorisés. Pensez à vous couvrir avant d’y aller ou à acheter un dhoti à proximité (large pan de tissu que l’on porte à la taille) pour une centaine de roupies.
Bus réguliers au départ du Periyar Bus Stand, arrêt à Thirupparamkunram

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4 commentaires sur “Thanjavur, Madurai : dans le dur du Sud

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