
À chaque nouvelle étape, nous confrontons nos regards sur nos premiers pas. La première impression est-elle la bonne ? Démontrons le contraire ou confirmons la règle. Cinquième pays : la République démocratique populaire lao (autrement dit : le Laos).
[Récit de notre passage de frontière entre la Thaïlande et le Laos le 4 janvier 2020]
Frontière sur brûlis (par Pierre)
C’est en Thaïlande que nous percevons les senteurs du Laos. Dès notre sortie de Chiang Rai, les plaines enfumées des champs que l’on brûle nous font déjà quitter le royaume. L’ambiance en cette fin de journée est assez étrange : nous sommes aux confins de la Thaïlande et comme dans toutes les zones frontalières, sans être tout à fait dans un pays mais pas encore totalement dans un autre, on ressent des ambiances ambivalentes.
L’écobuage est nouveau dans notre tour du monde. La culture sur brûlis n’était jusqu’à présent pas la règle. L’odeur des herbes et des plastiques calcinés mêlé aux hydrocarbures qui parfois servent de facilitateurs de combustion donne une dernière impression prenante à la Thaïlande. Au loin, au pied des montagnes, c’est le Laos. Nous le longeons, à l’écart, par l’unique route qui nous mène à la frontière.
Notre bus se vide au fil des villages traversés ; ultimes avancées avant l’ex-Indochine française. Il fait nuit quand nous arrivons finalement à proximité du poste-frontière. Nous sommes déposés au bord de la route, à l’intersection de l’embranchement menant au Laos. Devant nous, un tuk-tuk nous attend. Nous n’avons pas vraiment le choix : la ligne de démarcation est à plus de 2 kilomètres et il fait noir.
Le péage frontalier est impressionnant et veut l’être. La voiture nous laisse devant une immense structure à l’architecture typiquement thaïlandaise. Nous sommes totalement seuls. Un militaire fait ses pompes devant sa cahute et nous fait signe d’approcher : « Quand comptez-vous revenir dans mon Royaume ? », nous demande-t-il, martial, transpirant sous le poids de la responsabilité et semblant incarner toute l’Histoire millénaire de son pays.

Visa de sortie tamponné, nous traversons sans nous attarder l’immense hall et trouvons une famille laotienne attendant le prochain bus pour traverser la frontière. Face à nous, à quelques mètres dans l’obscurité, coule le mythique Mékong qui marque la limite entre la Thaïlande et la République démocratique populaire lao. L’émotion est assez grande lorsque nous traversons le fleuve : nous changeons définitivement de pays.
Première différence, immédiate, juste avant le pont : un croisement assez original de la route nous a permis de passer du côté gauche de circulation au côté droit. Après l’Inde, l’Indonésie et la Thaïlande, nous retrouvons le côté « français ». À la frontière laotienne, pas d’uniforme mais un bakchich déguisé (1 dollar à payer en sus car nous sommes le soir…). Le visa nous coûte 30 dollars et nous donne droit à un très bel autocollant couvrant toute une page du passeport. Mais, surprise, tout est écrit en laotien, en anglais ET en français.
Nous traversons le poste (moins opulent que de l’autre côté) et nous tombons sur une joyeuse bande de chauffeurs de taxis collectifs. Bourrés au dernier degré, je ne sais lequel est plus apte à nous conduire à notre destination. Mais il ont l’alcool joyeux et tous paraissent sympathiques alors nous embarquons avec la famille : advienne que pourra ! Les routes sont tout de suite plus chaotiques qu’en Thaïlande. Le véhicule aussi. L’ambiance frontalière garde son mystère : l’odeur des herbes calcinés nous prend à la gorge ; peu d’éclairage public : la nuit est plus sombre qu’en Thaïlande.
Malgré tout, nous ne pouvons pas manquer, tous les 5 mètres, un drapeau laotien bleu, blanc et rouge accroché à un poteau électrique et systématiquement accompagné du drapeau communiste rouge à la faucille et au marteau dorés. Nous venons de poser nos pieds dans l’un des derniers pays d’obédience marxiste-léniniste du monde : un parti unique, le Parti révolutionnaire populaire lao, est à la tête de l’État depuis 1975 et organise la vie politique autour d’un Politburo et d’un Comité central élus tous les 5 ans par un Congrès. Nous arrivons dans la ville-frontière de Houei Sai…

Ce petit goût de nonchalance (par Matthieu)
Il est toujours étrange de pénétrer de nuit dans un pays, de ne pouvoir distinguer les paysages qu’à la lumière des rares lampadaires qui bordent la chaussée, de devoir deviner ou imaginer cet inconnu qui nous entoure. Nous entrons au Laos à 19h30, le 4 janvier 2020, après avoir traversé le Mékong qui sert ici de frontière. Les policiers prennent l’apéro en musique. Ils ne rejoignent leur guérite que le temps de donner un coup de tampon à nos passeports et de récolter le dollar qui leur sert de complément de salaire.
Nous partageons le seul tuk-tuk collectif stationné là avec une demi-douzaine de Laotiens qui rentre au pays. Notre chauffeur sent le whisky mais tient les rênes. Serrés tous ensemble à l’arrière, à une période où la distanciation sociale n’a pas encore été inventée, on tente d’échanger les quelques mots déjà appris : bonjour, ça va, merci. Pour le reste, c’est le silence. Et l’attente. On remarque que le bitume, ici, est bien plus cabossé que chez le voisin thaïlandais. Que les routes sont moins dessinées, plus tortueuses. Que les bâtiments sont plus sommaires et irréguliers. Même dans la pénombre, le Laos apparaît très vite pour ce qu’il est : l’un des pays les plus pauvres et les moins développés de la région.
Nous débarquons dans la rue principale de Huay Xai (aussi appelée Houei Sai), petite ville somnolente qui s’est résolue à n’être qu’un point d’étape pour les quelques marchandises et voyageurs en transit. Un point sur la carte, où l’on ne s’attarde que quelques heures, souvent le temps de sauter dans un bateau pour Luang Prabang. Mais le temps, comme toujours dans ce voyage, nous l’avons pour nous. Nous préférons prendre sereinement nos marques en arrivant dans un pays, encore plus lorsqu’il s’agit d’une bourgade réputée sans intérêt, qui a pour intérêt de n’être qu’elle-même. À Huay Xai, nous resterons deux nuits.
Nous frappons au premier hôtel venu, dont on ne sait trop s’il est ouvert ou fermé. Notre chambre et le couloir qui y mène ressemblent à un remake de Shining. Bizarrement, cette ambiance nous plait. Et cela ne nous coûte, à juste titre, qu’une bouchée de pain. Nous dînons en terrasse dans l’unique gargote encore ouverte à 21h. Nous sommes les seuls clients. On ne nous attendait plus. Nous savourons une soupe délicieusement simple accompagnée d’une Beer Lao, la bière nationale. Le propriétaire baisse le rideau dès notre départ.
Nous l’avons déjà compris : le Laos est paisible et nonchalant. Et le Laos se couche tôt, un nouveau rythme auquel il faudra nous plier. Alors on rejoint sans plus tarder notre lit et on se laisse rêver à ce que demain aura à nous offrir.
Quel suspense !
Super ! Bravo ! Deux très beaux récits !
Excellente entrée en matière.
Vite, la suite !