
Nous poursuivons notre découverte du Cambodge par le chemin des écoliers. Direction la province du Mondol Kiri dont les rondes et colorées collines suffisent à charmer le voyageur.
[Récit de notre passage au Mondol Kiri du 3 au 5 février 2020]
Le visage encore teinté de rouge, nous poursuivons notre exploration de l’Est du Cambodge par le Mondol Kiri. Même minibus surchargé où nous sommes les seuls Européens, même route neuve et désertique. Trois heures à fond la caisse pour parcourir 189 km jusqu’à Sen Monorom. Même chef-lieu régional de la taille d’un village : il compte moins de 8.000 habitants.
C’est toujours le Cambodge excentré et rural. On est à sept heures de Phnom Penh mais à seulement vingt minutes du Vietnam. Autant dire que ceux qui habitent là ont plus souvent l’occasion de passer la frontière que de visiter leur capitale. Comme dans le Ratana Kiri, on ne vient pas ici pour les monuments, le seul patrimoine est naturel et humain. C’est plutôt une nouvelle occasion de prendre le pouls d’une société cambodgienne que nous ne côtoyons que depuis une semaine et qui conserve à nos yeux toute sa part de mystère.

Un motel americano-italo-cambodgien
Nous n’avons aucune idée d’où loger, alors on demande au chauffeur de nous laisser au bord de l’avenue centrale, le temps qu’on se repère. On distingue à notre gauche une sorte de petit centre avec des étales de marché, à droite un parking et une vague esplanade où se monte une fête foraine. Ah, et voilà un hôtel !
Bienvenue au Route 76, qui comme son nom l’indique est posé au bord de la route numéro 76… et décoré comme un motel américain. Quelle drôle d’idée en pleine campagne cambodgienne, surtout que le gérant est italien ! Le bâtiment est neuf, les chambres sont d’une propreté irréprochable et, cerise sur le gâteau, l’eau de la douche est chaude. On ne se fait pas prier !
Au sommet, on trouve aussi un toit terrasse vaguement aménagé avec une vue imprenable sur l’esplanade. On sait déjà qu’on y prendra l’apéro à la nuit tombée, en observant comme des petites souris les scènes de vie qui se déroulent en bas.

Le business des éléphants
Nous n’avons rien prévu de particulier à faire au Mondol Kiri. Il est vrai que la région est connue pour ses “refuges” à éléphants, mais cela relève plutôt à nos yeux du business touristique. Les familles des environs ont longtemps possédé des pachidermes pour les aider aux travaux des champs. Cette exploitation animale s’est transmise de générations en générations, sans susciter de remise en question.
Sauf qu’au début des années 2000, l’ouverture du Cambodge aux visiteurs a changé les perspectives. On a vite constaté que les Occidentaux raffolaient des éléphants. On s’est alors mis, comme en Thaïlande, à organiser des balades sur leur dos. Ça rapportait beaucoup plus que de faire porter des troncs à l’animal. Et il faut reconnaître que cela a permis à une partie des habitants de sortir de la pauvreté.
Dix ans plus tard, on a commencé à parler de condition animale. L’idée a peu à peu infusé parmi les touristes, au point qu’ils ne voulaient plus monter sur les éléphants. Mais ils voulaient toujours les voir. Alors on a adapté le concept. Les animaux domestiqués sont retournés à un état semi sauvage : on les a installés dans des vallées où ils vivent une retraite plutôt tranquille, mis à part les groupes de voyageurs qui viennent chaque jour les prendre en photo et parfois leur faire la toilette.

Autant flâner !
On ne peut que reconnaître que la situation s’est finalement améliorée pour les éléphants du Mondol Kiri. Et peut-être que cette nouvelle forme de business est nécessaire. Il n’en reste que leurs gentils soigneurs d’aujourd’hui sont aussi ceux qui les exploitaient il y a quelques années – et une partie d’entre eux continue d’ailleurs à faire travailler les éléphants quand les touristes sont absents.
Alors, quand en se renseignant auprès des agences de trek, on nous a expliqué que la demi-journée à la rencontre des éléphants coûtait 70 euros par personne, on s’est dit que ça faisait quand même très cher pour une préservation qui reste toute relative. Autrement dit, ça nous a franchement rebuté.
Nous n’avons donc rien de prévu au Mondol Kiri. Aujourd’hui, ce sera flânerie, découverte culinaire et lessive. C’est vrai qu’on ne vous parle jamais de la lessive, mais vous vous doutez qu’en tour du monde, avec seulement trois changes chacun, il faut souvent faire des lavages. On trouve justement un pressing dans une ruelle du centre à qui nous confions deux kilos de vêtements qu’on récupérera dans 24h.

La ville qui grandit
Côté marché, l’offre s’avère plus réduite qu’à Banlung. Il n’y a qu’une vingtaine de stands, moitié de légumes, moitié de viandes où affluent les mouches. Les femmes qui les tiennent, perchées sur des estrades en bois abritées du soleil, agitent avec patience des éventails pour faire fuir les insectes. Ce n’est malheureusement pas là qu’on dégotera un petit plat pour le déjeuner. On finit donc sur la rue principale, dans un “vrai” restaurant.
De la terrasse, on observe le quartier. Rien d’extasiant. Sen Monorom c’est encore une fois l’alliance inesthétique de cahutes en tôle et de bâtiments récents en béton. Les chantiers sont nombreux. On sent que la ville pousse et que la butte sur laquelle elle a été édifiée se fait aujourd’hui trop étroite.
Des faubourgs commencent à s’étaler alentour, grappillent des bouts de champs pour former une aire urbaine. Ça reste encore un village, mais l’exode rural est palpable et on devine que dans quelques années la relative quiétude des lieux aura disparu. À condition que les routes suivent car, pour le moment, c’est le royaume de la piste cabossée.

La Suisse… ou l’Aveyron
Dès qu’on quitte l’avenue, le revêtement devient aléatoire et les nids-de-poule sont légion. Plus que des nids-de-poule, des cratères d’obus. Un enfant pourrait s’y cacher. Pas étonnant que les propriétaires de pick-up roulent à si faible cadence : même eux ont peur d’abîmer leur véhicule. On ne sait pas si l’entretien des voies est du ressort de l’État ou de la municipalité, en tout cas il n’est pas fait. Mais, remarquez, ça facilite le partage de la route. C’est plus calme qu’une zone 30, les piétons ne sont jamais bousculés !
Ce qui a du charme, en revanche, ce sont les environs de la ville. Le Mondol Kiri est surnommé par les Occidentaux “la Suisse du Cambodge”. Perché à 800 mètres d’altitude, enchaînement de collines et de vallons, c’est vrai qu’il détonne par rapport à l’immense plaine qui recouvre l’essentiel du pays. La terre est toujours aussi rouge, mais la végétation plus épaisse : elle apporte toute une déclinaison de verts qui adoucit le paysage. Malgré la chaleur étouffante en cette saison, ces reliefs et cette nature nous donnent l’impression de respirer. De là à se croire en Suisse, il faut beaucoup d’imagination… Nous y verrions plutôt l’Aveyron ou le Gers en été.
Comme Matthieu adore les points de vue, on décide de digérer en allant explorer ces collines. Et, pas rancuniers que nous sommes après nos mésaventures du Ratana Kiri, nous optons pour la location d’un scooter. Pierre passe néanmoins son tour à la conduite : sa jambe n’est pas encore totalement remise, restons prudents.

À saute-mouton
Dès la sortie de Sen Monorom, on est plongé dans un cadre bucolique. La route 76 – la seule et l’unique – serpente sur les crêtes en offrant de magnifiques perspectives sur les champs et la forêt. Nous rejoignons au bout d’une vingtaine de minutes le petit village de Putang, celui-même où vivent les familles propriétaires d’éléphants. À cette heure de l’après-midi, le calme règne. On ne croise que les écoliers qui terminent les cours et qui nous saluent en souriant.
La piste se poursuit sur cinq bons kilomètres au-delà des maisons. Au bout, un cul-de-sac. Et, comme on l’espérait, un splendide panorama. Plus aucune trace de l’homme, ce ne sont que des collines toutes rondes qui se succèdent à perte de vue comme un jeu de saute-mouton pour les géants. Des jaunes, des oranges, des vertes, selon qu’elles soient cultivées ou sauvages, caressées en silence par une douce brise d’été.
Un bruit de pas nous fait sortir de la rêverie. Un jeune occidental apparaît dans les fourrés. Il remonte tranquillement la pente en s’aidant d’un bâton. « Salut », nous dit-il d’un air jovial, en anglais. « Vous venez voir les éléphants ? Ils sont en bas, près de la rivière. » En voilà un qui, malin, a trouvé le truc pour ne pas payer l’excursion : explorer les sentiers par ses propres moyens. Avis aux amateurs qui passeront après nous dans la région !

D’un belvédère à l’autre
Le jour baissant, nous laissons définitivement les éléphants du Mondol Kiri de côté. On préfère rejoindre la montagne Dohkrormom – là encore, rien d’une montagne, c’est bien une colline. Un belvédère y a été aménagé d’où une poignée de familles admire la ville, juste en contrebas, et la nature, tout autour. Elles se recueillent au passage devant une chapelle bouddhiste, d’autant plus incontournable qu’elle a été bâti au milieu du chemin. Quelques agriculteurs des villages voisins en profitent pour vendre sur le sol leur production de fruits et de légumes. Le tout sous la surveillance de la police locale qui s’est mise en tête de faire respecter des places de parking qui n’existent pas.
La colline voisine est quant à elle le repère des jeunes. Ils viennent en bande pour pique-niquer ou en couple pour se câliner à l’abri du regard des parents. La musique résonne sur une sono portative. On a envie de rester là avec eux. Dommage que le sol jonché de détritus en perturbe le charme. Au Cambodge, comme en France, on semble parfois penser qu’il y a toujours quelqu’un pour ramasser derrière soi… Mais c’est encore moins vrai ici que chez nous.
Nous avons repéré sur la carte un ultime belvédère, à 1 km de là. Il offre, paraît-il, une vue plongeante sur la forêt. Mais à notre arrivée, pas de chance : un hôtelier a flairé le bon plan et vient d’y construire un vaste complexe alliant resto et cabanes en bambou. On les contourne en se disant que le panorama doit toujours être là… C’est loupé. Il est désormais obstrué par des passerelles en bois, en forme de main, de coeur ou de guitare. Le genre de décor voulu pour être « Instagrammable » qu’on a tant vu à Bali. Alors on rebrousse chemin.

Tout simplement
On termine comme on l’imaginait sur le toit de notre hôtel, des cacahuètes dans une main, une Cambodia bien fraîche dans l’autre, à regarder la fête foraine qui démarre. La nuit tombée, l’esplanade est devenue l’empire des néons : des roses, des bleus, des jaunes, des verts… Ce qui n’était de jour qu’un austère terrain vague se transforme en un lieu vivant et chaleureux.
Les enfants rient sur les manèges, les parents se font peur au sommet d’une grande roue. Des stands proposent quantité de breloques comme on en verrait sur une foire en France : des ustensiles de cuisine, des produits ménagers, de la nourriture aussi, jusqu’aux barbe-à-papa et aux marrons grillés. Il y a également un concert offert par une grande entreprise locale. Des dizaines de personnes sont assises devant une scène où s’enchaînent les jeunes artistes pop au look très Star Academy.
Le public se fait d’abord calme et réservé. Puis l’heure passant, les bières se vidant, il se détend, applaudit, s’anime. Alors forcément, on descend le rejoindre. Et nous voici à notre tour déambulant, ripaillant, nous amusant dans cette fête de village du Mondol Kiri comme si nous habitions là nous aussi. Finalement, n’est-ce pas cela qui nous fait tant aimer le Cambodge comme le Laos, ces petits plaisirs simples de la vie ?