
Nous commençons notre parcours au Cambodge par les provinces isolées de l’Est. Direction le Ratana Kiri, ses cascades, sa savane et son sable rouge qui ensevelit les scooters. Une étape de haute voltige qui pourrait mal finir…
[Récit de notre périple dans le Ratana Kiri du 31 janvier au 3 février 2020]
Plutôt que de suivre le Mékong directement jusqu’à Phnom Penh, nous choisissons de faire un détour par l’Est du Cambodge. La région du Ratana Kiri nous a été vivement conseillée par Luc, un ami français expatrié à Saïgon.
Pris en tenaille entre le Laos et le Vietnam, mal desservi par la route et excentré par rapport aux traditionnels parcours touristiques, le Ratana Kiri en est réputé préservé. C’est le Cambodge rural et sauvage, où l’on peut parcourir des kilomètres de piste sans croiser de village et où des minorités animistes continuent à vivre en quasi autarcie dans la forêt.
Un Cambodge où il n’y a rien à voir de particulier – pas de temple, pas de monument – si ce n’est le quotidien des Cambodgiens dans ce qu’il a de plus simple et de plus brut. Un endroit où se perdre. Une vraie étape de tour du monde.

Passion minibus
Un minibus part chaque midi de la place principale de Stoeng Treng à destination de Banlung, la capitale du Ratana Kiri. Nous sommes les seuls étrangers à bord, ce qui est plutôt bon signe, mais aussi les derniers passagers à y monter, ce qui veut dire qu’on hérite des places que les autres ne voulaient pas – les plus exiguës.
Le chauffeur est souriant et sympa, nos voisins de sièges aussi, tous réjouis de voir des Européens faire un bout de chemin avec eux. La discussion n’en reste pas moins limitée : aucun ne parle anglais et nous n’en sommes qu’à nos débuts en cambodgien – mais, promis, on va vite se rôder !
La route est étonnement bonne, comme si elle venait d’être faite. C’est surtout que personne ne l’emprunte : nous ne croiserons qu’une douzaine de véhicules en 140km parcourus. Cela nous permet de faire des pointes à 120km/h. Nous n’avions pas vécu ça depuis notre départ de France ! Sauf qu’en pleine campagne cambodgienne, dans un minibus dont on a du mal à cerner l’ancienneté et la qualité des freins, ça fout quand même un peu les pétoches.
Recherche appartement ou maison
Grâce à ce chauffeur de rallye, nous arrivons à destination en seulement deux heures. Nous pensions mettre la demi-journée. Et petit plaisir des minibus : ils déposent chaque passager devant “sa” porte plutôt qu’à la gare routière. Ça met un peu plus de temps – surtout que nous passons les derniers – mais ça nous évite de marcher avec les sacs.

Comme nous n’avons pas vraiment de porte “à nous”, nous indiquons l’adresse du premier hôtel qui figure sur notre liste. Nous avions fait un rapide repérage sur la carte avant de prendre la route. Nous espérons qu’il aura une chambre libre à la fois bon marché et confortable.
C’est ainsi que nous débarquons à l’improviste à la Banlung Balcony Guesthouse : une grande demeure bourgeoise posée au bord d’un lac, datant probablement de l’époque coloniale. Elle est complètement restée dans son jus. À voir la façade, on la croirait presque abandonnée. Mais le restaurant et la jolie piscine plantés à côté nous indiquent que c’est ouvert.
En français dans le texte
Contre toute attente, on constate que le propriétaire… est Français ! Il est venu travailler au Cambodge il y a une quinzaine d’années, roulant sa bosse dans le pays jusqu’à se retrouver on ne sait comment dans la cité perdue de Banlung, où il a ouvert cette chambre d’hôtes. Franck nous accueille à la bonne franquette, en imposant de suite le tutoiement. On sent qu’il a un caractère bien trempé : avec lui, ça passe ou ça casse. Et ça nous plaît !
C’est sa compagne cambodgienne qui nous fait visiter les lieux. À l’image de la façade, l’intérieur de la maison n’est pas de première jeunesse. Le rez-de-chaussée abrite des dortoirs assez quelconques, avec des parties communes couvertes de carrelage. On passe notre tour, bien que le tarif du lit soit alléchant : seulement 3$ la nuit !

Au premier étage, changement d’ambiance : on sent l’ancienne maison de “maître” avec ses pièces spacieuses habillées de boiseries, de la hauteur sous plafond et même une gigantesque terrasse. Malgré l’usure, le tout à un certain cachet. Cette fois, on prend ! Il y a trois chambres doubles, toutes libres : nous n’avons qu’à faire notre choix. Nous retenons celle qui nous semble la mieux “conservée”. Et on obtient une ristourne en échange de rester trois nuits consécutives.
En solitaire
En ce début d’après-midi, d’autres routards sont attablés au bar. Ils préparent leur trek du lendemain avec un guide recommandé par Franck. Comme au Laos, le prix du trek est dégressif selon le nombre de participants. Il ne faut pas plus de cinq minutes avant qu’ils nous proposent de nous joindre à eux.
On décline pour cette fois la proposition. Nous avons encore des étoiles plein les yeux en pensant à notre randonnée de trois jours à Luang Namtha : nous préférons rester sur ce formidable souvenir.
Nous découvrirons les environs seuls et à scooter. On prévoit une journée pour aller voir les cascades et une autre pour nous aventurer plus loin dans la cambrousse, si possible à la rencontre des populations animistes. Carte à l’appui, Franck nous fournit des indications.

Intéressés au compliment
Avant la nuit, nous faisons un petit tour de Banlung. La ville n’a que peu d’intérêt : elle consiste en une dizaine d’avenues grignotées par la poussière. Une alternance de vieilles baraques branlantes et d’immeubles ultra-modernes dont on se demande s’ils reflètent un récent “boum” économique ou le besoin pour des investisseurs peu scrupuleux de blanchir leur argent…
On apprécie néanmoins les nombreux stands de street-food où les habitants achètent des plats à emporter. On craque même pour un “roti” : cette délicieuse crêpe frite originaire du Sud de la Thaïlande, qu’on garnit selon ses goûts de banane, de chocolat ou encore de lait concentré. Le cuisto nous semble Tamoul, la musique qu’il diffuse dans un haut-parleur nous conforte dans cette idée, alors on l’interroge. Il vient de Madurai ! Et nous voilà, au fin fond du Cambodge, à discuter avec lui de l’Inde du Sud et à nous remémorer cette ville que nous avons tant apprécié visiter cinq mois plus tôt.
La soirée se termine au bar de notre guesthouse… à boire des bières gratuites. Oui, vous avez bien lu : des bières gratuites ! Car Franck est un bon commercial. Il a accroché au comptoir un panneau qui propose à ses hôtes un jeu “gagnant-gagnant”. Une critique positive sur Tripadvisor ? Vous gagnez une bière. Cinq étoiles sur Google ? Vous gagnez une bière. Un 10/10 sur Booking ? Vous gagnez une bière. De quoi finir ivre de compliments. L’occasion aussi de vous rappeler que les avis publiés sur les réseaux sociaux n’engagent que ceux qui les croient ! 😉

Le surnom de Banlung
Le lendemain, il est enfin temps de visiter les environs. Mais avant de débuter ce road-trip à la découverte des cascades du Ratana Kiri, nous nous devons de partager avec vous une info essentielle qu’il nous manquait au moment de prendre le guidon. Ainsi, si d’aventure vous visitez un jour cette contrée, vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous avait pas prévenu !
Figurez-vous que Banlung est aussi appelée par les Cambodgiens “dey krahorm”… soit en français “terre rouge”. Et si la capitale de la région a pris ce surnom, c’est qu’on va en manger, pendant deux jours, de la terre rouge. Cette terre va tellement nous coller à la peau qu’il nous faudra plus d’une semaine pour retrouver une teinte normale. Elle s’immiscera tellement dans nos yeux, notre nez et notre bouche, qu’on regrettera amèrement de ne pas avoir pris un casque intégral. Quant à nos habits, cinq mois après avoir parcouru le Ratana Kiri, il est temps d’admettre que nos chaussettes blanches ne seront plus jamais blanches.
Ceci étant dit, c’est beau, le Ratana Kiri. La région a un petit air de plateau des Bolovens, avec le bitume en moins et la rusticité en plus. Il n’y a pas de route, uniquement des pistes. Il n’y a pas non plus de “looper” – tant mieux, car ils nous agaçaient. Au mieux, on tombe sur quelques fermiers au travail. Sinon, c’est le grand désert.

Chasse aux cascades
Le coin est si isolé que notre GPS a du mal à s’y retrouver. D’autant que l’Homme apprécie modifier les paysages : de larges pans de forêts ont été transformés ces dernières années en plantations d’hévéas et les chemins se sont multipliés. L’appareil nous localise tantôt là où nous sommes, tantôt dans un lieu improbable. On en revient finalement à utiliser une bonne vieille carte en papier, aussi agréable à tenir entre les mains qu’elle est imprécise. Ça a son charme.
Première halte : la Cha Ong, la cascade la plus facile à trouver. On la rejoint en moins de dix minutes, et encore, on s’est permis un détour par le marché pour prendre notre petit déjeuner. Rien de très impressionnant : à cette saison, c’est un simple ruisseau qui tombe de haut. Il faut dire qu’on a été mal habitué avec les superbes chutes d’eau des environs de Paksé.
La vue lorsqu’on parvient en contrebas de la cascade reste néanmoins très belle. Et à son pied, on découvre un premier autel animiste. Il s’agit d’une statue naïve en bois représentant une femme nue, sur la tête de laquelle on a posé un turban. Devant elle, des bouteilles d’eau et des encens en guise d’offrandes.
Paris-Dakar
Nous poursuivons jusqu’à la Katieng. Cette fois, on gagne en ampleur : une large cascade qui enjambe un promontoire rocheux en arc de cercle d’où pendent des dizaines de lianes. Derrière la chute, une belle cavité qu’on peut rejoindre à pied. Puis nous parvenons à la Kachanh, tout aussi agréable à voir, avec son pont suspendu en bois. Une routarde devant nous finira de l’emprunter à quatre pattes, inquiète du balancement des planches dans le vide. On s’amusera à le traverser en sautillant.

Trois chutes d’eau, ça aurait pu nous suffire. Mais nous sommes gourmands. Alors nous décidons de rejoindre un site plus excentré : la O’Sinlair, dite “cascade à sept étages”. Avec un nom pareil, avouez qu’on a envie de la voir ? Même Franck nous l’a conseillée. Elle est à 22km. On se dit qu’avec un bon 40km/h, on en aura pour trente minutes.
C’était sous-estimer la “dey krahorm”. Très vite, la piste devient particulièrement sablonneuse. Ce n’est d’ailleurs plus du tout une piste : c’est le Paris-Dakar. Notre scooter s’embourbe tous les dix mètres. Et même si notre tour du monde a eu sur nous un formidable effet minceur, l’engin ne parvient plus à supporter nos deux poids. Régulièrement, l’un de nous doit descendre pour permettre à l’autre d’avancer. On perd un temps considérable. Déjà une heure de passée et nous ne sommes qu’à mi-parcours.
La Délivrance ?
L’après-midi étant bien avancée, la fatigue se faisant un peu sentir, on profite de traverser un hameau pour s’arrêter déjeuner. Il n’y a pas vraiment de restaurant, juste des gargotes qui peuvent s’y apparenter. Les deux premières nous indiquent poliment qu’elles n’ont plus rien à servir. On atterrit dans la troisième. Sol en terre rouge – toujours – tables chancelantes, murs couverts d’huile de cuisson, mouches et air poisseux agité par un ventilateur hors d’âge : quand on vous parlait plus haut de la rusticité du Ratana Kiri, on pensait particulièrement à ce lieu.
Quatre hommes sont attablés sur quatre tables différentes. Chaleureux. Ils fixent une télévision à tube cathodique qui semble diffuser le JT – on écrit “semble” car l’image saute tellement à l’écran, qu’on peine à définir avec certitude le programme. Notre entrée les fait sursauter : les quatre têtes se tournent aussitôt vers nous avec de grands yeux écarquillés. On sent qu’ils se demandent ce qu’on fait là… Nous aussi. L’un deux, le patron, se lève et nous installe. Nous lui expliquons qu’on veut manger. Il acquiesce et s’éloigne.

Vous vous en doutez : il n’y a pas de menu. Pas même de choix. Cinq minutes plus tard, il revient avec deux gamelles en plastique, contenant chacune du riz blanc, des légumes vinaigrés et un morceau de poulet. On ingère le tout sous les yeux toujours fixés sur nous des autres clients, dans un silence que seul le grésillement du téléviseur interrompt. Autant vous dire qu’une fois l’assiette finie, on a vite quitté les lieux : on commençait un peu trop à se croire dans Délivrance.
Trompés sur la marchandise
La route sablonneuse se poursuit encore une bonne heure avant que nous arrivions devant la O’Sinlair. Enfin, la cascade à sept étages ! Sauf que… c’est la déception. C’est vrai, il y a bien sept étages, on les a comptés. Mais pas de quoi prendre un ascenseur émotionnel, c’est simplement une succession de petites buttes avec un cour d’eau qui bascule calmement de l’une à l’autre.
Le cadre est joli, même charmant, mais le terme de “cascade” est clairement exagéré. L’intérêt du lieu repose sur ses piscines naturelles propices à la baignade et sur ses abords qui donnent envie de partager un bon pique-nique. Les habitants des environs l’ont bien compris : en cette fin de journée, des enfants s’amusent dans l’eau tandis que leurs parents sont assis sur les rochers. Nous aussi, on aimerait bien faire un plongeon, mais la nuit tombe tôt sous cette latitude et la route du retour promet d’être aussi longue que celle de l’aller. On relance notre moteur.

À la déception succède la déconvenue. Nous constatons que nous avons crevé. Et rappelez-vous : le charme du Ratana Kiri, c’est qu’on peut faire des kilomètres sans croiser un village. Nous roulons un bon moment avec un pneu à plat avant de trouver un garage. Manque de chance : le propriétaire est absent. Sa femme ne sait pas réparer la roue, ni où est stocké le matériel qui nous permettrait de le faire. Elle nous propose aimablement de regonfler le pneu pour qu’il tienne jusqu’au “garage” suivant… Figurez-vous que cela a fonctionné ! Et qu’après toute cette route, on a dormi comme des bébés.
Nord Savane
Nouvelle journée, nouveaux espoirs. Après les cascades au Sud de Banlung, inégales mais agréables, nous décidons de partir à la découverte des villages animistes au Nord. Ils ne sont pas tout à côté : il y a 56 km à parcourir. De bon matin, nos premiers réflexes sont donc de faire le plein d’eau potable et de croiser les doigts pour ne pas trouver une piste aussi mal entretenue que la veille.
Nous voici lancés sur une longue ligne droite désertique. On patine un peu, on doit mettre quelques coups de guidon pour garder l’équilibre, mais le trajet se déroule finalement sans encombre. Fort heureusement, dirons-nous, car sur 30km il n’y a personne. Difficile d’espérer du secours si un problème survient.
Cette partie du Ratana Kiri n’est qu’une gigantesque savane, couverte d’herbes hautes balayées par le vent, où le soleil vous bastonne sans état d’âme. Notre fond de teint rouge prend encore de l’épaisseur. Nous marquons trois fois l’arrêt pour cracher le dépôt qui s’accumule dans notre bouche.

Cimetière caché
Ce n’est qu’au bout de deux heures que nous parvenons à un village : Veun Sai, bâti sur une rive du Tonlé San, un affluent du Mékong à quelques encablures de la frontière laotienne. En plus des Cambodgiens, il abrite d’ailleurs une importante minorité Lao et, plus étonnant, une minorité chinoise.
Il n’y a que deux rues – une Nord/Sud et une Est/Ouest – et à leur jonction trois boutiques : une droguerie, une pompe à essence et une épicerie. L’essentiel. La seule animation est l’aller-retour qu’effectue une barge entre les deux rives, sur laquelle s’entassent les charrettes, les pick-up et les piétons sans aucune limite de poids. La traversée sur cette eau limpide en devient une aventure périlleuse.
Nous poursuivons le long de la rivière, en direction de l’Est, quand nous apercevons au bord de la route des constructions colorées au milieu d’un bosquet. On s’arrête pour mieux les observer. Il y en a de toutes les formes : des maisons miniatures, des barques, des autels. Elles sont faites en bois et en tôle. Cela nous rappelle une lecture sur les tribus animistes. Nous comprenons qu’il s’agit de tombes. Pas question d’avancer davantage : seuls les membres de la tribu peuvent y pénétrer. On se contente de tourner autour du lieu pour les observer à distance.

C’est la cata, la cata, la catastrophe
Si nous avons trouvé un cimetière, il n’y a toujours pas trace de village tribal. Alors nous continuons la route. Nous passons devant une épicerie plantée au milieu de rien, puis par le bourg de Phak Nam qui ne compte qu’une dizaine de maisons. C’est là qu’on fait un mauvais choix : celui de rejoindre la rivière à 1km plus au Nord pour espérer prendre un bac. Un petit kilomètre où notre tour du monde a failli basculer.
À la sortie de Phak Nam, notre piste entame une descente assez raide. On hésite à la prendre, elle est dans un état minable, mais on s’y engage. Lentement, à moins de 20km/h. À cette vitesse, on se dit qu’il ne doit rien pouvoir nous arriver. Quand soudain notre roue avant s’enfonce toute entière dans un trou de sable. Nous basculons en avant. Et la main droite de Pierre, plutôt que de lâcher le guidon, a un terrible réflexe : elle met un brusque coup d’accélérateur.
C’est l’embardée. Nous partons tous les deux en vol plané au dessus du scooter. Nous retombons brutalement sur le sol. Cette fois, le sable rouge du Ratana Kiri, on le dévore à grandes bouchées. Heureusement qu’on a nos casques ! Mais le choc reste violent. On est étourdi. Quand on se relève enfin, nos regards se glacent en voyant la jambe droite de Pierre.
Course contre la montre
Son mollet gonfle à vue d’oeil. Il a dû heurter un rocher. La peau s’étire comme on n’aurait jamais imaginé qu’elle puisse le faire. Un vrai ballon de baudruche. On n’a jamais vu ça. En un instant, il a doublé de volume. Les tissus sont tellement tendus qu’une cicatrice se dessine. Mais pas de sang, pas d’ouverture, la peau résiste dans toute son élasticité.

Moment de panique : on se dit tous les deux que Pierre est sérieusement blessé, qu’il va falloir l’emmener d’urgence à l’hôpital. Mais on est véritablement au bout du monde, davantage qu’on ne l’a jamais été, loin de toute infrastructure et sans réseau téléphonique. Cet accident ne pouvait pas nous arriver dans pire endroit.
On réalise qu’il n’y a qu’une chose à faire : repartir au plus vite à scooter pour rejoindre Banlung, à trois heures d’ici. Matthieu démarre en trombe, remonte l’engin en haut de la côte, Pierre le rejoint à cloche pied et prend la place passager. On gagne Phak Nam, on y cherche de l’aide, mais il n’y a rien. Pas même des habitants. On poursuit sur la route, on avance sans se poser de question, il faut avancer puis on avisera, quand surgit l’épicerie plantée en rase campagne. Cette fois, on s’arrête. On sait quoi demander.
À la hache
Qu’on soit au fin fond du Cambodge, du Laos ou même de la Birmanie, qu’il n’y ait ni eau courante, ni électricité, on trouve néanmoins toujours une chose dans les épiceries : de la glace. Les habitants en ont besoin pour conserver les aliments. Alors ils s’en font livrer des tonnes par camion. Et même dans cette échoppe perdue du Ratana Kiri, on doit pouvoir en trouver.
Le gérant pense qu’on veut lui acheter une bouteille d’eau. Il nous la tend sans qu’on lui ait rien demandé. On lui montre avec agitation la jambe de Pierre. Il nous renvoie un regard incrédule. On tente de lui expliquer qu’on cherche de la glace. On lui dit en anglais, en français et même en cambodgien. Il ne comprend pas.

Matthieu coupe court aux politesses et ouvre de lui-même ce qui ressemble le plus à un congélateur. Bingo. Un énorme bloc de glace, des dizaines de kilos. Tellement qu’il est impossible de le sortir ou de le déplacer. C’est à s’arracher les cheveux : la glace est là mais on ne peut pas l’utiliser. Et soudain, on remarque une hache. Matthieu la saisit comme un fou furieux. La famille cambodgienne a un brusque mouvement de recul. Il frappe de toutes ses forces dans la glace. Une partie se fracasse. Il la ramasse et Pierre la met enfin sur son mollet.
Coco givrée
Dix minutes plus tard, la jambe a retrouvé un volume normal. La cicatrice est toujours là, la peau est couverte de bleus, mais Pierre n’a plus mal. L’adrénaline retombe aussi vite qu’elle est montée. Ne sachant trop comment remercier la famille, on lui achète trois bouteilles d’eau et on fait le plein. Histoire de lui payer quelque chose. Elle ne demandait rien, juste à rendre service.
On rentre ensuite d’une traite à Banlung. Nous mettons moitié moins de temps qu’à l’aller, comme si la gravité du moment nous avait donné des ailes.
“ – Voilà la ville. On va à l’hôpital ?
– Non, ça va beaucoup mieux.
– D’accord, alors on va manger une glace.”
Pierre adore les glaces.
Alors on s’assoie au bord du lac de Banlung pour siroter une noix de coco givrée, riant presque aux éclats du soulagement de ne pas voir notre tour du monde se terminer par un rapatriement, marqués jusque dans notre chair par les sables rouges du Ratana Kiri.
Vous avez eu de la chance ! Essayez d’avoir toujours une petite trousse à pharmacie, plus petite que la trousse elle-même qui est dans votre gros sac à dos. Ca m’a souvent aidé … Je ne connaissais pas du tout la région mais ça a l’air super beau, je vais voir si je peux l’inclure dans un tour du Cambodge.
On a toujours une petite trousse à pharmacie dans le sac (pansements, désinfectant, etc), mais avec cette blessure ça ne servait à rien… Rien de mieux que la glace 😉
Salut les gars.
L’équipe de balcony ratanakiri était ravie de vous accueillir.
J’espère que la jambe de Pierre va mieux.
Je me permets une petite précision : vous êtes venu courant février/mars, à la période la plus sèche. Donc, les cascades et la campagne ne sont pas à leur meilleur.
Je conseille vivement de venir en novembre/décembre ou même pendant la saison verte (juin, juillet, août et septembre) le paysage y est magnifiquement fourni. Et ne croyez pas que la pluie est dérangeante, elle sévit à 80% la nuit.
Au plaisir d’avoir des nouvelles.
Votre hote : Franck au caractère bien trempé 😉
Merci Franck ! La jambe est désormais comme neuve. Pour voir le Ratana Kiri vert, il nous faudra donc revenir 😉
Merci !
Le karma de Pierre était dans un bon jour … 😇