
Après un faux-départ, nous voilà enfin pleinement au Cambodge. Notre première étape, comme souvent atypique, nous plonge dans le quotidien de Stoeng Treng, une grosse bourgade au fin fond du royaume khmer. Elle nous procure également nos première sensations culinaires.
[Récit de nos premiers jours au Cambodge les 30 et 31 janvier 2020]
Nous faisons les cent pas. C’est la premières fois que nous attendons depuis le début de ce tour du monde. Certes, on a déjà patienté avant l’arrivée d’un bus ou d’un train. Mais cette fois-ci, nous n’avons aucune notion du temps que nous passerons à attendre.
Attendre sans savoir si nous aurons la possibilité d’embarquer pour notre prochaine destination et alors que nous sommes dans une zone désertique à la frontière entre deux pays, ce n’est pas le genre de situation que l’on peut vous souhaiter en voyage.
Ça fait néanmoins partie du charme du tour du monde. Alors, nous prenons notre mal en patience. D’autant que nous ne sommes pas seuls. Comme on vous le disait dans l’article précédent, nous venons de franchir la frontière entre le Laos et le Cambodge au niveau de Veun Kham ; autant dire au milieu de nulle part.

Ces étrangers qui nous agacent
Avec nous, uniquement des backpackers. Certains reviennent des boucles de Thakhek et des Bolovens. Ils parlent forts et expliquent avec moult détails leurs expériences incroyables au milieu des « locaux » ; ce terme qui nous déplaît tant.
C’est aussi pour ça qu’on se retrouve vite à l’extérieur du baraquement qui fait office de café et d’agence de voyage. On sent que l’ambiance peut vite devenir agaçante.
Pierre en profite pour aller chercher un café noir à l’autre bout de ce petit hameau post-frontalier uniquement conçu en tôle et dont l’unique but est d’accueillir les voyageurs qui attendent leur véhicule pour repartir.

Premier café noir (et chaud)
Pierre peine à faire comprendre sa volonté de prendre un café chaud (et non pas froid), noir (et non pas au lait), dans un verre (et non pas dans un gobelet en plastique avec une paille). Il est près de midi mais pas question de commander quoi que ce soit dans le petit restaurant qui nous presse à choisir une soupe ou un plat hors de prix (Matthieu vient de se renseigner sur les tarifs du quotidien avant d’acheter une carte SIM).
C’est alors qu’au moment de régler nos deux cafés, nous sommes comme décontenancés : parmi la petite liasse de billets en riels, la commerçante nous glisse un billet d’un dollar. Petit calcul rapide : elle nous a rendu exactement ce qu’il fallait.
Nous comprenons à ce moment-là que 4.000 riels sont automatiquement convertis en billet d’un dollar. On se rend aussi rapidement compte que dès leur plus tendre enfance les Cambodgiens apprennent à faire la conversation entre ces deux monnaies qui ont libre-court même dans les achats les plus modestes du quotidien.
Le dollar n’est donc pas utilisé ici comme une devise touristique mais bien comme un moyen rapide de conversion… Tout en permettant également de faire entrer des devises étrangères stables dans le pays.

Premier paiement en dollar
Bref, moins de deux heures après notre arrivée dans le royaume du Cambodge, nous voilà déjà en possession de deux liasses de billets distincts : à nous maintenant de faire marcher notre tête à chaque achat (et de nous rappeler les effroyables interrogations surprises de calcul mental à l’école).
Notre premier exercice sera l’achat de notre billet de bus. Car oui, ça y est, le patron du resto où les autres touristes viennent de se faire extorquer quelques riels de trop, se transforme en agent de voyage.
On paie pour aller à Stoeng Treng, la grosse bourgade du Nord du Cambodge située à moins de 70 kilomètres de là : une paille ! Pourtant, rien ne se passera comme prévu.

« Descendez ! »
D’abord, nous ne sommes qu’une petite poignée à vouloir nous rendre au bord du Mékong : la plupart des autres voyageurs préfère rejoindre directement Kratie à 200 km de là ou Siem Reap pour visiter les temples d’Angkor à 375 km.
Les voyageurs devant se rendre au plus loin sont rapidement pris en charge. On essaie de se greffer à un groupe qui doit inévitablement passer par Stoeng Treng. Nos sacs sont même déjà balancés dans le coffre du mini-van qui doit nous transporter… Quand notre voyagiste nous fait descendre : « Il y a d’autres passagers prioritaires : il n’y a plus de place. Descendez. »
Un peu interloqués, un simple café dans le ventre et après deux heures d’attente sous la chaleur sèche, nous sommes à deux doigts de nous énerver. Mais on sent l’homme plutôt sincère et puis son manque de vocabulaire en anglais l’empêche d’expliquer la situation. Alors…

Vent de panique
Dans le doute, et sans explication, nous descendons nos sacs et laissons partir le mini-van. Un autre s’approche. Vide. On lui demande s’il passe par notre destination. Il nous confirme que Stoeng Treng est sur sa route mais qu’il dépend d’une autre compagnie de transports, pour laquelle nos billets ne sont pas valables.
Là encore, on ne comprend pas trop, sachant que la plupart de nos compagnons de route ont pris les billets au même revendeur que nous… Revendeur qui a soudainement disparu ! On commence à se demander si notre refus de manger à son resto ne nous vaut pas cet oukase…
On interroge en vain à la serveuse qui n’a rien à voir, et à juste titre, avec le business parallèle de son patron. Elle ne parle pas non plus anglais. Mais au bout d’une heure, à force de voir nos visages se décomposer à la vue des bus partir, nous laissant systématiquement sur le carreau, elle se décide à nous trouver de l’assistance.

En route avec un Japonais
Ainsi, comme le racontait Matthieu dans l’article précédent, nous voilà pris en charge par une autre compagnie. Nous sommes trois dans le mini-van qui nous conduit à Stoeng Treng. Avec nous, un jeune Japonais lui aussi resté sur le carreau : il est rare de rencontrer un routard nippon et sa discrétion ne lui a pas permis de s’imposer dans un autre mini-van.
Nous sommes enfin en route pour notre première étape cambodgienne. On se souvient alors que la compagnie de bus qui nous a transporté des 4.000 îles du Mékong à la frontière devait aussi s’occuper de notre acheminement jusqu’à la ville suivante…
Rapide recherche sur Internet : cette compagnie (dont on a perdu le nom depuis, désolé) se révèle la moins bien notée du Cambodge : la majorité de ses anciens clients déplore le manque de fiabilité voire hurle à l’arnaque. Nous étions tellement habitués à l’honnêteté des habitants de la péninsule indochinoise qu’on a perdu l’habitude de vérifier ce genre d’information… Tant pis : le Cambodge rattrape cette mésaventure.

Un piège ?
On reste néanmoins sur nos gardes. Le patron de la compagnie qui nous prend finalement en charge dit qu’il s’arrangera avec le gars qui nous vendu les billets. Espérons que ce ne soit pas un piège…
Nous roulons à vive allure sur la longue ligne droite qui longe la frontière laotienne. L’ambiance est forcément atypique. Nous sommes dans un no-man’s-land. Une fine bande de forêt sur notre gauche, une immense plaine parsemée de touffes d’herbes rêches à droite.
La route oblique brutalement vers le Sud. Peu de circulation si on fait abstraction des autres mini-vans faisant office de bus intercommunaux et des pick-up, le véhicule national. On déboule dans de rares localités à l’urbanisme proche de celui du Laos.

L’indéboulonnable Hun Sen
Enfin, un pont : immense arche enjambant le Mékong qui coupe la monotonie de cette plaine vierge. Évidemment, comme à l’entrée sur le territoire national, comme à chaque 100 ou 200 mètres sur le bas-côté de la route, nous sommes rapidement informés par un immense panneau que ce pont est l’œuvre du parti unique du Cambodge.
Tout au long de notre séjour dans le royaume, la figure du Premier ministre Hun Sen sera omniprésente, beaucoup plus présente que celle, plus institutionnelle, du roi Norodom Sihamoni. Hun Sen est au pouvoir depuis 1985 et reste la figure emblématique du Parti du peuple cambodgien.
On en reparlera, mais sachez que le PPC est un ancien parti communiste converti presque comme par magie au libéralisme à la chute de l’URSS : il appartient aujourd’hui à l’Internationale démocrate centriste comme Les Républicains en France.

Retour au bord du Mékong
C’est notamment lui qui permit au Cambodge de retrouver une forme de stabilité après l’horrible épisode des Khmers rouges à la fin des années 70. Bref, autant dire que Hun Sen est intouchable (et du même coup indéboulonnable) ; d’autant que le PPC est aujourd’hui implanté dans le moindre hameau du Cambodge d’où le nombre imposant de panneaux à sa gloire.
C’est ainsi accompagnés de propagande que nous pénétrons à Stoeng Treng, la « rivière des roseaux » en langue khmer. Très vite l’atmosphère se fait douce : des tables sont installées sur les rives du Mékong, on y boit des bières entre amis, des familles viennent picorer en profitant de la fraicheur du fleuve qui coule paisiblement en contrebas.
On a d’ailleurs du mal à reconnaître le cours d’eau virulent qui arrosait de ses bras impétueux les 4.000 Îles du Laos. Le Mékong est ici massif et pacifique. Son débit est lent et les éclats dorés du soleil tranchent avec le bleu marine du ruban d’eau.

Indolent et accueillant
Nous commençons à comprendre beaucoup d’un peuple à travers les paysages qui l’ont façonné et qu’il s’est construit. On réalise dès cet instant que le Cambodge sera à l’image du Laos : indolent et accueillant. Nous ne nous trompons pas.
Ainsi, même si le patron qui nous a conduit jusqu’à Stoeng Treng tente de nous faire acheter un circuit touristique, la manière presque maladroite de nous présenter les choses nous a rapidement rassurés.
Par ailleurs, on a trouvé un logement assez facilement. Sur l’unique grande avenue mal goudronnée de la ville frontalière, une imposante façade à l’architecture chinoise nous saute aux yeux. L’intérieur est fait tout en bois avec un grand escalier bien lustré et des sculptures alambiquées sensé impressionner le visiteur (on est peu nombreux à descendre ici).

À peine un lieu de passage
C’est pas vraiment le genre d’établissement qui nous plaît d’habitude. Mais après les petites péripéties du matin, on est content de se poser dans une chambre spacieuse et propre (et pas chère). Alors nous voilà enfin arrivés.
La découverte de la ville est sommaire : comme peu de Laotiens ont les moyens d’arriver jusqu’au Cambodge et comme la plupart des Occidentaux foncent directement vers les temples d’Angkor ou vers Phnom Penh, Stoeng Treng n’est qu’une ville qui se traverse par hasard.
La grande esplanade centrale relie le Mékong au marché. Elle sert également le soir d’immense champ de pique-nique où des stands de street-foods nous offrirons l’une de nos premières sensations culinaires au Cambodge.

À la bonne franquette
Nous ne tarderons pas à boire notre première « Cambodia » sur les rives du Mékong, sur ces terrasses si françaises.
Très français aussi, le marché qui bat son plein autour de la grande halle. Des femmes à même le sol vendent vêtements, pâtisseries, fruits, légumes, viandes et poissons. Les étales sont fournis. Les acheteurs nombreux. Le sourire de rigueur. Les mobylettes omniprésentes. On se dit justement que la viande doit être naturellement fumée tant elle est exposée aux gaz d’échappement des scooters.
On suit un groupe d’homme qui s’installe dans le marché et commande une soupe. Nous faisons de même. Il est midi, il fait chaud, mais rien de tel qu’un bon bouillon pour nous remettre d’aplomb.

La meilleure soupe du séjour
On se rend rapidement compte que les Cambodgiens parlent encore moins bien anglais que les Laotiens. C’est donc en langage gestuel que nous nous faisons comprendre au marchand de soupe : ce sera ainsi la meilleure de tout notre séjour.
Notre sourire et le « Merci » (mot international, n’hésitez pas à l’employer en voyage) rassureront vite le patron du stand visiblement perturbé par notre arrivée impromptue chez lui. En boisson, on se voit offrir un thé froid (appelé « thé chinois »), comme en Birmanie.
À côté de nous, un gamin mange sa soupe avec son père. On dit « mange » sa soupe, car elle est vraiment copieuse et on y cherche en fait péniblement le bouillon : de bons morceaux de poulet, des herbes, des nouilles, des pousses de soja… Le tout assaisonné avec des milliers de saveurs. La texture et le goût conjugués nous rassurent à notre tour : le Cambodge sera aussi une étape gastronomique.
Matthieu le téméraire
C’est ainsi que Matthieu se lance tête baissé, le soir-même, et commande un plat que nous ne retrouverons pas ailleurs dans le royaume. On ignore encore de quoi il s’agit ! Des abats (mais lesquels ?), cuits simplement, trop simplement. Si bien que cet amoureux de morceaux peu ragoûtants délaissera la moitié de son assiette ! Une première.
Finalement, on ne sera pas malade et c’est bien là l’essentiel. On aura dîné sur la fameuse esplanade herbeuse qui ressemble plus à un terrain vague le soir qu’à une véritable place de village. Néanmoins, rassurez-vous, le parti a un grand projet de rénovation !
C’est là que nous prendrons le bus le lendemain matin. Matthieu achète des cigarettes Alain Delon (on pensait la marque disparue ou seulement présente au Japon) et nous nous embarquons vers notre prochaine étape dans un mini-van 100% cambodgien. Direction le Ratana Kiri !
Merci ! :o)