
À peine arrivés à Paksé, nous voilà repartis sur une boucle à scooter. Cette fois, nous nous aventurons sur le mythique plateau des Bolovens : entre caféiers et cascades, nous ne regretterons pas cette nouvelle excursion dans le Sud-Laos. Loin d’être redondante avec Thakhek, elle nous offrira même de nouveaux paysages et des rencontres inattendues.
[Souvenirs de notre seconde boucle au Laos du 25 au 28 janvier 2020]
La longue ligne droite à la sortie de Paksé, poussiéreuse, anarchique, dangereuse. Chaque pas de porte est un débouché possible pour un scooter, un tracteur, un pick-up. On doit avoir les yeux à la fois devant, sur le côté et derrière la tête. Ça roule au sourire, pas au Klaxon. C’est moins fatigant qu’en Inde. Mais tout aussi stressant.
Paksé : la grande ville du Sud
Le soleil dans notre dos, la visière devant les yeux, nous tournons la poignée de notre engin pour doubler les deux-roues les moins rapides. On se baisse, position aérodynamique, pour des pointes à 70 km/h. Le vent est déjà chaud en cette matinée du 26 janvier. Pierre, à l’avant, fonce sur le long boulevard sans fin où les voies ne sont pas totalement définies.

On y croise à la fois des poids-lourds, des charrettes, des voitures. Quelques ronds-points bien français et un marché qui s’annonce à la sortie de l’agglomération. Paksé est la grande ville du Sud-Laos : 78.000 habitants au dernier comptage. Nous y sommes arrivés hier matin de bonne heure.
Le voyage en bus de nuit depuis Thakhek, enchaîné à notre dernière boucle à scooter, s’est passé à merveille. La fatigue a été plus forte que l’appréhension de la route. Nos souvenirs nous rappellent simplement des montées et des descentes à travers la montagne indochinoise. Quelques arrêts minutés pour faire refroidir le moteur et permettre au chauffeur de se sustenter.
Sur la route du sourire
Nous n’étions pas très nombreux dans ce bus. Matthieu a méticuleusement testé tous les fauteuils : il est encore traumatisé par le voyage de la mort dans le bus branlant au Sud de la Birmanie. On a pu s’allonger, nous avions la place pour nous affaler sur deux sièges chacun : le luxe. L’arrivée matinale à Paksé n’a donc pas été trop brutale.

La journée s’est passée en douceur bien que la ville ne propose pas vraiment de beautés architecturales. Elle est en fait à l’image de ces communes laotiennes (exceptée Louang Prabang) : peu d’attractivités patrimoniales mais une douceur de vivre que l’on retrouve à chaque coin de rue. C’est comme cette conduite au sourire : les habitants du Sud comme du Nord ont le visage rayonnant. Peut-être est-ce le Mékong, que nous suivons depuis quelques semaines maintenant, qui draine avec lui cette joie de vivre !
Ce matin, malgré la circulation, nous avons nous aussi le sourire. Hier soir, nous avons fait la connaissance de Nang, la mère de Song. On vous en avait parlé dans notre article sur Vientiane : Nang et son frère Sinouk Sisombat sont revenus au pays et ont ouvert un hôtel, une chaîne de salons de thé et une plantation de café. Autant dire que nous avions beaucoup de questions à lui poser.
Délicieuse rencontre avec Nang
Nang nous a reçus dans l’ancienne maison familiale transformée en hôtel de charme. L’immeuble est l’un des plus grands de la ville. Son dernier étage domine le quartier et le restaurant panoramique permet d’avoir une large vision de Paksé, de la vallée du Mékong et des contreforts des Bolovens.

Imaginez que cette simple rencontre entre trois personnes dans une maison privée aurait été impensable il y a encore 15 ou 20 ans ! Une réunion de plus de deux adultes a longtemps été considérée comme suspecte au yeux du pouvoir. On aurait pu nous arrêter pour complot et atteinte à la sécurité de l’État.
« Aujourd’hui, les choses ont bien changé », se réjouit Nang. Elle se souvient de son enfance au Laos, avant la guerre civile, et de son départ pour la France pour y faire ses études. « Notre père nous a toujours dit : ‘Je ne sais pas ce que je vous laisserai quand je ne serai plus là. Alors, je vous offre des études de qualité pour que vous puissiez vous débrouiller quoi qu’il arrive.’ »
Le retour de la famille Sisombat
Et ce qui est arrivé, c’est le Pathet lao. La famille de Nang s’installe en France, laissant avec angoisse son pays derrière elle, abandonne sa maison. Et puis, dans les années 90, le Gouvernement laotien, suivant l’exemple chinois, décide d’ouvrir son économie et commence à rappeler les forces vives du pays.

« Comme j’étais devenue Française, je devais demander un permis spécial pour pouvoir rendre visite à mon propre père revenu s’installer à Vientiane. » Il a fallu ménager les susceptibilités et composer avec les exigences du parti communiste pour pouvoir entreprendre de nouveau. Aujourd’hui, Nang est fière d’avoir pu revenir dans son pays natal et de faire travailler une douzaine de personnes dans son hôtel. « Néanmoins, je ne suis propriétaire de rien : la double-nationalité n’existe pas et seuls les Laotiens peuvent posséder des biens. »
Cette règle conduit à des situations qui peuvent se révéler périlleuses pour l’intégrité du Laos. Ainsi, le puissant voisin chinois pousse des milliers de ses ressortissants à s’installer dans le pays, à se marier avec des citoyens laotiens et à ainsi créer de véritables petites colonies de peuplement au cœur du Laos.
Le Laos : petit mais costaud
Une installation d’autant plus facile que le Gouvernement laotien accepte cet état de fait contre la construction de barrages, d’infrastructures routières et du grand réseau ferré qui doit traverser le pays jusqu’au Cambodge. Rien n’indique pour autant que les Laotiens pourront, un jour, prendre le train : le réseau sera entièrement contrôlé par la Chine et principalement dédié au transport de marchandises.

Tout cela n’inquiète pas outre mesure Nang qui fait confiance aux Laotiens pour faire valoir leur indépendance comme ils l’ont toujours fait. À travers elle, nous prenons pleinement conscience de la formidable résistance du Laos au cours de l’Histoire. Son adaptation lui a permis de survivre au milieu de puissants voisins : la Thaïlande à l’Ouest, le Vietnam à l’Est, le Cambodge au Sud et, désormais, la Chine au Nord.
Sans accès à la mer, le Laos est un pays qui aurait pu ne pas être viable. C’était, paradoxalement, sans compter sur le protectorat de la France qui lui permit de s’unir pour la première fois et de créer un sentiment national. L’ancienne présence française, avec le recul et les répercussions de la guerre civile, n’est plus vécue aujourd’hui comme une agression.
Un petit goût de France
Et si on voulait trouver là un exemple de cette francophilie, on citerait peut-être cette façon dont Nang a de tenir sa maison. Elle forme ses employés au service à la française, une manière de continuer à faire rayonner notre culture au bout du monde. « Les plats des convives doivent tous arriver en même temps à table : ce qui n’est pas dans les habitudes laotiennes. » On l’avait déjà remarqué 😉

La discussion dure jusqu’au soir. Nang nous offre un croque-monsieur préparé avec des produits qu’elle ramène de France :« Je me suis dit que ce petit goût du pays vous manquerait ! » On termine sur WhatsApp avec son fils, Song, que nous avons le plaisir de distraire pendant sa pause de midi à Paris.
C’est avec ces souvenirs encore présents que nous arrivons à la sortie de l’ancienne capitale du royaume de Champassak. Et que nous crevons ! Fallait bien que ça arrive ! Nous n’en sommes presque pas étonnés… On vous rassure tout de suite : on a réussi à maîtriser notre engin, on n’a pas chuté. Mais on fulmine.
Le croque-monsieur salvateur
Nous venions de louer le scooter juste avant de prendre la route, chez celui qui se présente comme le meilleur professionnel de la région. Il est bien connu des routards (et de Nang) qui le surnomment « le Belge ». Les deux vagabondeurs avaient déjà eu affaire à lui, quelques jours plus tôt, et on s’était amusé de leurs déboires de crevaisons.

Yves (c’est son vrai nom) tient la boutique Miss Noy (du nom de son épouse). Il a pignon sur rue et a presque le monopole du scooter à Paksé. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, d’autant que la boucle des Bolovens est en plein essor. Il a même créé un système digne des tour-opérateurs : il organise chaque soir à 18 heures une réunion avec les futurs « loopers » au cours de laquelle il décrit en long, en large et en travers, la carte du parcours. Il les enjoint également à s’arrêter à telle ou telle plantation, à loger à telle ou telle guesthouse, à éviter tel ou tel arrêt qu’il juge inutile.
Autant dire que cette formation expresse, qui oblige pratiquement chaque voyageur à faire la même chose, ne nous plaît pas du tout. Heureusement, le croque-monsieur de Nang est arrivé à point nommé et nous a donné une bonne excuse pour sécher le briefing.
Bref… Malgré son professionnalisme apparent, les scooters du Belge ne semblent pas si solides que ça. Après ces quelques mètres de route et cette première crevaison, l’expérience se répètera trois fois en trois jours… Alors on change la roue et on s’élance, enfin, sur le plateau des Bolovens.
Éviter les moutons de Panurge
Si nous avions suivi les conseils du Belge, nous nous serions immédiatement arrêtés chez Monsieur Vieng, un vieil homme qui fait visiter sa plantation de café à Houayoun-Tai. Sans surprise, son parking est blindé de scooters estampillés Miss Noy. Nous commençons à véritablement détester ces moutons de Panurge que nous avions déjà rencontrés lors de la boucle de Thakhek… Et on s’interroge : devenons-nous sauvages ? On s’éloigne en nous disant qu’on trouvera bien une autre plantation plus discrète où nous pourrons comprendre le café sans nous mêler au troupeau.

La Route 20 entre Paksé et Tad Lo est justement une longue succession de plantations. Pas seulement de café mais aussi de plants moins touffus et difficiles à définir. Des agriculteurs arrachent les racines et les transportent par bottes dans les remorques de charrettes. Plus nous avançons sur l’immensité du plateau, plus ces plantes prennent de la place et s’imposent sur les caféiers.
Il s’agit en fait de manioc. Une nouvelle culture sur les Bolovens que l’on nous explique plus lucrative que le café bien qu’étant à moindre valeur ajoutée. Le manioc a l’avantage de demander moins de travail et se vend très bien aux Chinois, gros demandeurs (notamment pour le transformer en bio-carburant).
Découverte du café des Bolovens
Sur ce plateau haut de 1.000 mètres, le thé a longtemps été la principale ressource des habitants. L’arrivée des Français, plus friands de café, a changé la nature des cultures. Une révolution agricole assez mal accueillie par les deux peuples qui se partagent la région : les Alak et les Katu. Une vaste rébellion ensanglante le plateau au début du XXe siècle.

Aujourd’hui, le thé a pratiquement disparu, mais la terre reste largement cultivée, faisant vivre des milliers de familles. À la fin de notre parcours, du côté de Paksong, nous nous arrêterons par exemple à la Jhai Coffee House tenue par une coopérative. Elle fait vivre près de 400 familles. C’est donc avec grand plaisir que nous y dégusterons d’excellentes tasses de typica (pour Pierre) et de catimor (pour Matthieu) à 17.000 et 13.000 kips (1,70 et 1,30 euro).
La route est loin d’être monotone. Ces cultures multiples (auxquelles on peut ajouter des vergers de jacquiers) sont segmentées par des bosquets de pins. Cela change des paysages montagneux et caverneux de Thakhek. Ici, l’ambiance est agricole et forestière, les rivières et leurs cascades rythment notre parcours rectiligne et nous transportent jusqu’à notre première étape.
Au sommet de la cascade de Tad Soung
Le soleil commence déjà à raser le bitume lorsque nous arrivons à hauteur de la Tad Soung, la première cascade de notre parcours. Elle domine la plaine de Tad Lo. Sur un plateau, une cascade est toujours spectaculaire : c’est depuis son sommet que nous l’admirons.

Nous délaissons alors notre machine pour nous aventurer sur un réseau de petits cours d’eau qui, en cette saison sèche, s’élancent à pic du haut d’une falaise, formant la cascade de Tad Soung. On imagine assez aisément, à la largeur du lit quasi-asséché, la quantité effroyable d’eau qui peut tomber lorsque les pluies engloutissent la région. Nous nous penchons du haut de cette marche de plusieurs dizaines de mètres et admirons la plaine face à nous, à la fois verte et sèche, parsemée de petits plans d’eau et d’arbres feuillus.
Le jour tombe brusquement. Nous avons encore quelques kilomètres à parcourir avant que la nuit ne nous rattrape. Nous arrivons à Tad Lo et nous posons à la Palamei Guesthouse. Pas vraiment le choix. Oh, nous ne sommes pas trop mal tombés : notre bungalow est même presque trop grand (nous aurions pu venir avec notre « enfant », Auguste, qui aurait été ravi d’avoir un lit pour lui tout seul).
Dans Tad Lo dévasté
En fait, nous arrivons dans une commune dévastée. Le sourire des habitants est un peu moins franc ici : la Tad Ang, qui traverse le bourg, si paisible depuis le haut de la chute qui la précipite vers la plaine, est en fait une rivière qui peut se révéler extrêmement violente. Elle vient d’emporter sur son passage un pont en béton dont nous ne pouvons qu’observer les piliers esseulés au milieu de la rivière. Tad Lo est véritablement coupée en deux, les rives sont dévastées, emportées par le torrent que l’on imagine aisément en furie.

Des guesthouses ont été littéralement emportées ou dévastées par la boue. L’épisode date d’il y a quelques semaines déjà mais le traumatisme est encore palpable. Nous croisons des habitants en train de reconstruire un temple. Toute la communauté du village donne un coup de main. Pas de colère, mais un choc qu’on lit dans les regards.
Et pourtant, là encore, les quelques heures passées parmi eux nous emportent loin de nos petites préoccupations du quotidien et nous font relativiser nos exigences d’Occidentaux. Ce jeune moine qui balaie la poussière devant son temple, ces écoliers qui partagent leur cour de récréation avec un troupeau de vaches, cette truie qui protège son petit en sécurisant sa traversée de la route, cette soupe servie sans qu’aucun mot compréhensible n’ait pu être échangé avec la patronne du resto…
Visite privée de la plantation de café
Nous repartons tôt le lendemain matin. La journée sur la route sera longue. Nous prenons la Route 16 entre Thateng et Paksong en direction du Sinouk Coffee Resort, la plantation de café de Sinouk, l’oncle de Song. Nous sommes accueillis comme des rois. Nang avait prévenu son frère (absent) qui avait fait passer le mot à ses employés. On nous offre un café dans un cadre enchanteur : la maison est décorée avec goût, le jardin aménagé comme une oasis au milieu d’un plateau devenu aride.

« Si vous voulez vous baigner, la piscine est à vous », nous propose Synai. Ce jeune homme de 27 ans est notre guide au milieu des plantations de café. Père de famille de deux enfants, il travaille chez Sinouk depuis deux ans. Nous parcourons ensemble les parcelles. Il nous explique la différence entre le robusta et l’arabica (le premier est plus fort que le second qui est préféré par les Laotiens pour leur fameux café glacé).
Le domaine est immense : il a été acheté et planté par Sinouk dans la seconde moitié des années 90. Aujourd’hui, il permet de fournir les établissements qui portent son nom et même d’être exporté. Les caféiers sont plantés à la saison des pluies, entre juillet et août, tandis que leurs grains sont récoltés d’octobre à décembre.
« Nos voisins sont trop chers pour nous ! »
Synai est passionné par son métier. Il faut dire qu’il n’a pas trop le temps de se plaindre : il travaille six jours par semaine, ne bénéficie d’aucun jour férié et ses congés sont sans solde. Ça se passe comme ça au Laos. Ainsi, Synai est-il impressionné par notre voyage et nous demande : « C’est comment Vientiane ? » Il n’a jamais visité sa propre capitale située à 600 kilomètres de là. Par extension, il n’a jamais quitté le Laos alors que le Cambodge, la Thaïlande et le Vietnam ne sont, à vol d’oiseau, qu’à quelques kilomètres de Paksong : « Nos voisins sont trop chers pour nous ! »

Nous reprenons la route en jetant un dernier regard sur ces arbustes aux larges feuilles qui donneront dans quelques mois un café doux amer. Plusieurs dizaines de kilomètres sont nécessaires pour rejoindre le bled de Beng Phou Kham entre Sékong et Attapeu et bifurquer sur la Route 16 A.
Pierre tient le guidon sur une voie terreuse. La roche pillée est rouge. Au soleil couchant, elle devient sang. Le paysage se transforme en savane. Des buffles broutent les quelques touffes d’herbe verte qui dépassent du gravier et se roulent dans les petits étangs bleus sombres rafraichissant ce monde aride.
Porte close
Notre deux-roues patine parfois sous le regard mi-étonné mi-amusé des gamins qui jouent sur le bas-côté. Quelques villages s’allongent le long de la route, rythmant notre fin d’après-midi jusqu’à Ban Tayicseua. Un hôtel salutaire nous ouvre ses portes… Avant que le propriétaire ne s’excuse platement : « Nous sommes en pleine réouverture… mais pour l’instant nous sommes fermés ! »

Nous voilà repartis sur la piste. Plusieurs kilomètres sur la terre argileuse, à la recherche d’un hypothétique logement pendant que le soleil continue de baisser et le soir de tomber de plus en plus vite.
Un panneau en bois écrit à la main nous indique une guesthouse du nom du village : la Tayicsua. Le bâtiment principal est lui aussi en bois. Fait main aussi. Une grande halle couverte d’un toit en tôle. Des planches sur le sol. Un dortoir et trois ou quatre chambres ajourées. C’est basique. De toute façon, on ne peut pas dire que l’on ait vraiment le choix !
Au bout du monde en slip
La nuit tombe vite. Tout juste le temps de traverser le hall boisé en slip, la serviette sous le bras et la savonnette entre les dents pour rejoindre les douches et on se retrouve dans l’autre bâtiment pour dîner. C’est là que nous rencontrons pour la première fois la tenancière : gracieuse comme une porte de prison. On dira que c’est de la timidité. Mais c’est étrange quand on tient un hôtel aussi isolé où se retrouvent tous les échoués des Bolovens.

Ces voyageurs se ressemblent tous : les hommes portent des buns façon chignon de cheveux blondis par le soleil. Faux-aventuriers que l’on retrouve s’extasiant devant la nature si sauvage, si poétique… Enfin, n’exagérons pas non plus : certes le panorama devant nous est enchanteur — une forêt dense d’où l’on perçoit le son d’une cascade — mais il n’est pas non plus à couper le souffle.
Néanmoins, on ne peut pas reprocher à l’endroit de ne pas être à l’écart de toute civilisation. Notre long trajet pour l’atteindre en témoigne : nous sommes bel et bien dans un univers vierge de toute pollution et de toute intervention de l’Homme contre la nature.
Une guesthouse au-dessus des cascades
Le lendemain matin, pas besoin d’ouvrir les fenêtres : les planches de bois sont assez espacées pour qu’on puisse voir la brume remonter de la jungle. L’atmosphère est gorgée d’humidité chaude. Une douche nous décrasse de la sueur nocturne. Le petit déjeuner se prend sous le regard effacé de la patronne, toujours assise à la même place, qui ne daigne pas nous souhaiter une bonne journée. On mettra ça sur le compte d’un réveil trop matinal.

Au moins, elle ne nous retardera pas : nous avons quelques cascades à découvrir avant de reprendre la route. Leur roulis nous a bercé toute la nuit. Nous descendons à leur rencontre. D’abord la Tad Jarou Halang. Gracieuse chute d’eau qui plonge dans un bassin naturel. La météo ne nous donne pas tellement envie de s’y baigner… Mais il ne manquerait que quelques rayons de soleil pour nous donner le goût à un petit plongeon.
En remontant le chemin boueux, nous tombons sur un cueilleur de café. Tout sourire, il sera la seule personne que nous croiserons au cours de cette balade. On poursuit vers la Tad Tayicseua mais la pluie de la matinée a transformé le chemin en torrent : impossible d’aller plus loin. Nous observons la grande cascade de loin, au niveau de notre guesthouse qui est décidément idéalement placée, dominant ce vallon forestier humide. Chacune de ces chutes alimente les affluents de la Namnoy, la rivière que nous suivons dorénavant jusqu’à la Tad Se Noy.
Le Disneyland des cascades
Le sol rocheux, ocre, prend là des allures d’éponge : spongieux tout en étant solide, il est percé de trous plus ou moins larges, plus ou moins profonds, où vivotent quelques espèces d’amphibiens. À Se Noy, ce sont encore quelques jeunes qui tiennent une petite baraque faisant office de buvette, d’entrée au site naturel et de local pour garder le parking. On n’est même pas sûr que l’on ait payé quelque chose. En tout cas, on se rend compte que le Laos met les moyens (bien que réduits) pour préserver ses sites naturels tout en les rendant praticables aux éventuels visiteurs (pour la plupart laotiens).

Le summum de cette appétence pour les cascades est atteint à la Tad Yuang, située à une soixantaine de kilomètres de Tayicseua. Là, c’est un véritable parc d’attraction à la laotienne qui nous attend. La cascade est très haute, la plus haute que nous ayons vues au cours de notre route sur les Bolovens. Elle a l’avantage d’être assez proche de Paksé et est devenue au fil du temps le lieu de détente des Laotiens. Ils viennent comme aujourd’hui en groupe d’amis ou en famille pour pique-niquer. Le site est parfaitement bien aménagé, toujours dans l’intérêt de la nature, religion bouddhiste oblige.
Un escalier mène à une plateforme en contrebas qui permet d’admirer la chute d’eau. Des Laotiens et quelques Occidentaux téméraires se baignent dans la piscine naturelle. On hésite à les rejoindre. Mais quand on voit qu’ils n’y restent que quelques secondes, on se dit que l’eau ne doit pas être si chaude que ça. Et même si le soleil s’est dévoilé depuis, la douche à l’eau froide du matin est encore trop présente dans notre épiderme pour renouveler l’expérience aussi tôt !
Retour à Paksé
Nous terminons notre tour des cascades des Bolovens par la Tad Champi. Probablement la plus sauvage de toutes. Nous restons presque une heure à l’admirer. Matthieu s’aventure derrière le rideau d’eau. Tandis que d’autres routards nous rejoignent pour bronzer sous les dernières lueurs du jour. Nous sommes désormais à un jet de pierre de Paksé. Mais la nature n’est pas encore corrompue. Des jeunes ont installé un radeau que l’on peut tirer jusqu’au milieu du bassin formé par la cascade. C’est simple et basique. Mais il fallait y penser.

Nous repartons pendant que des ados s’engagent sur le sentier vertical menant au site. Cannettes de café glacé à la main, ils viennent passer la fin d’après-midi au bord de l’eau avant de rejoindre la furie de la ville. Nous les devançons de quelques heures. Retour par la grande route poussiéreuse qui pénètre dans Paksé ; les rayures de la visière reflètent le soleil dru. Nous retournons chez le Belge qui joue l’étonnement quand on lui raconte avoir crevé trois fois en trois jours.
Nous reprenons nos bagages laissés au Phi Dao Hotel, notre premier hébergement. Et nous réservons une chambre dans un établissement moins cher (mais plus sale) : le Vilaysing. L’odeur de la réception nous laisse penser que la salle n’a pas été nettoyée depuis un bon moment. La cage d’escalier, large, donne sur deux immeubles et notre chambre, spacieuse, donne sur la cour et non pas sur la rue : pour une nuit, ça ira très bien. À peine la poussière sur nos chaussures, sur notre short et sur nos cheveux retirée que nous entendons des pétards résonner aux quatre coins de Paksé.
Lunaire Nouvel an
C’est le Nouvel An chinois… pardon, le Nouvel An lunaire (les Laotiens tiennent à le préciser). Ça pétarade partout. Les commerçants installent des autels devant leur pas de porte et s’agenouillent avec des bâtonnets d’encens entre les mains, psalmodiant en silence des prières protectrices. Certains brûlent de faux billets de banque ou cassent des objets : l’année ancienne prend fin à minuit, il faut que l’ancien monde passe, il faut se dépouiller pour entrer vierge de défauts dans la nouvelle année.

À minuit, nous saluons avec des feux d’artifice l’entrée dans l’année du Rat. Le Mékong, à deux pas de notre hôtel, s’illumine de couleurs euphoriques. Chaque quartier de Paksé semble avoir préparé ses festivités sans que rien d’extravagant ne soit véritablement organisé.
Cette simplicité laotienne, même pendant la fête. Sobriété des rites qui prennent fin à minuit et cinq minutes. Les commerçants défont méticuleusement les petits autels, rangent les bouquets d’encens et les fleurs en plastiques, débranchent les guirlandes multicolores qui scintillaient autour des dieux protecteurs et saluent une dernière fois leurs voisins.
Jusqu’au bout de la nuit
Cette nuit, la fête aura duré un peu plus longtemps pour ce jeune couple de Laotiens passablement éméchés qui s’est présenté à 1 heure du matin à la réception pour demander une chambre en urgence. On les a entendus fêter la nouvelle année à leur façon.

Le lendemain, petit-déj’ dans un resto chinois situé en face de l’hôtel où toutes les familles endimanchés venaient célébrer l’année du Rat à coup de thé froid et de plats copieux. Des jeunes tambourinent brusquement pour annoncer l’arriver du dragon venu « bénir » les convives. L’ambiance est extrêmement joyeuse, heureuse.
Nous quittons Paksé et les Bolovens dans la journée. Nous devons terminer notre séjour déjà trop court au Laos par les 4.000 îles. Un nom enchanteur pour célébrer dignement demain l’anniversaire de Matthieu !
Pour aller plus loin
- Sinouk Sisombat présente sa plantation de café dans cette vidéo.
- Nous avions demandé des nouvelles à Nang pendant la période de confinement. Vous pouvez retrouver son témoignage ici.
Beau récit ! On dirait que la boucle de Thakhek était plus intéressante ?
Les paysages et les ambiances diffèrent beaucoup. Les deux boucles sont finalement très complémentaires 😉
Ça donne vraiment envie d’y retourner ! Merci pour le voyage 🙂
Merci Christophe 🙂