
À chaque nouveau pays de notre tour du monde, nous confrontons nos regards. La première impression est-elle la bonne ? Démontrons le contraire ou confirmons la règle. Huitième étape : nos premiers pas au Japon.
[Récit de notre arrivée au Japon le 17 mars 2020]
Entrer dans la bulle ( par Pierre)
Nous sommes bien arrivés au Japon ! C’est déjà la première info. On vous avait laissés à l’aéroport d’Hanoï. L’avion était bien sur le Tarmac mais rien n’indiquait, jusqu’au dernier moment, que le vol serait bien maintenu et, surtout, que nous allions pouvoir atterrir à Osaka. La période que nous vivons est plus qu’incertaine : samedi, les bars ont été fermés en France et nous atterrissons avec notre portable qui vibre de nouveau. Sans surprise, Emmanuel Macron vient d’annoncer un confinement général pour le lendemain midi.
On passe sous des caméras thermiques presque sans s’en rendre compte. L’aéroport est étrangement vide. Seul notre vol est attendu en cette matinée du 17 mars. Premier check-point, première rencontre avec les agents japonais : on nous tamponne une autorisation sanitaire pour entrer sur le territoire. Puis c’est au tour de la police aux frontières : toujours souriant, le préposé nous demande, en s’excusant mille fois, d’ouvrir nos sacs.
On découvre qu’il est interdit d’importer de la drogue (évidemment), des armes à feu (bien sûr) mais aussi des magazines pornographiques au Japon (c’est écrit en toute lettre sur la table qui nous permet de déballer nos affaires). Le policier ne trouve rien d’illégal dans nos bagages, s’excuse de nouveau pour le dérangement, nous replie même quelques vêtements et nous invite à poursuivre notre cheminement à travers les différents points de contrôle.
On en oublierait presque l’ambiance très années 80, à la fois moderne et vintage, qui nous entoure. Des panneaux multicolores partout. Les caractères japonais côtoient les traductions succinctes en lettres latines. De petits personnages, souvent des animaux, aux traits très manga nous enjoignent de suivre les flèches, nous indiquent les toilettes ou nous rappellent que nous devons avoir notre passeport sur nous.
Il y a aussi plus de personnels que de passagers dans l’avion. Nous sommes accompagnés à chaque pas. Nous sommes rassurés à chaque instant. Évidemment, de la moquette au sol pour éviter qu’il n’y ait trop de bruit et prévenir les éventuelles chutes. Nous entrons comme dans une bulle. Notre passeport est tamponné à son tour (notre visa est un petit autocollant tout mignon). Et nous entrons de plein pied au Japon !
Première étape : envoyer un messages à nos proches (qui savent déjà qu’ils devront rester chez eux dans les prochaines heures) puis nous changer (nous sommes quand même passés d’un climat tropical à une fin d’hiver en moins de 4 heures).
Pour la première fois depuis sept mois, je troque mon short et mon t-shirt pour un jeans et un sweat. Relooking express dans les toilettes de l’aéroport et première rencontre avec les fameux WC chauffants où on peut mettre de la musique (des bruits de cascade) afin de masquer les sons indélicats. Une bulle chaude et soyeuse, un accueil prévenant, un sourire éclatant, une hygiène poussée à son paroxysme : ce sont nos premiers pas cotonneux au Japon en pleine tempête sanitaire au-dehors.

Plus rien ne peut nous arriver (par Matthieu)
Nous atterrissons à l’aube à Osaka. L’aéroport est encore assoupi. On ne saurait dire si c’est en raison de l’heure matinale ou de la brutale raréfaction des vols internationaux. En ce 17 mars, peu de personnes ont encore l’esprit à voyager. On les comprend : le monde est de façon inédite en train de se refermer.
Nous passons un contrôle de température et nous présentons devant le guichet de la police aux frontières. Dernier instant d’appréhension avant d’entrer sur le territoire japonais. La vérification de nos passeports est rapide, le policer appose une vignette, la tamponne, nous passons. Nous sommes officiellement autorisés à séjourner trois mois sur l’archipel, bien plus de temps qu’il nous en faut, de quoi faire face à toutes les éventualités.
Nos sacs parviennent sur le tapis roulant, on les saisit et on s’apprête enfin à sortir, quand un autre policer s’interpose : contrôle des bagages. Il nous présente un grand poster sur lequel sont listés les produits prohibés : la drogue, les armes… ou encore les magazines pornographiques. “Êtes-vous en possession de l’un de ces objets ?” “Non.” “Auriez-vous l’amabilité de me laisser le vérifier en ouvrant vos sacs ?” “Oui.”
Le policer, les mains gantées de blanc, fait délicatement glisser la fermeture éclair de mon sac à dos. Il sort un à un mes vêtements, ma trousse de toilette, ausculte minutieusement chaque chose. Il frotte ensuite contre le tissu une spatule qu’il place dans un testeur. Le résultat est négatif : aucune trace de stupéfiant. Il me remercie. Je peux avancer.
Mais tandis que je m’apprête à tout ranger, l’homme m’arrête à nouveau d’un geste directif : il tient à replacer lui-même ce qu’il a dérangé. Et comme s’il avait cartographié d’un seul coup d’oeil le contenu de mon sac, il remet doucement chaque objet exactement à sa place, défroissant même au passage un tee-shirt. Premiers pas au Japon et première expérience de la politesse et de l’élégance japonaises.
Avant de rejoindre le centre-ville, nous rallumons nos téléphones portables. C’est là que nous apprenons le contenu de l’allocution prononcée par Emmanuel Macron pendant que nous étions en vol : la France va à son tour se confiner. Certes, la rumeur circulait depuis plusieurs jours. Nous savions que cette possibilité était sur la table. Nous n’en sommes pas moins choqués que cela devienne une réalité. Et on pense immédiatement à nos familles et à nos proches.
Nous tournons et retournons la nouvelle dans notre tête pendant tout le trajet en train qui nous mène en centre-ville. Quand nous sortons de terre, le contraste n’en est que plus saisissant. La gare donne sur une rue piétonne et elle est déjà bondée à cette heure. Les Japonais sont en train d’aller travailler, prennent leur petit-déjeuner, font du shopping, comme en temps normal.
Ils ont le masque sur le visage, du gel hydroalcoolique est disponible à l’entrée des magasins, mais pour le reste la vie bat son plein. Je réalise soudain à quel point nos trois semaines sur l’archipel seront déconnectées du reste du monde. Le Japon est une bulle. Rien ne semble pouvoir lui arriver. Rien ne semble pouvoir nous arriver. Après dix jours d’une angoisse que je ne voulais pas admettre, cela me rassure instantanément.