
Un mois après le début de notre tour du monde (et donc un mois après notre arrivée en Inde), nous étions excités à l’idée de découvrir le Kerala, région dont le seul nom fait rêver. Mais malgré notre étape bucolique à Munnar, une certaine lassitude nous gagne…
Descente en trombe vers le niveau de la mer. Voyage en bus de plusieurs heures au cœur du Kerala et défilé de paysages plus différents que dans n’importe quelle autre région. Nous adorons ça, prendre le bus en Inde. C’est assurément le moyen de transport le plus authentique. Une aventure à lui seul.
Bollywood dans les vallons
Nous aimons l’ambiance survoltée quand le chauffeur balance les derniers tubes bollywoodiens dans le car. On vibre quand il se met à doubler tout ce qui bouge sur une route souvent en mauvais état. On sursaute à chaque coup de klaxon tonitruant, aussi sonore qu’une corne de brume.
Matthieu tente de lire les dernières pages du bien choisi « Cette nuit la liberté » de Lapierre et Collins (passionnant récit de l’Indépendance de l’Inde). Mais il y a toujours une vache, une charrette, un rickshaw ou tout simplement un nid de poule qui fait balancer le bus d’un côté ou de l’autre et le bouquin atterrit bien souvent aux pieds de son voisin .

Pierre, lui, s’endort assez vite, étonnement bercé par des soubresauts à réveiller un Indien qui dort. Tout juste le temps pour lui de jeter un dernier regard sur les plantations de thé. Cinquante nuances de vert entre deux gares routières boueuses.
La pluie s’abat par intermittence sur notre route. Pas de vitre aux fenêtres. Nous devons tous fermer nos volets en plastique. Nous nous trouvons alors dans le noir complet tandis que le bus continue à dévaler les 1 600 mètres de dénivelé des Ghats occidentaux.
Beignets et nuages de poussière
Nous arrivons au pied du massif. Une gare de terre ocre. Une ville probablement importante, vu le nombre d’enseignes criardes qui bordent la rue. Une ville du Kerala entre montagne et mer.
Comme ailleurs en Inde, on adore s’arrêter dans ces lieux grouillants au milieu de nulle part : les bus arrivent en trombe, repartent dans un nuage de poussière (quand le temps est sec) ou en éclaboussant les passagers qui courent pour avoir la chance de trouver une place assise. Ça klaxonne encore.
Matthieu parcourt les différents étales qui proposent, à même le quai, de la nourriture pour les voyageurs. Il déniche des courgettes frites et des samosas aux légumes. Le tout bien ficelé dans du papier journal. On déguste ce déjeuner de street-food avec une bonne bouteille d’eau « minérale » à 20 roupies – le tarif universel en Inde.
Le bus repart et pousse encore son squelette désarticulé sur quelques kilomètres, vibrant et vrombissant de son métal. Et nous voici enfin au bord de la mer d’Arabie.

Cette authenticité de la nature travaillée et des voyages collectifs nous redonne du baume au cœur. Car un mois de tour du monde, ce ne sont pas des vacances. On visite, on découvre, mais on veille aussi scrupuleusement à nos dépenses – il faut tenir un an ! – et on tente de trouver un nouveau rythme de vie adapté à ce voyage au long cours.
Ce n’est pas simple, cela fatigue. Au point qu’une lassitude commençait à apparaître à Munnar. Et ce coup de mou s’accentue dès notre arrivée à Alleppey.
Quand y’en a marre, y’a Malabar
Appelée Alappuzha depuis presque 30 ans, elle est notre deuxième étape au Kerala et notre porte d’entrée sur la côte de Malabar. Et comme disait la pub : « Quand y’en a marre, y’a Malabar ! » Le slogan tombe à point.
D’abord, Alleppey n’est pas une cité balnéaire comme peut l’être Pondichéry. Ici, la plage n’est qu’un prétexte. La mer est agitée, polluée et donc jamais mise en valeur. Le sable est jonché de détritus. Des sauveteurs bedonnants – les David Hasselhoff locaux – sifflent dès que quelqu’un plonge son orteil dans l’eau…
Cela n’empêche pas, à chaque coucher de soleil, un curieux manège où des centaines de personnes viennent prendre une bouffée d’air marin avant de rentrer se coucher. Femmes et hommes s’arrêtent sur la plage. Restent debout. Discutent en famille. Tous parfaitement couverts malgré les températures tropicales (shorts et t-shirts sont rares).

Mi-fête, mi-poulet
Le soir de notre arrivée, des garçons dansent frénétiquement. Nous sommes au premier jour d’Onam. Il s’agit d’une fête annuelle du Kerala où l’on célèbre le retour du roi légendaire Mahabali qui vient apporter bonheur et prospérité à ses concitoyens.
Face à cette animation, on se regarde et on se dit : « Chouette ! Une nouvelle fête populaire ! » On a encore le souvenir de Khajuraho en tête. Malheureusement, de fête il n’y aura pas vraiment. Au contraire : le vendredi qui devait être le point d’orgue des célébrations est retombé comme un soufflet.
La veille, les hommes ont trop bu au (quasi) unique bar d’Alleppey. Il y aurait même eu des frictions entre eux (bon, en fait, c’est vrai, on peut l’avouer : il y a eu un début de bagarre, mais les poings ont été retenus, on y était). Et le bar est donc resté fermé tout le week-end. A l’image du reste de la ville où partout, pourtant, on nous souhaitait un « Happy Onam » comme on souhaiterait un « Joyeux Noël ».
Déception de ne pas participer à une fête collective à laquelle s’ajoute pour Matthieu le pire dîner en Inde : alléchés par l’odeur du poulet, nous nous rendons dans l’une des cantines les plus populaires de la ville. De poulet, Matthieu n’a vu ni l’aile ni la cuisse ! Seuls deux petits morceaux informes dans son assiette.
La soirée se termine autour d’une bouteille d’eau dans notre guesthouse.

Les backwaters, paradis éphémère
Le véritable atout d’Alleppey se niche dans les terres. Il s’agit des backwaters, de vastes étendues d’eau qui alimentent des rizières et se parcourent en bateau. La ville s’étend vers eux de part et d’autres de canaux, ce qui lui donne son surnom – usurpé d’après nous – de « Venise de l’Orient ».
Réveil à 7h : nous partons à deux découvrir ces backwaters. Nous arrivons en bateau-bus dans un village posé sur un bras de terre. Littéralement, il n’y a la largeur que pour une bicoque entre deux étangs. Nous y rencontrons Saigu, un quinqua aux cheveux blancs originaire du coin, souriant, prévenant et anglophone. Il sera notre guide pour la journée.
Nous montons à bord de son embarcation qu’il vient de récupérer chez ses parents : une petite barque à rame avec un auvent (très important quand le soleil tape) et deux matelas en mousse pour notre dos et nos fesses.
C’est sur ce mode transport on ne peut plus écolo que nous découvrons un monde en suspens. Pendant près de 4 heures, on savoure toute la fragilité de ce bleu, de ce vert. De l’eau, des canaux, des étangs, des lacs, des rizières et des maisons souvent construites sous le niveau de la mer.

Quel dérèglement climatique ?
Sensation d’être les derniers privilégiés à pouvoir contempler ce paradis éphémère. Car au même moment, dans nos têtes, tournent en boucle ces nombreux reportages sur la montée des eaux.
Quand on demande à Saigu si le dérèglement climatique n’augmente pas les risques d’inondation, il semble éluder la question : « On a toujours vécu avec les inondations. Les maisons sont systématiquement submergées, et même parfois détruites, par la mousson. Alors une fois par an, pendant quelques semaines, on va vivre en ville. »
Pourtant, chaque baraque est ici protégée par un mur de terre rehaussé de sacs de sable. Certains posés récemment. Il nous semble que si l’endroit était si hostile, personne ne s’y serait installé il y a plusieurs siècles…

Double-moisson et détritus sur la plage
Le réchauffement climatique ne semble donc pas inquiéter ceux qui vivent du tourisme comme dans les backwaters du Kerala. Des gargotes poussent au bord de l’eau aussi vite que le riz en contrebas. D’ailleurs Saigu se réjouit : « Depuis quelques années, on fait deux récoltes par an ! »
Comment expliquer à ces agriculteurs que ce dérèglement est destructeur quand il peuvent engranger deux fois plus de riz qu’auparavant ?
Nous passons plusieurs fois devant des villageois qui vivent des backwaters. Les femmes n’hésitent pas à savonner leur vaisselle dans le canal devant leur maison pendant que leur mari pêche au filet juste à côté. De jeunes filles toujours souriantes font leur lessive tandis que leurs petits enfants s’ébrouent dans l’eau. « Avant on cuisinait et on buvait directement l’eau des backwaters », nous confie Saigu. Une première prise de conscience ?

Le respect de la nature n’est pas le fort d’une bonne partie de l’Inde où les ordures s’entassent malgré les campagnes d’information du Gouvernement. Mais c’est encore plus flagrant dans le Kerala qui est censé être LA région verte et touristique de l’Inde. Comment s’étonner dans ce contexte qu’une autoroute sur pilotis vienne d’être construite juste au dessus de la plage ?
Vous nous direz : « C’est votre regard d’Occidentaux. On n’a pas de leçon à donner à un pays démocratique qui compte près d’un millard et demi d’habitants et qui se développe très vite. » C’est vrai. Mais notre regard d’Occidentaux ne peut s’empêcher d’être ému lorsqu’une famille entière, parents compris, vient jeter ses détritus sur le sable de la plage de Fort Cochin pourtant cernée de poubelles…
Nous encaissons notre premier coup de mou.

Kochi, c’est fini
Fort Cochin (ou Kochi) avec son ancien quartier juif et ses maisons coloniales hollandaises aurait eu justement tout pour nous permettre un moment de repos. Mais cette station touristique du Kerala a perdu de son charme dès notre arrivée.
Voyage en bus inintéressant au milieu d’une zone archi-urbanisée. Entrée dans un embarcadère. Il faut prendre un ferry. On fait la queue depuis vingt minutes quand on arrive devant le guichet, mais le préposé le ferme soudain sous notre nez. Nous demandons aux Indiens autour de nous. « Ben c’est normal : c’est sa pause ! Il reprendra dans quinze minutes. » Nous étions, sans mentir, plus de cent à attendre notre billet pour le ferry, dans une chaleur étouffante.
Nous débarquons enfin à Kochi. Nos sacs de 13 kilos sur les épaules. Poisseux. Fatigués. Quand surgissent dix chauffeurs de rickshaws qui proposent de nous conduire à notre auberge. Nous venions d’échapper à un tuk-tuk malhonnête. Nous décidons unilatéralement de boycotter la profession, le temps de reprendre nos esprits.

Et des sollicitations, on en a à chaque coin de rue de Fort Cochin. Tous les dix mètres un « Hello my friends ! Venez visiter ma boutique, c’est pas cher ! » Jusqu’aux vendeurs de poissons qui tentent de nous faire payer un prix de Français « parce que chez vous c’est plus cher qu’ici » (drôle de sens du commerce)… Nous ne sommes plus dans l’authentique. Le spontané.
L’Inde qui agace… avec le sourire 🙂
Après un mois en Inde, à vivre au plus près des Indiens, nous n’avions jamais eu cette désagréable impression d’être pris pour des pigeons… pardon, pour des touristes. À leur décharge, la saison n’a pas encore commencé dans le Kerala. Il est logique de mettre le grappin sur les quelques Occidentaux qui se baladent dans la région. Et puis, ça ne se voit pas (encore) sur notre visage que nous connaissons parfaitement le prix des choses en Inde.
Mais au moment où on commence à se sentir à l’aise dans ce pays, alors que le Sud nous a marqué par ses traditions et le Nord par sa frénésie, l’ambiance d’Alleppey et de Kochi pèse sur notre moral. Il est peut-être temps pour nous de faire une petite pause, afin de digérer tout ce que nous avons déjà vécu ici.

Alors, on garde le sourire – il en va de l’image de la France – et on regarde comment alléger un peu la suite de notre parcours après le Kerala. Quand y’en a marre, y’a Malabar. Mais un chai et ça repart ! Bref, on aime être agacé par l’Inde.
Nos coups de coeur
Vivre. Une surprise dans notre visite des backwaters : le sanctuaire de Mannanam. Perdu au milieu des canaux, il abrite la sépulture de Saint Kuriakose Chavara Elias, premier prêtre indien canonisé. Sa maison est toujours visible à l’intérieur-même de l’église.
Chavara Bhavan Shrine, Mannanam
Visiter. La vieille synagogue de Fort Cochin, toujours en activité, est le vestige d’une communauté autrefois puissante et prospère, dont il ne reste plus aujourd’hui ici qu’une poignée de pratiquants. Émouvant de simplicité.
Paradesi Synagogue, Synagogue Lane, Jew Town, Fort Kochi
Déjeuner. Et si vous dégustez un bon kanji ? Il s’agit d’une soupe de riz qu’on accompagne de lentilles, de pommes de terre, d’épices ou encore de piment. On mélange et on déguste. Délicieux, authentique et pas cher 😉
KL 04 Saitinte Chayakada, Opp of the mosquee, New Bazar Rd, Alleppey

Découvrir. Le kathakali est la danse traditionnelle du Kerala. Incroyable jeu de mimiques ultra-élaborées – il faut 10 ans au danseur pour toutes les maîtriser -, maquillage coloré à l’extrême et costumes excentriques.
Kerala Kathakali Centre, KB Jacob Rd, Fort Kochi
Dîner. On se déchausse avant de se poser confortablement sur le rooftop pour déguster une soupe de momos, de délicieux raviolis tibétains fourrés aux légumes, au poulet ou au bœuf.
Tibetan Chef’s Restaurant, Near Kerala Kathakali Centre, KB Jacob Rd, Fort Kochi
Coucou les voyageurs du bout du monde. Je vous suis sur insta et je viens juste de vous mettre dans mes favoris sur ma tablette. Je commence juste à vous découvrir de plus prêt dans vos vies, vos réactions etc … C est passionnant.
Vous êtes adorables, simples, remplis d’humilité et des caractères attirants. Votre empathie est appréciable ….vous êtes top. Je vous laisse souvent des commentaires d’humour sur insta 😉😂(hieronoma).
Quand j’aurai lu vos premières pages je vous ferai un retour ça s est promis.
Take Care Guys and enjoy. Life is too short.
😘👍😉
Merci Jérôme de nous suivre et de nous avoir adressé ce commentaire très sympa ! À bientôt sur ce blog et sur Insta 😉
Un petit Coucou de l’Ardèche rempli de bonne humeur, de force, et pour rebondir sur le Malabar un mars et ça repart…. Bisous de nous quatre
PIERRE ET MATHIEU Goa votre prochaine destination pour souffler un peu merci pour vos partages
a bientôt les garcons bisous
Bonjour les Garçons !
Un coup de mou, C normal !! un peu de fatigue et la moindre déception prend plus d’importance qu’elle n’en a… mais C pareil à Paris 😉
En tout cas, MERCI pour vos récits et pour ces MAGNIFIQUES photos !!!
Celle de la course en barque est SPLENDIDE !
Olivier +
Coucou les garçons, ce premier mois en Inde a été intense en sensations et dépaysement. Quel rythme soutenu! Que de rencontres étonnantes, de paysages époustouflants (et de magnifiques photos). Ce petit coup de mou paraît bien normal après vos aventures . Merci de nous faire partager ces moments incroyables au travers de vos récits si vivants. C’est un vrai plaisir de vous lire. Je vous embrasse. Dominique
Coucou marraine ! Merci beaucoup de nous suivre ! C’est super gentil. Et merci pour ton commentaire. Avant de partir, on nous disait que l’on commençait par le plus dur avec l’Inde… Et paradoxalement c’est aussi ça qui nous motive ! Mais c’est vrai qu’après un mois dans un pays où chaque région, chaque ville, est un monde à part, ça reste un rythme intense. Mais c’est hyper enrichissant ! Depuis Alleppey et Cochin, on a revu notre parcours pour remonter plus vite vers Goa et souffler un peu, le temps de digérer toutes ces rencontres, ces paysages, ces trajets en bus, ces coutumes, ces couleurs, ces épices,… Et nous revoilà les batteries pleinement rechargées 🙂 À très vite et bises à toute la famille !
Pierre & Matthieu
Le Kerala, un magnifique voyage avec mon amoureuse qui depuis m’a quitté. Reste le souvenir. Superbes photos. Enjoy. Essayez de faire un saut en Afrique, à Dakar chez moi, juste avant de rentrer à Paris.
Merci pour vos partages sincères et authentiques, comme si nous étions avec vous. Profitez des plages de Goa !
Merci Jean-Marc! 🙂
Courage les garçons. Les coups de mou sont le signe précurseur de bons moments à venir. Bises😘
😘
comme si j’y étais.
Hello Boys!
Au bout d’un mois il est normal d’avoir un petit coup de mou.
J’ai toujours cette sensation de vous suivre dans cette merveilleuse aventure grâce à vos écrits si détaillés et avec ce ton humouristique qui vous caractérise.
Vous êtes pas très loin de Goa!?
Peut être la prochaine destination pour souffler, se détendre recharger les batteries en bord de plage !?
Merci pour vos récits.
Bien à vous.
Fred
Merci Fred! Goa est effectivement la prochaine étape. L’occasion de souffler quelques jours les pieds dans l’eau. On en parlera très bientôt ici 😉