
Changement de parcours, masque, gel hydroalcoolique et autorisations sanitaires… Si le coronavirus n’a pas encore totalement chamboulé notre tour du monde, il impose néanmoins de plus en plus de contraintes au quotidien.
« Be careful ! » (Faites attention) C’est par ces mots que la patronne de notre hébergement à Hoi An vient de nous souhaiter un bon voyage vers le Nord du Vietnam. Elle joint à la recommandation un petit cadeau de départ : deux masques hygiéniques en tissu… Alors que l’épidémie de coronavirus vient de passer officiellement au stade de pandémie, notre voyage en Asie du Sud-Est commence sérieusement à se tendre.
Au Laos (janvier) : RAS
La première fois que nous avons « rencontré » le Covid-19, c’était à la frontière entre le Laos et le Cambodge, le 30 janvier. Jusque là, la maladie ne semblait cantonnée (sans jeu de mots) qu’à la Chine. Les autorités laotiennes, soucieuses de garantir de bons rapports avec ses puissants voisins, ne souhaitaient pas communiquer ouvertement sur les risques de contagion. Plus prosaïquement, le service de santé du Laos étant assez primaire (c’est un euphémisme), il était inutile d’engorger les hôpitaux et autres dispensaires. Ainsi, il n’y a à ce jour toujours aucun cas de coronavirus dans le pays.
Il a fallu attendre notre entrée au Cambodge pour se rendre compte que quelque chose était en train de se passer. Arrivés devant la guérite d’un policier aux frontières, un bras nous tend deux masques chirurgicaux du bout des doigts. Sans sortir de son poste de garde, le policier, lui-même masqué, nous intime l’ordre de nous couvrir le visage pour procéder aux contrôles d’identité. C’est la première fois de notre vie que nous portions ce genre de masque en papier.

Dix mètres plus loin, un autre fonctionnaire nous arrête, reste dans sa cahute et nous demande d’approcher. Muni d’un thermomètre frontal (et contre une contribution obligatoire de 1 dollar), il vérifie que nous n’avons pas de fièvre. C’est bon. On arrive alors au tamponnage de passeport : on retire 5 secondes notre masque pour que la police cambodgienne puisse comparer notre visage avant de nous recouvrir rapidement le nez et la bouche. On nous donne alors un petit papier jaune qui nous recommande d’appeler au plus vite les secours si au cours de notre voyage nous présentions des symptômes de maladie quelconque. Nous passons la frontière et pouvons aussitôt retirer notre masque.
Au Cambodge (début février) : les Chinois ont disparu
Dans le reste du pays, le Covid-19 est surtout un sujet de journal télévisé. On découvre ainsi pour la première fois les images des habitants de Wuhan confinés dans leur ville. Les chaînes de télé et la presse écrite ouvrent systématiquement leurs éditions sur l’épidémie. Nous sommes début février. Nous sommes en pleine campagne cambodgienne. Autant dire que cette épidémie est lointaine, presque irréelle : les Cambodgiens semblent eux-mêmes y prêter assez peu d’attention.
Mais tout va s’accélérer et de manière spectaculaire. D’abord, rappelons que le Cambodge, comme le Laos, est très interdépendant des investissements chinois. Partout dans le pays, surtout dans les zones rurales, nous voyons des chantiers estampillés made in China avec fort renfort de panneaux publicitaires vantant la puissance du voisin impérialiste. Partout au Laos et au Cambodge nous croisions des camions immatriculés dans les provinces de l’Empire du Milieu. Des camions qui roulent sur des routes elles-mêmes made in China. Mais du jour au lendemain, en descendant vers le Mékong, nous nous sommes retrouvés seuls.

Les chantiers sont à l’arrêt. Les cabanes de travailleurs chinois sont vides. Il est évident que la Chine vient de rappeler ses ressortissants et que tous les travaux sont désormais suspendus. Pas de quoi paniquer pour autant la population cambodgienne. Si on voit pas mal de gens porter un masque, c’est qu’il est courant dans cette partie du monde de se protéger le nez et la bouche au moindre rhume ou ne serait-ce que pour éviter les désagréments de la pollution en ville.
Au Cambodge (mi-février) : Angkor est vide
Le vrai choc, ce fut finalement à Angkor. Les temples mythiques du Nord du Cambodge sont depuis longtemps une destination touristique. Ils accueillent chaque année plusieurs millions de visiteurs. Notamment des groupes. Et surtout des Chinois et des Coréens. Avant même de partir en tour du monde, nous nous étions préparés à l’idée qu’Angkor serait probablement l’une des expériences les plus étouffantes.
Eh bien nous sommes arrivés dans une cité en ruine totalement déserte. Quelques voyageurs en sac à dos comme nous, quelques comités d’entreprise de Français et pas mal de Cambodgiens venus visiter leur patrimoine. Le site est certes grand, mais aucun car n’est garé à proximité : la masse des touristes a fuit le Cambodge. Nous pouvons prendre des photos seuls dans des sites habituellement bondés. L’ambiance est particulière. Presque surréaliste. Imaginez les Champs-Elysées ou le Mont Saint-Michel vides. Angkor, en cette mi-février, souffre de l’interdiction des voyages organisés depuis la Chine et la Corée du Sud.

Heureusement pour l’économie locale, les touristes européens, australiens et américains répondent toujours présents. L’épidémie n’est pour eux qu’une information exotique. Le Cambodge, ce n’est pas vraiment la Chine : il n’y a même pas de frontière commune. Aucune raison, à ce moment-là, d’annuler son voyage. Mais on perçoit néanmoins une fébrilité de la part des hôteliers et commerçants de Siem Reap, la ville qui touche Angkor. Nous sommes en haute saison et de nombreux restaurants restent désespérément vides. Les hébergements ne sont pas pleins. Le coronavirus fait ses premières victimes économiques.
Au Cambodge (fin février) : le Premier ministre et le bateau contaminé
Nous sommes fin février. La France vient de passer la barre des 100 contaminations. Nous sommes de notre côté à l’arrêt forcé à Kampot, ville côtière du Sud Cambodge, dans l’attente de notre visa pour le Vietnam. Intuition ou coup de chance : nous devions dans un premier temps nous attarder sur les îles au large de Sihanoukville. Mais au dernier moment, dans le bus qui devait nous conduire d’Angkor au Sud du pays, on décide de changer d’itinéraire et de partir directement à la frontière vietnamienne.
Grand bien nous en a pris : on posait à peine nos bagages à Kampot que nous apprenions qu’un bateau de croisière venait de débarquer à Sihanoukville avec à son bord au moins un passager testé positif au coronavirus. Ironie de l’histoire : le Premier ministre cambodgien, sans connaître l’info et afin de montrer son zèle vis-à-vis de la Chine, était venu en personne accueillir ces touristes essentiels à l’économie du pays. Malgré ses nombreuses poignées de main et bises, le dirigeant cambodgien n’a miraculeusement pas contracté la maladie.

Il n’en reste pas moins que cette histoire fut largement commentée dans la région. Pas un jour à la terrasse d’un café que nous ne passions sans entendre parler du « bateau de croisière infesté de coronavirus » : Mais où sont passés les passagers ? On sait où ils allaient ? D’où venaient-ils ? Et le Premier ministre, on ne l’a plus revu, c’est bizarre, non ? Bref, les rumeurs et les inquiétudes allaient bon train. C’est la première fois de notre voyage que le coronavirus devenait un vrai sujet de discussion. Le Cambodge n’a à ce jour recensé que 3 malades sur son territoire.
Au Vietnam (début mars) : mesures renforcées
Il est temps de passer la frontière vietnamienne. Cette fois, pas de masque mais une fiche sanitaire : nous devons certifier sur l’honneur que nous ne présentons aucun symptôme viral (pas de fièvre, pas de nausée). Nous conservons un coupon confirmant nos déclarations. Là encore, un fonctionnaire de police nous prend la température. Nous ne présentons pas de danger : nous pouvons passer. Nous recevons alors un texto automatique du ministère vietnamien de la Santé nous recommandant de nous signaler via une appli si nous présentons des symptômes.
Quelques jours après notre passage, les contrôles se sont encore plus renforcés : en plus du formulaire que nous avons signés, chaque voyageur doit indiquer son itinéraire des 14 derniers jours. L’exemption de visa pour les Français (valable 2 semaines) est suspendue à partir d’aujourd’hui (12 mars). Les ressortissants Chinois ou ayant séjourné en Chine ces 14 derniers jours sont interdits de territoire. Des contrôles épidémiques sont désormais systématiques pour les ressortissants des autres foyers (Corée du Sud, Italie et Iran). Nous passons entre les gouttes mais nous gardons désormais un œil rivé sur les recommandations du ministère des Affaires étrangères, des conseils des voyageurs avec qui on est en contact et des informations des différents médias.

Le Vietnam est le pays de la péninsule indochinoise qui semble le mieux communiquer sur l’épidémie de coronavirus. Dès notre arrivée à Can Tho, grosse ville de plus d’un million d’habitants dans le delta du Mékong, juste au Sud d’Ho-Chi-Minh-Ville, des panneaux d’information expliquaient les mesures à prendre au quotidien : port du masque évidemment dès les premiers symptômes, se laver les mains fréquemment, éviter les contacts physiques. Des réflexes que peinent à mettre en pratique nos compatriotes, même en ce moment, en France. Des boutiques sont même fermées pour cause de coronavirus (et c’est affiché sur leur devanture). Nous trouvons par ailleurs des litres de gel hydroalcoolique en promotion dans les supermarchés. Des mesures qui, paradoxalement, nous rassurent. Le Vietnam recense désormais 38 cas et 16 guérisons.
Au Vietnam (cette nuit) : le resto qui refuse de nous servir
Nous remontons le pays. Ho-Chi-Minh-Ville, Hoi An, Hué,… Des villes touristiques habituellement blindées de groupes asiatiques, sont aujourd’hui désertées. Seuls persistent les backpackers occidentaux, des familles en tour du monde, des retraités en voyage organisés. Le Sud est accueillant et chaleureux, nous y reviendrons dans un prochain article. Nous n’avons pas senti de pression vis-à-vis des étrangers et du coronavirus. On nous donne désormais des masques en plus de la traditionnelle petite bouteille d’eau pour les longs trajets en bus. On nous demande également d’inscrire nos nom, prénom et numéro de téléphone sur un formulaire ; ceci afin d’enregistrer et, le cas échéant, prévenir les passagers si un cas se signalait à l’issue du trajet. Des mesures qui visent indifféremment les Vietnamiens et les Occidentaux.
Néanmoins, nous sentons que les choses changent rapidement. Nous éprouvons cette drôle de sensation d’être dans des villes autrefois grouillantes et aujourd’hui à l’arrêt. Des boutiques, des restaurants, des bars sont fermés. Une jeune routarde rencontrée ce matin nous racontait même qu’elle a vu en 24h des quartiers entiers de Hué fermer leurs portes, faute de clientèle. C’est vrai que combinée à la météo grisâtre, l’ambiance se fait petit-à-petit plus lourde. Jusqu’à notre expérience de la nuit.

Nous sommes arrivés ce matin à Ninh Binh via un bus depuis Hué. Lors de notre pause dîner, vers 23h30, alors que allions nous attabler aux côtés du chauffeur, comme à notre habitude, la patronne du restaurant de bord de route nous fait un geste brutal pour que nous partions. Les clients nous miment le port du masque. Nous le mettons. Mais nous devons encore négocier quelques minutes pour être servis et ce uniquement si nous restons sur la table à l’extérieur de l’établissement. Les autres passagers du bus, bien que Vietnamiens, n’ont pas eu cette chance. Chassés d’un geste de la main, ils sont repartis le ventre vide. Les toilettes du restaurant nous sont également restées interdites.
Le coronavirus stoppera-t-il notre tour du monde ?
Et puis donc ce matin, nous sommes arrivés dans le Nord du Vietnam. Une famille est déjà en pleine discussion dans l’auberge de jeunesse où nous venons d’arriver : elle devait rester dans le pays jusqu’au 24 mars (comme nous) mais chamboule tous ses plans. Elle vient de réserver le premier avion pour la Malaisie. Départ, demain matin sans avoir terminé son séjour et, surtout, sans avoir pu découvrir la baie d’Ha Long, Hanoï et l’extrême-Nord du pays.
Nous aussi on s’interroge : à quel point le coronavirus va-t-il changer notre tour du monde ? Nous avons dû d’ores et déjà annuler notre semaine prévue à Hong Kong. Un séjour sur l’île nous aurait obligés à respecter une quatorzaine en arrivant au Japon, notre prochaine destination. Nous entendons que les bateliers refusent désormais de convoyer des étrangers sur la baie d’Ha Long. Peut-être devrons-nous nous résigner à zapper ce joyaux naturel. Et, enfin, des quartiers d’Hanoï sont maintenant confinés car des cas de coronavirus sont signalés depuis vendredi.

Notre remontée du Vietnam va probablement se terminer beaucoup plus tôt que prévu. Le gel hydroalcoolique est notre nouveau meilleur ami ! Des voyageurs en avance sur notre parcours nous informent que le regard sur les Français, soupçonnés d’être forcément porteurs du Covid-19, est de plus en plus négatif voire hostile… Jusqu’à présent, être Français était une chance. La pandémie change la donne. En espérant que les règles ne se durcissent pas d’avantage pour entrer au Japon (l’État d’urgence doit être décrété dans les prochains jours). Cette nuit, les Etats-Unis ont interdit les vols en provenance d’Europe. Nous devons passer par les Etats-Unis après le Japon… Là encore, c’est l’incertitude. La France a franchi la barre des 2.200 cas, enregistre 48 décès et 15 guérisons.
Prenez bien soin de vous, avec une bonne CORONA !
Là où on est, on boit plutôt de la Ha Noi 😀
Hello,
Article très bien écrit et très informatif.
Merci pour le partage.
Avec la fermeture aux Européens des Usa, la situation va se tendre, sachant également que de plus en plus de pays interdisent les Français ou obligent la quarantaine.
Prenez soin de vous
Il est vrai que l’on ne peut pas,
se masquer la vérité !
Le coronavirus est bien là !