Hoi An, ce paisible couloir du temps

Le vieux centre de Hoi An

Deux salles, deux ambiances. Après notre escale moderne et russophone à Nha Trang, nous plongeons soudain en plein XVIIe siècle en arrivant dans la somptueuse ville de Hoi An, inscrite au Patrimoine mondial de l’Humanité.

[Récit de notre séjour à Hoi An du 8 au 10 mars 2020]

Nous sommes dans le delta de la rivière Thu Bon, au centre du Vietnam, quasiment à équidistance de Saïgon et de Hanoï. C’est ici que des marchands chinois, japonais, arabes et européens ont établi leurs comptoirs à partir du XVe siècle, faisant de ce petit village de pêcheurs l’une des capitales des négociants en céramique, en broderie et en soie. 

Plus qu’une simple ville de transit, ils en firent leur lieu de villégiature. Ils construisirent leurs maisons, leurs temples et leurs pagodes, entremêlant avec goût leurs références et leurs inspirations, jusqu’à former un ensemble architectural de plus d’un millier de bâtiments.

Confrontés à l’ensablement du delta, les descendants de ces commerçants durent se résigner au milieu du XIXe siècle à migrer vers la ville voisine de Da Nang. Hoi An disparût des cartes maritimes et sombra dans le déclin. Mais c’est justement par ce revers de la nature qu’elle est devenue la perle architecturale que l’on connaît aujourd’hui. 

Maison à Hoi An

La belle endormie

Tandis que les autres cités portuaires entraient dans la Révolution industrielle, que leurs vieux édifices étaient rasés pour être remplacés, qu’on élargissait leurs rues pour les consacrer à l’automobile, qu’elles grossissaient pour devenir des métropoles denses, bruyantes et polluées, Hoi An n’intéressait plus personne.

Tandis que le monde sombrait dans la première puis dans la seconde guerre mondiale, que les Vietnamiens se battaient contre la France puis les États-Unis pour obtenir leur indépendance, que des millions de bombes dévastaient le territoire du Nord au Sud, Hoi An était une fois encore épargnée.

Elle demeura ainsi figée dans sa prospérité d’antan jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle ère, celle de la protection du patrimoine. Hoi An fut alors reconnue comme un véritable joyau : l’État vietnamien nationalisa les terrains en 1997 pour les protéger de la spéculation immobilière, l’Unesco distingua la ville en 1999, elle est depuis restaurée dans le strict respect de la tradition.

Vendeuse de tickets de loterie

De l’oubli à la surfréquentation

Elle en est devenue l’une des premières destinations touristiques du Vietnam. Et c’est peut-être là où un autre déclin a commencé. Dans ces ruelles si longtemps restées paisibles, des hordes de touristes de tous les continents se pressent désormais chaque jour. 

“Hoi An c’est beau, mais il y a beaucoup trop de monde.” Les voyageurs nous l’ont presque autant dit que pour les temples d’Angkor. Alors, même si la crise du coronavirus commence à se faire sentir lorsque nous y arrivons, même si l’on nous assure que les touristes chinois et coréens ne quittent plus leur pays, nous préférons poser nos sacs dans un hébergement un peu à l’écart. 

Tout juste débarqués de notre bus de nuit, nous portons notre dévolu sur l’île de Cam Nam. Nous ne sommes qu’à quelques encablures de la vieille ville – plus précisément à moins de dix minutes à vélo – mais cela suffit à obtenir le calme. Dans ce quartier résidentiel, il n’y a presque aucun bar et restaurant, tout juste quelques hôtels. Ce n’est pour le reste que des maisons familiales.

Dans le centre-ville

Chambre avec vue

Nous nous installons au Blue River Homestay, une pension d’une vingtaine de chambres dont les balcons donnent sur la rivière. Une vraie perle, à une douzaine d’euros la nuit à deux, avec piscine, petit déjeuner et gentillesse de la patronne inclus. Il n’y aurait pas tant à voir à Hoi An, nous nous serions prélassés pendant trois jours dans ce petit Eden.

Mais Hoi An vaut bien sa réputation et, à peine arrivés et rafraîchis, nous enfourchons nos bicyclettes pour en profiter. La municipalité a plutôt bien ordonné les choses en instaurant un ticket unique pour visiter les sites. Il donne accès à cinq bâtiments classés : libre au voyageur de choisir ceux qu’il souhaite voir. Les flux se dispersent ainsi aléatoirement dans la cité. 

Les flux… Quand il y en a. Car en cette mi-mars 2020, on constate effectivement que le coronavirus a déjà fait fuir les visiteurs. Les rues ne comptent plus que des Vietnamiens et quelques Européens, elles respirent la tranquillité.

Boiserie

Délicate unité

Munis de notre précieux sésame, les vélos soigneusement garés devant l’office de tourisme, nous commençons par emprunter de part en part la rue Tran Phu qui concentre la majeure partie des monuments. Avant même d’entrer dans le moindre édifice, on est séduit par la délicate unité des lieux.

Toutes les maisons ont été conçues avec les mêmes matériaux – le bois, la terre, la tuile – et les mêmes teintes – le jaune pour les murs, le turquoise pour les volets. Les fleurs sont omniprésentes sur les façades, déclinant une chaleureuse palette de couleurs. L’étroitesse des rues leur donne un caractère intime, tandis que leur plan en damier offre de magnifiques perspectives sur l’ensemble.

Il se dégage de tout cela une véritable harmonie, une douceur, qui nous charment autant qu’elles nous apaisent. On a bien conscience de visiter Hoi An dans des conditions très particulières, que cette quiétude n’existe plus depuis le tourisme de masse, mais en cette après-midi plus que jamais hors du temps, le nom de “Hoi An” reprend tout son sens. Il signifie “se réunir dans la paix”.

À la terrasse d’un restaurant

À chaque maison, une histoire

Nous parcourons la salle d’assemblée de Hai Nam construite au XIXe siècle en hommage à 108 marchands chinois assassinés en mer après avoir été pris pour des pirates. Les habitants de Hoi An viennent encore se recueillir auprès des autels qu’elle abrite, notamment lors du Nouvel an lunaire. Nous poursuivons par la maison communale de Minh Huong, datée du XVIIe siècle et également vestige de la présence chinoise, pour aboutir sur la petite place ombragée du marché central. 

Devant nous, un puits toujours utilisé par les commerçants pour se fournir en eau, puis une longue halle de bois et de pierre qui laisse à peine entrer la lumière. L’intérieur est un véritable îlot de fraîcheur où il fait bon se réfugier par cette chaleur caniculaire. Des femmes sont assises devant leurs lots de fruits, de légumes et de viandes. Nombre d’entre elles tiennent un comptoir où habitants et étrangers viennent déguster un plat. On nous invite avec le sourire à nous installer à notre tour.

Nous continuons notre promenade par la maison Quan Thang, du nom du notable qui la fit édifier au XVIIe siècle. Organisée tout en longueur, elle se divise en deux parties séparées par un patio : la première servait à accueillir les hôtes, notamment ceux avec lesquels on commerçait, la seconde était réservée à la famille.

La place du marché central

L’eau devenue ennemi

Au-delà des boiseries, du mobilier d’art et des décors en porcelaine de Chine, notre attention est attirée par des marques qui ont été tracées sur un poteau. “Elles indiquent les inondations successives”, nous précise le propriétaire. Située en plaine, au bord d’un fleuve et de la mer, Hoi An est régulièrement victime de la mousson.

Son réseau d’assainissement vétuste ne lui permet guère de surmonter ces pluies violentes. L’eau peut alors monter de deux mètres en quelques heures. Ce fut le cas en 1999, 2007, 2013, 2017… Une triste routine que les autorités tentent de freiner en instaurant une zone ”tampon” autour de la ville. L’accélération du dérèglement climatique semble toutefois rendre ces efforts bien vains.

Le monument le plus célèbre de Hoi An est sans nul doute son pont couvert du XVe siècle offert par des marchands japonais pour relier leur quartier à celui des marchands chinois. Il est surmonté depuis le XVIIe siècle d’une pagode. Gardé à ses entrées par des statues de chiens et de singes, courbé sur sa vingtaine de mètres de long comme un arc prêt à tirer vers le ciel, il est assailli par les photographes même en cette période singulière. C’est aussi sur ce pont que l’on peut le mieux admirer les tuiles vernissées en forme de yin et de yang caractéristiques des toitures de Hoi An.

Le Chua Cau, pont-pagode

Ville des lanternes

À la nuit tombée, le Chua Cau et les rues du vieux centre gagnent encore en magie en s’habillant de milliers de lanternes. À chaque pleine lune, elles sont même, le temps d’une soirée, l’unique éclairage urbain admis par les habitants. Ce qui est aujourd’hui devenu une incontournable attraction touristique, assurant aux commerçants une foule de visiteurs jusque tard dans la soirée, repose sur une tradition bien réelle. 

La fabrication de lanternes à Hoi An a été initiée par des immigrés chinois au XVIe siècle. Un savoir-faire transmis de génération en génération. De la construction de l’armature en bambou à la broderie des tissus qui la recouvrent : la “vraie” lanterne de Hoi An est proche de l’oeuvre d’art.

Si beaucoup l’utilisent à présent comme une décoration, elle reste ici très symbolique pour de nombreuses familles. L’accrocher à sa porte doit apporter la santé, le bonheur ou encore la richesse. Chaque couleur de tissu a une signification particulière. 

Livraison de lanternes

Vert pomme

Après une journée et une nuit à sillonner le quartier historique, puis une matinée à profiter de l’agréable piscine de notre chambre d’hôtes, on serait tenté de penser qu’on a fait le tour de Hoi An. Mais ce serait une terrible erreur de la quitter sans avoir vu ses environs.

Tout juste a-t-on atteint la bordure de la ville, franchi la dernière ligne de maisons, que se dévoile une magnifique étendue de rizières. À cette saison, ces centaines de milliers de plants de riz parfaitement alignés dans l’eau arborent un vert pomme éclatant qui frappe notre regard.

De fins chemins en béton ont été tracés à travers champs pour relier les villages. Souvent larges d’à peine un mètre, ils ne se laissent emprunter que par les vélos, scooters et charrettes. On y croise des paysans en plein labeur avec leur chapeau chinois vissé sur la tête. On s’amuse devant les buffles qui mastiquent placidement de l’herbe.

Cerf-volant dans les rizières

Le calme qui monte

À quatre kilomètres plus au nord, juste avant la mer, on trouve l’étonnante île fluviale de Tra Que. Ses habitants se sont spécialisés dans l’agriculture biologique. Ici, les cultures n’entourent pas les maisons, ce sont les maisons qui entourent les cultures. Le coeur du bourg est un vaste champ envahi de légumes de toutes sortes. Et à notre passage, en cette fin d’après-midi, toutes les familles sont mobilisées à l’arrosage.

Tra Que s’est aussi forgée depuis quelques années la réputation d’une île gastronomique. Profitant de la dynamique touristique de la toute proche Hoi An, plusieurs micro-écoles de cuisine ont ouvert leurs portes. Les voyageurs viennent à la journée partager le quotidien des habitants, de la cueillette jusqu’à la mise aux fourneaux et, bien entendu, à la dégustation. On ne sait si cette île pourra longtemps rester l’écrin qu’elle est aujourd’hui, mais elle semble pour le moment avoir trouvé son équilibre.

Le soleil descend sur les rizières. Les enfants envahissent les chemins pour y déployer leurs cerfs-volants. C’est déjà notre troisième et dernier jour à Hoi An. C’est sûrement pourquoi on tient à faire durer cet instant.

On aimerait rester plus longtemps dans ce paradis qui nous semble réservé. On sait toutefois qu’il s’agit d’un mirage. Le calme qui envahit depuis quelques jours le Vietnam n’est pas un cadeau du ciel. Il n’apporte ni la sérénité ni la paix. Notre logeuse nous le rappelle sur le pas de la porte au moment de notre départ : elle nous offre deux masques en tissu qu’elle vient de confectionner et nous fait promettre de prendre soin de nous. Ce calme, c’est celui de la peur.

Toutes nos étapes au Vietnam

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