
Après Mumbai l’immense, nous voici à Udaipur la douce. Au bord de ses lacs, au sommet de ses collines, dans son palais et ses temples, nous entrevoyons une nouvelle région de l’Inde particulièrement séduisante : le Rajasthan.
Il est dix-sept heures. Nous nous apprêtons à quitter notre auberge de jeunesse pour traverser Mumbai et atteindre d’ici la tombée de la nuit la station de bus, en périphérie de la ville. La réceptionniste nous arrête au vol : “Avec cette pluie et les embouteillages, c’est peine perdue : vous n’y arriverez jamais !”
Pas le temps de paniquer. Elle saisit d’une main notre billet de bus et décroche de l’autre son téléphone. Elle échange brièvement avec quelqu’un, griffonne sur un papier et nous le tend. “Voici l’adresse du dépôt. Il est à quinze minutes d’ici. Ça sera bien plus simple. Le chauffeur est prévenu que vous le rejoignez.”
Samosas, Macron et pauses pipi
Quinze minutes plus tard, nous sommes effectivement arrivés devant l’imposant véhicule. Un homme nous fait signe de monter. Pierre prend place dans notre couchette double. Matthieu profite des quelques minutes avant le départ pour faire le plein de samosas, de fruits et d’eau à un stand de street-food. Le bus démarre.

Nous avons encore le souvenir peu réjouissant du trajet de nuit entre Goa et Mumbai. Heureusement, cette fois, la situation est toute autre. On peut s’allonger entièrement, on ne roule pas sur nous-mêmes à chaque virage, nos sacs sont en soute et n’ont donc aucune chance de venir nous écraser les jambes par surprise pendant notre sommeil. Surtout, le conducteur roule prudemment, évite les nids-de-poule, permettant aux passagers de dormir à peu près sereinement.
On s’arrête même toutes les deux heures, pour permettre à ceux qui le souhaitent de se dégourdir les jambes, faire une pause pipi, fumer une clope ou s’approvisionner dans un resto de bord de route. On discute, on rigole. L’ambiance est bon enfant.
Avant de s’endormir, nous voyageons quelques minutes en France en regardant en direct l’allocution d’Emmanuel Macron en hommage à Jacques Chirac. Au final, les dix-huit heures de trajet se déroulent plutôt bien – à défaut de passer vite.

La cité des lacs
Nous voici enfin à Udaipur, notre première étape au Rajasthan. Nous attendons beaucoup de cette région, l’une des plus visitées d’Inde avec Goa, réputée pour son patrimoine et son sens de l’accueil. Pour sa vie plus douce que dans les métropoles aussi.
On surnomme Udaipur “la cité des lacs”, car elle s’est développée autour de trois vastes étendues d’eau façonnées par l’homme entre les XIVe et XVIe siècles. Le résultat est des plus harmonieux. Depuis la Ghangor Ghat – où nous filons à peine nos sacs posés à l’hôtel – nous observons avec bonheur le spectacle des bâtiments anciens qui se reflètent sur le lac Pichola. Chaque nuage qui passe, chaque variation de lumière crée un nouveau spectacle.

Le trafic automobile, ses klaxons et ses fumées de pots d’échappement sont maintenus à bonne distance. Aucun déchet ne recouvre le sol. Personne ne vient nous vendre un truc. À côté de nous, une vache mastique négligemment. Un peu plus loin, des jeunes font leurs ablutions quotidiennes. Un calme qui nous permet d’apprécier véritablement l’instant.
“C’est beau, l’Inde.” Cette phrase toute simple, nous l’avons sans cesse espérée et sans cesse repoussée au cours de ce voyage. Chaque fois, un grain de sable venait l’enrayer, l’effacer au profit d’un autre sentiment. Et voilà qu’au bout de cinq semaines, elle s’impose enfin. Nous ne voyons et ne ressentons ici que la beauté.
Palais des mille et une pièces
Où que l’on soit au bord du lac, le palais du maharaja attire notre regard par son architecture imposante. Il paraît doté de mille et une pièces et terrasses, sur un nombre invraisemblable de niveaux. Mais cela avec bien plus de finesse et de goût que son cousin délirant de Mysore. Il abrite aujourd’hui deux hôtels de luxe, des restaurants, mais aussi une partie ouverte à la visite. Nous ne tardons pas à en pousser la porte.

Nous trouvons là un palais tel qu’on en rêvait enfant. Des pierres de taille aux tonalités ocres usées par le temps, des salles d’audience où les invités ont pour siège un gigantesque et confortable coussin, des chambres aux mosaïques serties de pierres précieuses, des moucharabieh qui permettaient aux femmes d’observer au dehors sans être vues, des patios intimistes et verdoyants qui gardent la fraîcheur même quand le soleil est au plus haut.
Le tour s’achève par la cour de Mor Chowk, la plus impressionnante, avec sa marqueterie de verre et ses paons sculptés qui représentent les quatre saisons.

Si l’architecture est délicate, l’excentricité et l’opulence des anciens rois des Indes n’est jamais très loin. La famille du maharaja, qui habite toujours les lieux, expose des centaines d’objets acquis au fil des siècles, pour beaucoup confectionnés par de grandes maisons européennes, dont une vaste collection d’accessoires en argent. Elle consacre aussi un musée entier… à ses voitures. L’occasion de découvrir une Rolls Royce de 1924 utilisée pour James Bond Octopussy, qui avait Udaipur pour décor…
Deux Français en tour du monde
À deux pas du palais, nous visitons le Jagdish temple. Les habitants y installent des guirlandes et une scène. Une nouvelle fête hindoue se prépare – on ne les compte plus depuis notre arrivée, chaque jour en Inde est prétexte à une fête.

Puis nous sillonnons la vieille ville comme si aucune ruelle ne devait nous échapper. Les ouvriers se pressent un peu partout de rénover les façades, en prenant soin de respecter ce patrimoine fabuleux. Comme à Goa, la saison touristique va bientôt commencer.
On croise un couple de Français. Ça ne nous était pas encore arrivé. En plein mois de septembre, nos compatriotes sont généralement en train de bosser ! La conversation s’engage.
Eux aussi font le tour du monde. Ils ont quitté l’Hexagone il y a un an, il leur reste encore un an de parcours. Ils ont l’air crevé mais ne regrettent pas leur choix. « Vous commencez par le plus rude. Après l’Inde, vous trouverez tous les pays faciles », nous disent-ils d’un sourire convenu. On verra si c’est vrai, dans quelques semaines, quand on débarquera en Indonésie…

La force et la folie de l’Inde
Notre balade nous amène finalement au pied d’un téléphérique, dont les quatre cabines se dandinent sur la colline. Nous faisons l’ascension avec un couple d’Indiens, qui nous questionne comme à l’accoutumée : “D’où venez-vous ?”, “Aimez-vous Udaipur ?”, “Qu’avez-vous déjà visité en Inde ?” Le trajet suffit à peine à leur lister nos différentes étapes. Ils sont ravis.
Du sommet, la cité prend toute sa forme. Le palais nous paraît encore plus gigantesque, tant sa masse écrase les bâtiments qui l’entourent. Les ruelles deviennent invisibles tant elles sont minces. Les toits s’enchevêtrent par milliers.

Dans le prolongement du quartier historique, on découvre une ville nouvelle qui se déploie jusqu’à l’horizon. Mais de l’autre côté, la nature a toujours ses droits. Ni route, ni construction. Juste les lacs, les collines et le vert intense de la mousson que nous apprécions tant observer.
La veille, nous étions dévorés par Mumbai. Le contraste est saisissant. Et c’est là toute la force et la folie de l’Inde. Pas le temps de dire “ouf”’, pas le temps de se lasser, l’Inde nous projette sans prévenir d’un univers à l’autre. On pense avoir tout vu, qu’elle dévoile aussitôt un nouveau visage. Et le visage du Rajasthan nous paraît ce soir radicalement beau.

Nos coups de cœur
Déjeuner. Arrivés à Udaipur après presque une journée passée dans le bus, nous rêvions d’un déjeuner à la fois copieux et bon marché. Nous avons trouvé notre bonheur à l’entrée de la ville moderne : un excellent thali, servi en illimité jusqu’à 15h, dans un resto discret uniquement fréquenté par des Indiens.
Kanak Dinning Hall, first Floor 13 Chohtta Chetak, Marg, Hathipole, Loha Bazar
Vivre. Chaque soir, le palais de l’ancien premier ministre du maharaja (aujourd’hui transformé en musée) accueille un spectacle de danse Dharohar particulièrement réussi. Un peu d’humour, des marionnettes, de l’équilibrisme… On s’attendait à un truc pour touristes, on s’est retrouvé dans une salle pleine à craquer d’Indiens qui applaudissaient à tout rompre. Prévoir de venir 45min avant, car ça se bouscule pour acheter les tickets.
Bagore Ki Haveli, Gangaur Ghat Marg. Spectacle quotidien à 19h. Ticket 150 roupies
Dîner. Gros coup de coeur pour un stand de street-food qui dissimule une table (et une seule !). Le patron, très chaleureux, cuisine devant nous avec son fils de bons petits plats frais. On s’est régalé pour une poignée de roupies.
Chinese fast food, 490 Bajarang Marg, Outside Chandpole, Ambamata

Je file sur Instagram voir les photos!
Merci de me remplir les yeux d’étoiles!!