Nam Ha, trek inoubliable dans la jungle laotienne

Nous partons pour trois jours au coeur du parc naturel de Nam Ha, à l’extrême nord du Laos. Trois jours dans la jungle foisonnante et dans les villages de la passionnante ethnie Khmu. L’une des plus belles expériences de notre tour du monde.

[Récit de notre trek dans la jungle laotienne du 7 au 9 janvier 2020]

Nous vous avons conté les préparatifs dans notre précédent article : comment nous avons choisi l’agence Forest Retreat pour l’organisation de ce trek, notre rencontre avec Anna et Pete, deux routards néo-zélandais, puis avec Sert, notre guide. Nous vous avons laissé sur le chemin, à l’entrée de la forêt. Cette fois, nous voici bel et bien en marche.

Les Khmus, maîtres en ces lieux

Ou presque. Car après tout juste quelques mètres, une masse posée dans les hautes herbes attire déjà notre attention. Il s’agit d’une sorte de plateau en bambou recouvert de feuilles de bananier sur lesquelles sont posés des fleurs, des fruits et une figure en terre cuite aux formes naïves qui semblent représenter une personne. “Sert, sais-tu de quoi il s’agit ?” Notre guide revient sur ses pas pour examiner l’objet. “C’est un autel”, nous répond-t-il sans hésiter. “Il a été installé par une famille Khmu dont un parent est malade. Par ces offrandes, elle demande aux esprits de lui apporter la guérison.”

Le peuple Khmu, qui sera le fil rouge de notre trek, est ancien. Certains ethnologues pensent qu’il s’agit du premier peuple d’Indochine du Nord. Il vit principalement dans cette partie du Laos, mais aussi au nord du Vietnam, au sud-ouest de la Chine et dans une moindre mesure au nord-est de la Thaïlande : son installation dans la région précédant la création des frontières nationales. 

Autel à l’orée de la forêt

Bien qu’ils soient éparpillés entre ces quatre pays, les Khmus ont su résister à l’assimilation. Cela s’explique en partie par leur isolement. Ils vivent loin des villes et des axes routiers, comme ici dans le parc de Nam Ha. Ce sont des agriculteurs et des chasseurs. Ils ont conservé leur propre langue et leurs croyances animistes. Ils invoquent les esprits de la forêt et placent leurs familles sous la protection de “totems” généralement incarnés par des animaux. Cet autel au bord du chemin en est le témoignage. Et c’est chez eux, au village de Nalan Neua, que nous dormirons ce soir.

Poisson à la broche

Pour y parvenir, il nous faut marcher sur une quinzaine de kilomètres à travers les collines. Le sentier est assez confortable, bien tracé par les Khmus qui l’empruntent pour se rendre au marché. Aux herbes hautes de nos premiers pas succède une forêt sèche de conifères comme on pourrait en voir chez nous. Nous suivons une crête, le dénivelé est faible, il pourrait presque s’agir d’une balade dominicale. D’autant qu’avant la moindre fatigue, notre guide s’arrête. Il est 11 heures : déjà temps de préparer le déjeuner.

L’homme Khmu, recruté sur la route et qui nous accompagne depuis, dont on ne connaît d’ailleurs pas le prénom, taille dans une branche quatre épaisses brochettes avec lesquelles il transperce les poissons. Sert rassemble pendant ce temps du petit bois en vue d’allumer un feu. Très vite, l’odeur de la grillade caresse nos narines. On aligne deux souches qui font office de sièges. On étale des feuilles de bananier en guise de table. Bon appétit ! 

Notre déjeuner est servi

“De quels poissons s’agit-il ?”, demandent Anna et Pete. “Ce sont des poissons du marché.” Nous n’obtiendrons pas de meilleure réponse, mais celle-ci nous amuse. Quelle que soit l’espèce, en tout cas, on se régale. Il n’en reste bientôt plus rien. Alors qu’on s’apprête à jeter la tête et les arrêtes, notre cuisinier nous stoppe : ces maigres restes permettront ce soir de concocter un bouillon. Tout se garde.

Comme des intrus dans la jungle

La randonnée de l’après-midi est bien plus agréable. Il nous a suffi de quitter la crête et de perdre un peu d’altitude pour voir se dessiner un décor radicalement différent. L’air est devenu humide et chaud, la végétation s’en trouve décuplée. Les arbres autour de nous, tortueux et couverts de lianes, nous sont désormais inconnus. La terre est jonchée de mousses, de plantes et de fleurs. On a envie de toucher, parfois de goûter, mais on sait que ce paysage est hostile à celui qui n’en a pas les codes. 

Le sentier s’en trouve rapetissé. Le passage des Khmus ne suffit plus à domestiquer la nature qui pousse plus vite qu’elle n’est écartée. On marche en file indienne, en veillant à chaque pas. On franchit les ruisseaux à l’équilibre sur des troncs. Cette soudaine concentration nous amène au silence.

La jungle de Nam Ha

La jungle dans laquelle nous nous sommes engouffrés bouleverse aussi la lumière. Le soleil nous frappait le visage en haut des collines. Il ne nous parvient désormais que par petites touches, là où la canopée veut bien le laisser entrer. Ces fins rayons qui percent la cime des arbres, qui se faufilent comme des contorsionnistes entre les branches et qui viennent picorer le sol, donnent aux lieux un air de toile impressionniste.  

Le bois comme ressource

“Ces arbres sont rares”, nous indique Sert, interrompant notre rêverie. Il pointe du doigt des troncs aussi hauts que ceux des séquoias. “Avant, on les coupait pour les vendre aux Vietnamiens ou aux Thaïlandais. Cela vaut très cher. Mais aujourd’hui, c’est interdit”, raconte-t-il. En effet, depuis 2004, le gouvernement laotien proscrit l’exportation de bois brut. Une loi rendue nécessaire par le recul préoccupant des forêts : à la fin du protectorat français, il y a soixante-dix ans, elles couvraient 70% du territoire. Aujourd’hui, c’est à peine 40%. 

Mais cette loi souffre de nombreuses exceptions : une demi-douzaine d’entreprises bénéficie encore de quotas d’abattage dont les ONG soupçonnent qu’ils sont allègrement dépassés. À quoi s’ajoute la construction de cent barrages hydrauliques, censés faire du Laos “la centrale électrique de l’Asie du Sud-Est”, qui se traduit par autant de vallées et de forêts noyées sous les eaux. Ce pays, parmi les plus pauvres du monde, cherche encore le bon équilibre entre développement économique et protection de la nature.

Champignons sur une souche

Après quatre heures de marche, nous approchons de Nalan Neua. C’est l’odeur de la fumée qui nous le fait deviner. Au Laos, les agriculteurs pratiquent le brûlis pour enrichir leurs champs avant de les cultiver. Cette odeur avait marqué notre trajet en bus jusqu’à la frontière. Voilà qu’elle nous saisit à nouveau. On quitte alors la jungle comme on y est entré : par une rapide variation de dénivelé. Puis les hautes herbes. Puis rien d’autre qu’un sol calciné. 

Bienvenue à Nalan Neua

Au milieu de cette étendue de cendres, une femme, chapeau de paille sur la tête, sweat et pantalon colorés, bottes en plastique. De ses mains gantées, elle tranche à la machette le tronc d’un bambou qui a résisté au feu. Elle s’arrête pour nous jauger du regard, sans qu’on sache si elle est heureuse, fâchée ou simplement indifférente de nous voir débarquer sur ses terres. Son chien, paisiblement couché à ses pieds, redresse lui aussi la tête. “Elle aménage un potager qui fournira le village en légumes”, nous dit Sert.

Derrière la butte apparaît la vallée, plus large que les reliefs nous l’avaient laissé penser. On distingue enfin Nalan Neua, amas d’une trentaine de maisonnées en bois pour autant de familles qui vivent là, pour la plupart édifiées sur pilotis. La Nam Ha, qui a donné son nom au parc naturel, s’écoule paisiblement en leur long. Son courant n’est rompu que par un sommaire barrage qui sert à piéger les poissons. Sur l’autre rive, un bosquet dont on ne devine que vaguement ce qu’il abrite, probablement des cultures.

Brûlis

Le chef vient à notre rencontre. On ne peut s’empêcher de lui trouver un petit air de “commissaire politique”. Autrefois choisi par les habitants, il est désormais désigné par les autorités laotiennes. Avec l’école obligatoire en langue lao, c’est la seule emprise visible de l’État sur les villages Khmus, qui semblent pour le reste conserver leur organisation sociale traditionnelle, autour notamment d’un chaman, d’un guérisseur et d’un prêtre.

Tourisme mesuré

Nous passons avec lui entre les maisons. Il n’y a pas vraiment de rues, tout au mieux des chemins bosselés. Devant chacune d’elles, un feu de bois où des femmes préparent le dîner ou font sécher des plantes. On croise aussi des vieux fumant leurs pipes en argent – autrefois elles étaient garnies d’opium, aujourd’hui bien souvent de tabac.

Nous parvenons devant la bâtisse où nous serons accueillis pour la nuit. Elle est à un mètre du sol, on y accède par un petit escalier. Elle se compose de deux pièces séparées par un patio : sur la gauche, une cuisine enfumée, sur la droite une chambre avec plusieurs paillasses délimitées par des rideaux. Nous nous les partagerons avec nos deux compagnons néo-zélandais. Comme dans le reste du village, il n’y a ici ni électricité, ni eau courante, ni réseau téléphonique. Une baraque installée à quelques mètres fait office de toilettes et de salle de bain.

Le village depuis une colline

Nalan Neua s’est ouvert aux “trekkeurs” il y a une vingtaine d’années, sur les conseils de l’Unesco. Mais avec beaucoup de modération. Les habitants ne souhaitent pas que cela devienne un “business”, encore moins être vus comme une attraction touristique. Ils se sont donc organisés avec les quelques agences de randonnée pour déterminer une jauge. Si deux-tiers des familles font chambre d’hôte, c’est chacune à tour de rôle. Celle qui nous héberge n’avait eu personne depuis plusieurs mois. Les recettes qu’elles en tirent sont partagées équitablement à l’échelle de toute la communauté. Le village n’en a que très peu changé.

Racines chinoises

Le chef nous tend un registre. “Tout étranger qui dort ici doit inscrire son nom”, traduit Sert. On s’exécute, tout en prenant le temps de feuilleter les autres pages. On compte les lignes par curiosité : 162 visiteurs ont séjourné ici en 2019, moins d’un tous les deux jours, nous sommes parmi les premiers de 2020. L’instant d’après, Sert remet au chef une bonne partie de la somme que nous lui avions versée pour notre trek de trois jours. Celui-ci s’en va rejoindre une assemblée d’hommes attablée non loin. Un long palabre s’engage, livres de comptes à l’appui, pour répartir les billets entre les familles.

Nous profitons d’avoir encore une partie de l’après-midi devant nous pour cheminer entre les allées. Chaque habitant que nous croisons nous salue avec le sourire, tout en continuant à vaquer à ses occupations. On se permet quand même quelques questions. “Quelles sont ces racines que l’on voit sécher un peu partout ?” “Elles sont très recherchées par les Chinois. Alors on les ramasse dans la forêt et on leur vend.” Les Khmus ne sauront toutefois nous dire ni leur nom, ni ce qu’en font les Chinois. Cuisine ou médecine : eux, en tout cas, ne les utilisent pas.

Discussion au coin du feu

Derrière les maisons, il y a les basse-cours. De gros cochons noirs s’agitent à notre passage. Tout comme chez les Karens du nord de la Thaïlande, il y a aussi beaucoup de poules, de coqs et de canards. Ainsi que des chiens de garde déterminés à leur tâche. Derrière les basse-cours, c’est la rivière, où l’on pêche, où l’on se lave, où l’on nettoie ses vêtements et la vaisselle. Par endroit, on remarque d’ailleurs une fine pellicule de savon. Anna et Pete ne résistent pas à l’attrait de la baignade. En un instant, ils jettent leurs habits sur un banc et plongent dans l’eau froide. Pour notre part, on préfère continuer l’exploration.

Sur l’autre rive

Un pont en bambou d’une vingtaine de mètres permet de rejoindre à pied sec l’autre rive. Mais son état de délabrement n’invite pas à la traversée. Il n’a presque plus de forme et d’attaches. Par endroit, il n’y a que le vide où mettre les pieds. On se demande même s’il n’est pas à l’abandon… Non. Une femme s’y engage avec son bébé sur le dos. Son pas sûr est celui d’une habituée, elle n’a que faire que le vieil échafaudage se balance allègrement sous son poids. Cela nous convainc d’avancer. Nous mettrons quand même cinq longues minutes à le franchir, redoublant de prudence, le corps intégralement tendu, tenant d’une main ferme le semblant de rambarde pour éviter une chute brutale. 

Mais quel spectacle à l’arrivée ! Derrière les bosquets, nous découvrons ce qui nous était resté caché depuis les collines : de vastes rizières en terrasse, parfaitement dessinées par la main de l’homme. Pas de vert, ni d’étendue d’eau à cette saison : la récolte s’est tenue il y a deux mois. Les rizières ont revêtu leurs habits dorés, déséchées par le soleil. Et en cet instant où les rayons deviennent rasants, les voilà rougeoyantes. Elles sont entrecoupées par d’imposants greniers à riz, dont on imagine qu’ils sont pleins, eux aussi sur pilotis afin d’éviter que les bêtes ne les pillent. Un groupe d’enfants s’y amuse. Ils rient en courant sur les promontoires de terre qui endiguent les parcelles.

Une mamie khmu et sa pipe d’opium

Avant de dîner, on cède à la tentation d’une Beer Lao dénichée chez une famille qui tient un semblant d’épicerie. Pas de rayons, juste quelques cartons posés en vrac sur le sol. La bouteille n’est pas fraîche, il n’y a pas de frigo ici, mais elle fait quand même très bien l’affaire. Notre dîner est végétarien, à l’image de l’alimentation quotidienne des Khmus. La viande, plus chère, est davantage un plat de fête. 

Alors on danse

Il fait désormais nuit noire. Depuis le pas de notre porte, nous entendons le son d’une radio. Nous le suivons. C’est le chef du village, au coin d’un feu, qui nous dit écouter “les infos de Vientiane”, la capitale. Trois habitants se sont joints à lui, l’oreille tendue, le silence quasi religieux. C’est l’un des rares instants de la journée où les Khmus prennent des nouvelles de “l’extérieur”. “Quelles sont les actualités ?” lui glisse-t-on. “Ce sont des résultats sportifs.”

Des femmes viennent nous chercher. Elles veulent nous montrer quelque chose. On se retrouve assis avec Anna, Pete et une vingtaine d’hommes, la cigarette en bouche, la bière à la main. Deux autres étrangers sont là, randonneurs eux aussi, sûrement arrivés après nous dans la village. Puis une dizaine d’enfants débarquent en tenue traditionnelle. On comprend qu’un spectacle se prépare.

Rue principale

Un gamin allume une petite sono à pile, un deuxième ravive les flammes, puis le gros de la troupe se met à danser. On aurait pu craindre un “truc pour touristes”. Mais ce qu’on apprécie, c’est que ce spectacle ne nous est pas réservé : la plupart des habitants sont là, les hommes à nos côtés, mais aussi les femmes, que nous n’avions pas tout de suite remarquées car installées plus loin dans la pénombre. Au fil des refrains, l’ambiance se fait plus décontractée, chaleureuse. Et on finit par nous attraper la main pour qu’on se joigne à la ronde des danseurs.

En chasse

Vers 21h, les familles se séparent. Chacune regagne sa maison. On file quant à nous à la douche. Une énorme araignée nous tient compagnie tandis qu’on se verse un seau d’eau sur la tête. On ne la quitte pas du regard, de crainte qu’elle décide de se promener entre nos pieds. Dehors, le chant des oiseaux a été remplacé par un étrange bruit sourd. On fait quelques pas pour comprendre d’où il provient : ce sont de gros bourdons de terre, qui par dizaines quittent leurs terriers, rasant notre visage de leur vol lourd. La nuit est à eux. On file se coucher.

Comme lors de notre dernier trek, les “cocoricos” devancent le lever du soleil. Nous sommes debout aux aurores. Cela porte bonheur, diront les Khmus, pour qui les premières lueurs du jour sont sacrées : y “baigner” son corps apporte santé, prospérité et motivation pour les tâches du quotidien. Beaucoup sont d’ailleurs déjà dehors, chauffant les marmites, puisant de l’eau et étendant le linge. Un chasseur vient de rentrer avec une proie : un ragondin gros comme un porcelet, qu’il pend par les pattes à une poutre. L’animal est encore conscient. Il couine dans les aigus. “C’est pour le repas ?” “Non, c’est pour les Chinois. Ils consomment son sang.” Décidément…

Un chasseur khmu

Nous ne reprendrons la marche que vers 9 heures. D’ici là, deux vieux profitent de notre curiosité pour la chasse pour nous montrer leurs arbalètes. Nous n’irons pas avec eux cueillir le gibier, mais nous nous exercerons sur des cibles, sous leurs regards amusés. À côté, trois femmes décortiquent le riz à l’aide d’un pilon, d’un mortier et d’un tamis. Un travail répétitif et physique. Cette fois, nous n’aurons pas le loisir d’essayer : cette tâche n’est “pas pour les hommes”, nous disent-elles. Seule Anna est invitée à les rejoindre. Les grains ainsi épurés iront à la cuisine, leur enveloppe et leur poussière nourriront les cochons et les poules. Là encore, tout se garde.

Cas d’école

On croise Pete qui s’est lancé à la recherche d’un café noir – “je débute toujours mes journées par un café noir”. Il passe de maison en maison pour trouver à en acheter, mais on ne lui propose chaque fois que du café au lait – “je déteste le café au lait”. Il finit bredouille. De toute façon, il est déjà l’heure de dire au revoir aux Khmus. On procède aux salutations et on saisit nos sacs. Sert ouvre la marche.

Direction Tai Nalan, le deuxième village de la vallée. Il est habité par l’ethnie Lanten, une autre minorité de la région. Nous le rallions en moins de deux heures. Ambiance beaucoup plus calme qu’à Nalan Neua : on ne croise presque personne. Il faut dire qu’il n’y a qu’une petite dizaine de maisons. On demande à Sert de pouvoir visiter l’école. Il n’y voit pas d’inconvénient, la classe ne se tient pas à cette heure. 

Salle de classe

L’école ne se compose que d’une salle, avec un bureau, trois rangées de tables et autant de bancs. Au mur, trône un portrait du président et un drapeau. On saisit l’un des livres de cours, il présente en dessins l’alphabet lao. Il est construit en syllabes et non en lettres : il faut assembler des sons pour former les mots. Difficile pour nous de s’y retrouver… Sert, très motivé à l’idée de nous l’expliquer, saisit une craie et commence à griffonner sur le tableau. Ce drôle de manège attise la curiosité d’un enfant qui passait par là. Il rameute peu à peu ses copains. Une heure plus tard, la classe s’est remplie, mais nous ne comprenons toujours rien. Finalement, c’est Sert qui apprend quelques mots en français. 

Nouveaux compagnons

Reprise de la marche sous un soleil de plomb. Elle nous mène au village de Namkoy, où vivent ensemble des Khmus et des Lantens. Nous sommes accueillis chez une femme pour le déjeuner. Nous mangeons en tailleur assis en cercle sur le sol, éloignant de la main des chats qui tentent de piquer dans nos assiettes. Tous les habitants sont à la porte, à scruter nos faits et gestes. Certains nous proposent de l’artisanat. Anna et Pete en achètent. Pas nous : notre tour du monde nous interdit d’alourdir nos sacs à dos. Les souvenirs, c’est dans la tête !

Nous repartons plus nombreux que nous sommes arrivés : deux femmes et un homme du village vont passer la seconde nuit avec nous. Ils auront la tâche de préparer le repas du soir. Non que Sert ne sache pas cuisiner, sa seule présence aurait suffit, mais l’accord entre l’agence de trek et les habitants est ainsi : il faut donner un peu de travail à chacun. 

Jeunes filles à Namkoy

La rando est plus rude que la veille. Nous en avons pour sept heures de marche. Nous longeons toujours la Nam Ha, mais son lit est souvent trop étroit pour qu’on puisse le suivre au plus près. Il nous faut régulièrement gravir des collines pour retrouver la rivière de l’autre côté. En haut, le point de vue est superbe : la forêt à perte de vue.

Le retour du lao-lao

Alors que nos jambes commencent à fatiguer, nous atteignons notre nouvelle étape : dans un renfoncement de la jungle que le soleil a déjà abandonné, entre les fourrés et les eaux de la Nam Ha, une vieille cabane de pêcheurs. Elle n’a pas de porte, les murs et le sol sont faits de lattes en bois espacées de plusieurs centimètres où les bestioles se faufilent à leur guise. On fait un pas de plus dans le rudimentaire. C’est ce que nous voulions. 

Les toilettes, c’est dans un trou. La douche, c’est dans la rivière. On se savonne en vitesse, l’ombre est fraîche. Nos habits sont détrempés par la transpiration. On les met à sécher sur une branche. Ils attirent aussitôt une nuée de papillons qui s’y posent et y déroulent leurs trompes. Les traces salées de notre sueur sont à leur goût.

Notre cabane pour la nuit

On attaque le dîner à 18 heures. L’essentiel des ingrédients a été récolté par nos accompagnateurs Khmus dans la jungle, autour du campement. Essentiellement des plantes et des fruits. Au moment du dessert, Sert sort une surprise de son sac : une bouteille plastique pleine de lao-lao. Pour les lecteurs les plus assidus de ce blog, il s’agit bien du “whisky” local qui nous avait rendu soûls au bord du Mékong, trois jours plus tôt… Et on va déjà remettre ça.

Pêcheurs nocturnes

Les shots s’enchaînent. On met de la musique sur un téléphone. On débat des cabarets parisiens. Puis Anna et Pete nous font une longue dissertation sur leur métier de biologistes. Alors que nous sommes passablement ivres, ils nous entraînent dans une chasse aux batraciens au bord de la rivière. Nous les entendons coasser mais, malgré nos efforts, nous ne les voyons pas.

Nous assistons en revanche à une envoûtante procession : quatre hommes marchant dans la Nam Ha, l’eau jusqu’aux genoux, à la lumière de la frontale. Ils sont apparus d’on ne sait où. Ils disparaissent de la même façon. Nous nous demanderons le lendemain si ce spectacle a bien eu lieu ou s’il résultait d’un excès de lao-lao. Sert nous dira qu’il s’agissait sûrement de pêcheurs.

La Nam Ha

Cette fois, pas de coq au réveil. Mais pas de grasse matinée pour autant. C’est le froid, l’humidité et l’inconfort de notre couchage qui ont raison de notre sommeil. Sert a préparé un énorme pichet de thé, il ne sera pas de trop pour nous réchauffer. “Vous avez bien dormi ? Normalement, on dort bien avec le whisky”, nous lance-t-il, tout sourire. Finalement, on n’en a peut-être pas bu assez.

La fatigue, enfin

Nous ne sommes plus que tous les cinq, les trois villageois sont retournés chez eux. Les papillons qui occupaient nos habits s’en sont aussi allés. En revanche, rien n’a séché. Pas question de se rhabiller ainsi. On passe aux grands moyens en fabriquant un séchoir au dessus du feu. On retourne régulièrement tee-shirts et boxers pour éviter qu’ils ne soient mangés par les flammes. Nous sentirons le roussi, mais nous serons secs.

Quand on lui demande le parcours de la journée, Sert se borne à nous répondre qu’il n’y a “pas de programme”. On constate vite qu’il n’y a pas non plus de chemin : on progresse désormais dans les feuilles et les rochers, en remontant un sillon probablement creusé par un torrent. “À la saison des pluies, on ne peut pas passer par là. Mais à cette saison, ça va”, commente Sert devant nos mines circonspectes. On grimpe, beaucoup. On descend, parfois. Lorsqu’on s’essouffle, notre guide marque une pause et se met en tête de nous divertir. Il fabrique tantôt un chapeau avec des feuilles, nous met tantôt au défi de lancer un bambou géant plus loin que lui.

Sert, notre guide

Anna et Pete se passionnent pour un oiseau bleu aperçu aux jumelles. Ils ne le connaissent pas et cela les intrigue. S’en suit une longue course-poursuite pour savoir où il fait son nid. Et une toute aussi longue séance d’observation. Le fait que Sert répète qu’il n’y a pas de programme les a convaincus qu’ils peuvent prendre tout leur temps. Ils sortent même un calepin pour y inscrire leurs relevés.

Ce n’est que tardivement que nous comprenons les mots de Sert : “pas de programme”, c’était sa façon de dire que nous ne ferions que marcher, toute la journée, jusqu’à n’en plus pouvoir de la jungle et des collines. Pour la première fois, on fatigue.

C’est déjà fini ?

En toute fin d’après-midi, nous atteignons enfin la confluence de la Nam Ha et de la Nam Tha. Elle marque la fin de l’aventure. Nous traversons à pied les deux rivières. De l’autre côté, une tête connue apparaît : c’est le patron de Forest Retreat. Il est venu nous chercher. On s’installe avec nos sacs dans la remorque de son pick-up, fourbus, satisfaits, mais regrettant déjà que ce soit terminé. 

Nous en avons pour une heure de piste avant de rejoindre Luang Namtha. Une heure à observer une dernière fois les collines, à repenser aux Khmus et à réaliser que nous nous souviendrons de ce trek toute notre vie.

Au sommet du parc naturel

Coups de coeur

Randonner. On peut le dire avec convictions après ces trois jours : Forest Retreat est vraiment une excellente agence de trek, au service d’un éco-tourisme comme on aimerait en voir partout. Les parcours qu’elle propose dans le parc de Nam Ha sont intelligemment conçus, entre nature sauvage et expériences humaines. Tarif raisonnable – environ 30 euros par jour et par personne – dont on a pu constater qu’il bénéficie bien aux villageois. 

Dîner. Pete nous en a parlé pendant trois jours, alors on l’a testé après le trek : le restaurant Moomsabai est sans nul doute l’une des meilleures adresses de Luang Namtha. Il est d’ailleurs envahi chaque soir par les habitants. Pas de menu, pas de serveur anglophone, c’est barbecue laotien pour tout le monde. Très copieux, très bon et pour un tout petit prix. 

Nos autres étapes au Laos

2 commentaires sur “Nam Ha, trek inoubliable dans la jungle laotienne

  1. Trek magnifique.
    A vous lire je comprends aisément qu’il puisse s’agir de l’une de vos plus belles expérience.

    Un récit passioné et passionant d’authenticité.

    Merci !

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